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 Shattered, Flattered & Covered
A Tribute to Unsane – 2xLPs
Antena Krzyku records 2017

Des compilations en hommage à des artistes, c'est pas ce qui manque et ça prend la poussière beaucoup plus vite que la moyenne. Rien que sur cette page, vous en trouverez un paquet (Black Flag, Sonic Youth, AC/DC, Dazzling Killmen, Cherubs, Die Kreuzen, Birthday Party, Nick Drake et même Queen !). La liste est encore plus longue. Mais s'il fallait n'en retenir qu'une, Shattered, Flattered & Covered se pose très facilement en tête. Cet hommage écrase toute la concurrence et pour longtemps. D'une, parce qu'il ne s'agit pas de n'importe quel groupe mais d'un poids-lourd emblématique de la scène noise-rock depuis 1990, les mythiques et grandioses Unsane. Deux, parce que le générique des groupes qui se fendent d'une reprise est à tomber. Toute la crème ou presque de la scène internationale noise-rock est présente. Ken Mode, Buildings, Multicult, Hawks, Faking, Grizzlor, Throat, Sinking Suns, Child Bite, Silent Front, Beige Eagle Boys, Wayward, Disasterratti, Membrane, etc, etc, c'est quasi l'affiche rêvée pour un festival de noise-rock, toutes tendances confondues (même si certains n'existent plus désormais, c'est que ça fait longtemps qu'il était en gestation ce tribute). Et troisièmement, chacun de ces groupes ne s'est pas contenté du minimum. La qualité des reprises est dans l'ensemble relativement édifiante. La plupart de ces groupes ont la gène Unsane dans le sang. Une influence tellement ancrée en eux qu'elle est comme une seconde peau. Biberonner par Unsane, ils ont tout compris, recracher le venin devient une évidence.
20 groupes au compteur répartis sur deux vinyles. Sur les deux Cds inclus dans la pochette gatefold, le score monte à 32 groupes pour deux heures de musique en tout. Du Unsane tu en veux, du Unsane tu vas en bouffer. Seul reproche à noter pour les CDs, les noms des groupes et titres des morceaux uniquement présents sur ce support n'apparaissent strictement nulle part. Il faut aller à la pêche sur internet, dommage.

Au rayon des reprises bluffantes, Ken Mode est sans problème sur le podium. Pas pour rien que Broke a servi de teaser à cette compilation. Le trio canadien sait totalement réapproprier la compo, comme une extension naturelle de leur répertoire, une réinterprétation de haut vol. Celle des finlandais de Throat est également énorme. Ils reprennent Get Away façon vitriol, toutes guitares sifflantes en rajoutant des bruits pervers dans l'esprit de leurs derniers méfaits. A se demander désormais quelle version il va être préférable d'écouter, l'original ou la cover. Dans le genre je respecte l'original qui se reconnaît tout de suite mais je suis possédé par le morceau, Sinking Suns (Exterminator, un de mes morceaux préférés d'Unsane, le 1er album avec la pochette du mec qui veut savoir quand le train va arriver mais qui ne maîtrise pas la technique ancestrale des Indiens) et Silent Front (Scrape) donnent tout, semblent rallonger la sauce et le plaisir et mettent énormément de cœur à l'ouvrage.
Les indissociables Wayward et Multicult sont aussi impeccables dans leurs interprétations hargneuses de respectivement Bath et Trench avec des rythmiques en feu. On pourrait rajouter aussi Buildings (Organ Donor), Faking (Alleged) pour qui Unsane coule de source tout comme les Français de Membrane (Out) et Sofy Major avec un sample au milieu de Backslide qui dit I fucking hate New-York. Les Allemands moins connus mais très efficaces de Maud rendent une copie parfaite de Committed. Les Irlandais de Irk font très fort sans guitare – uniquement basse, batterie et chant – pour reprendre Disdain. Beige Eagle Boys rend hommage à Streetsweeper comme si c'était Cherubs qui s'y collait alors que Grizzly Daughter possède des faux-airs de Cows qui reprendrait Vandal-X. Child Bite s'attaque à un morceau récent (Don't sur Wreck) avec leu mordant légendaire. Les Écossais de Ex-Wives font valser comme jamais Hill avec un groove de dingue alors que les Italiens de Lleroy (Understand) ou les Croates de Joe 4 (un medley de deux morceaux, Ruin et Swim) ne laissent pas leurs parts au chien. Idem pour la délégation de groupes italiens plus ou moins inconnus de Nudist, Turin Horse, Flying Disk et Cani Sciorri. Tout le monde est inspiré, c'est inespéré.

