jelodanti

Compilation
France Noise 90 - LP
Jelodanti records 2024

Tout est dans le titre. France Noise 90. Une compilation qui n’a pas pour but d’être exhaustive, d’exposer le meilleur des incontournables ou de s’arrêter sur un style précis de noise. C’est un instantané sur une période donnée de toute une scène française Do-It-Yourself bruyante et passionnée allant au-delà d’une étiquette noise. Ou noise dans son acceptation la plus large car musicalement parlant, qu’est ce que des groupes comme Flaming Demonics et King Biscuit ou Prohibition et Osaka Bondage ont en commun ? France Noise 90 pour réhabiliter cette scène underground aussi bien à l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur où elle n’a jamais quasi eu de presse, la faire découvrir tout simplement ou se replonger dedans et que les souvenirs remontent. Une scène avec toute sa fougue, ses défauts, sa candeur, son anarchie et ses fulgurances.
A l’initiative de France Noise 90, Yves-Marie Mahé, cinéaste documentariste qui a réalisé plus de 70 courts-métrages expérimentaux depuis 1997 mais aussi organisateur de concerts à l’époque de cette effervescente scène noise dont il a été un témoin direct. Avec l’aide de Jelodanti records, France Noise 90 présente treize groupes sur le vinyle et neuf de plus avec le coupon de téléchargement, soit une heure et quart de noise qui fuse dans tous les sens et quatre inserts avec présentation des groupes plus des photos me permettant entre autres de découvrir pour la première fois la tête des Flaming Demonics. Du bien beau travail.
Mais ce qui est encore meilleur avec France Noise 90, c’est que ce disque n’est pas une simple suite de compos tirées d’enregistrements déjà sur le marché. C’est un vrai boulot d’exhumation de morceaux inédits, rares, des versions démos ou live et surtout, ce disque a été cherché dans les profondeurs de l’underground et fait découvrir des groupes. Plus de deux décennies plus tard alors que vous croyiez tout connaître de cette époque. A l’instar de Kivalò Dolgòzò, trio bordelais avec un seul 45 tours à leur actif en 1989 (d’où est extrait ce Remember) plus deux cassettes albums avant que le destin ne les frappe durement avec les décès du chanteur-guitariste, du bassiste et de leur producteur. Le batteur, Franck Lantignac, passera entre les gouttes tragiques et c’est dans Voodoo Muzak, Ulan Bator ou encore Permanent Fatal Error qu’il se fera connaître par la suite. Un Remember d’un punk-noisy acide, entraînant qui donne envie d’en savoir plus. C’est le cas également de Hole Process, groupe de la banlieue parisienne, dont deux des membres se feront connaître dans Unlogistic. A moins que ma mémoire me fasse défaut (ce qui arrive très souvent), Hole Process n’évoque rien et la face plus hardcore de leur noise se consomme avec plaisir. Quant à Sootcycl, c’est le projet solo de la montpelliéraine Nik Korrat. Là encore, du très underground avec un titre (Mosquito Fridge) issu de sa troisième démo d’une noise plus expé, mystérieuse et portée par un riff qui accroche. Rien qu’avec ça, vous vous dites que le déplacement valait le coup.
Et ce n’est que le début. Au rayon groupes plus connus mais avec des titres rares, Heliogabale offre Begging Cut, extrait d’une cassette démo datant de 94 dont je dois avoir un exemplaire caché dans un carton. Idem pour Prohibition et Hell No Rush tiré d’une démo de 98. Flaming Demonics présente Cross My Mind de leur terrible premier single. C’est un live, c’est la face no-wave de la noise, ça arrache tout et pas que les cordes vocales de la fille qui hurle vas-y bordel au tout début. Les morceaux à l’identique de Gordz (Cube issu du split avec Happy Anger), One Arm (en téléchargement) et Cornice (Stringed Instrument Maker que tous les fans de The Ex, Dog Face Hermans ou Tom Cora devraient avoir entendu au moins une fois dans leur vie) ne sont pas des surprises mais une nouvelle démonstration de l’étonnante vitalité et variété de la scène noise française.
Une scène qui pouvait prendre une tournure beaucoup plus expérimentale. C’est l’option choisie par la face B par rapport à une face A axée plus rock. Avec la mise en lumière de projets annexes de musiciens figurant déjà dans les groupes précités. C’est le cas de Philippe Thiphaine, guitariste de Heliogabale, présent aussi avec ses deux autres projets solo The Crooner Of Doom et The Side Of Jordan ou Fred D’Hérouville, gratteux et grimacier chez Gordz qui s’amusait aussi à triturer les bandes sous le nom de Ratiopharm. Et puis les groupes qui avaient des membres en commun (et des bouts de noms aussi) avec Copyright et Copywrong qui avaient eux-même partagé un split avec King Biscuit pour des versions plus déjantées, punk et hybrides (voir éloignées) de la noise et dont tous ces membres finiront par former d’autres groupes. Une scène incestueuse où musiciens, labels, orga de concerts se mélangeaient pour former une famille (éclatée) qui ne savait pas qu’elle en était une.
Et je pourrais continuer à palabrer sur la version démo encore plus brutale du Bloodsuckers de Garbage Collector, sur le Boxes de Davy Jones Locker ou Osaka Bondage mais si vous n’avez pas compris que France Noise 90 est un témoignage aussi utile, divertissant, instructif qu’incontournable d’une époque révolue mais qui résonne toujours, je ne peux plus rien pour vous. Perso, je vais faire comme Yves-Marie Mahé et retourner dans ma propre cave déterrer toutes ces vieilles cassettes puisqu’apparemment, de nombreux trésors et curiosités y traînent.

SKX (04/01/2025)