Au rayon des c'était pas gagner d'avance, vous avez Fashion Week dont le premier album était franchement laborieux. Surtout quand c'est pour s'attaquer à Only Pain, un morceau qui m'a toujours fait pigner de bonheur et de rage. Alors quand ça commence par un joli piano avec des samples derrière, le pire est à craindre. Mais il est dit que cette compilation est touchée par la grâce et même Fashion Week s'en tire très bien. Les magnifiques arpèges remplacent les touches du piano, Only Pain retombent sur ces pattes, on retrouve tout le coté poignant du morceau sans les lourdeurs de Fashion Week et leur réinterprétation finalement très personnelle est à saluer. Les reprises des groupes doom/sludge/metal des Suédois de Suma et Français de Cult Of Occult avaient également tout du défi. Alors certes, Suma ne s'attaque pas au morceau le plus rapide d'Unsane avec Get Off My Back mais ils trouvent le moyen de faire encore plus lent, plus poisseux, plus noise et malsain. Du grand art. Mais que dire alors de Cult Of Occult. Ils transforment This Plan en un monstre de onze minutes et il n'y a strictement rien à redire. J'en tremble encore. Unsane version doom & démon, c'est puissamment scotchant.
Dans la version lente, vous avez – et c'est beaucoup plus surprenant – Hawks. Le défunt groupe d'Atlanta a la brillante idée de ralentir considérablement Body Bomb, comme si c'était enregistré à la mauvaise vitesse, empêtré dans la colle, une descente d'un mauvais trip, la section rythmique creuse des ravins, la guitare est en veilleuse et c'est magnifiquement tordu et à contre-courant. Avec Seawhores, c'est souvent tout bon ou n'importe quoi. Lead passe à leur moulinette noise expe et on dirait qu Pain Teens s'est invitée au banquet. Une voix féminine remplace celle de Chris Spencer et l'ambiance décalée de cette cover colle très bien à l'esprit nocif d'Unsane. Là encore, impossible de prendre à défaut cette compilation. En fait, les deux seules déceptions plus relatives sont Disasterratti avec leur reprise version slow viril et molle du genou de Stuck et Boy Division, groupe allemand spécialisé dans les reprises déphasées qui martyrise Can't See en version Panthère rose.

Mais attention, ce n'est pas fini. Un morceau caché surgit de la nuit des temps. Ce groupe ne dit sans doute rien à personne sauf si tu traînais ta jeunesse au début des années 90 dans le Morbihan du coté de Port-Louis. Ou que tu étais à la pointe de la pointe de l'underground noise. Kill Yr Idols était un fanzine fait avec du vrai papier qui tâchait les doigts et niquait les yeux. Parfois on trouvait des cassettes dedans. Et comme les géniteurs de ce zine tripatouillaient aussi de la musique, pardon, faisait un bordel mémorable sous le nom de Tom Violence, ils se sont dit un jour qu'une reprise de Burn d'Unsane leur irait comme un gant. Is that supposed to be music, it's awful. Un son qui défie toute les lois de la chimie, une boite à rythme qui mortifie une deuxième fois Charlie Ondras et la pédale de saturation la plus distordue à l'ouest de la rivière d'Etel. Voir de l'Europe. Voir du monde. Elle a effrayé plus d'une personne en concert et c'est toujours une joie de la réentendre faire des ravages défiant toutes les lois de la physique. Cette délicate attention et surprise est l’œuvre de Manuel Veniani, l'homme qui a eu l'idée de ce tribute et chef d'orchestre de cette dure entreprise. Un grand merci à lui. Le résultat est à la hauteur de l'effort et vaut vraiment le détour.

SKX (09/10/2017)