Rejuvenation Festival (part 2)
Samedi 19 et Dimanche 20 avril 2014
Canal 93 - Bobigny


Dimanche 20 avril. Le réveil n’est pas trop dur et surtout facilité par la perspective d’une deuxième journée de concerts encore plus touffue que la veille. Arrivé aux alentours de 16 heures à Canal 93, je décide directement de doubler mes rations de bière, passant du simple demi à la pinte, parce que sais pertinemment qu’il ne reste plus rien de décent à boire chez mes colocataires d’un week-end, décidemment très assoiffés. Renseignements pris, il s’avère que malheureusement les Berline0.33 ont également débarqué de Lille sans leur ravitaillement habituel, c’est-à-dire sans une ou deux caisses de cette bonne bière artisanale du Nord, ce qui me désole un peu. Par contre j’apprends que L’Olympique Lyonnais a judicieusement perdu son match samedi soir et pour fêter ça je me précipite au bar où Seb And The Rhââ Dicks s’apprête à jouer, une nouvelle fois devant l’expo Rad Party. Seb Radix qui a déjà joué la veille en tant que bassiste/chanteur de Totale Eclipse aime raconter des blagues idiotes et interpréter des chansons punk-folk stupides avec un sourire irrésistiblement Colgate et qui n’appartient qu’à lui. Ça glousse volontiers comme des dindes et des dindons dans le public, jusqu’au moment où notre homme branche son petit magnéto d’un autre âge pour passer en mode parodique hardcore, se mettre à hurler, se jeter dans la foule et tenter avec son micro de crever un œil à une victime innocente de l’assistance comme son collègue et ami Hugues Pzzzl de Veuve SS lui a appris à la faire. Heureusement, personne n’a été blessé pendant cette action d’anthologie.





Contrastant avec la potacherie assumée de Seb And The Rhââ Dicks, le concert de Computerstaat se joue dans la pénombre, avec uniquement quelques spots dirigés très localement. Computerstaat c’est le nouveau groupe – duo – que Mathieu et Natasha ont monté après la fin des regrettés Kimmo. Lui est au chant et à la guitare, elle au chant également et aux synthétiseurs et machines. Le ton général n’a rien de noisy mais est fortement ancré dans les années 80. Computerstaat est une sorte de groupe hommage, certains dans le public les ont trouvés passéistes et complètement nostalgiques mais pour ma part je me bornerai à penser que le duo n’a pas encore pris la distance nécessaire avec la musique qu’il veut jouer pour pouvoir lui insuffler son petit truc à lui – mais peut-être ne le veut-il pas ? En tous les cas tout ça m’a donné soif, direction le bar pour une nouvelle pinte.



Ce qui fut une riche idée : Ultracoït est un groupe qui donne chaud. Non mais regardez-moi un peu ces quatre garçons plus ou moins gras du bide, en slip moule-burnes et en cagoules de catcheurs priapiques – tout ce qu’il faut là où il faut pour convertir un curé arrogant de la manif pour tous à la sodomie participative. Bon, soyons sérieux : la dernière fois que j’avais vu les Ultracoït en concert ils s’étaient déguisés en Sunn O))), une idée qu’ils ont apparemment rapidement abandonnée par la suite. Et ils ont eu raison car il n’y a rien de tel qu’un bon étalage de viande pour assurer la propagande de Sex Churh, le LP que le groupe vient de publier chez Rejuvenation (cela va de soi). Un disque et un concert qui enfoncent le clou d’un noise rock souvent très axé sur Unsane, bien gras et bien lourd. Avec en milieu de set l’irruption de la taulière-en-chef, Agnès Reju pour ne pas la nommer, qui s’est retrouvée enchainée par une sorte de Chewbacca à la batterie de son Greg d’amour à l’aide d’une paire de menottes : Agnès et Greg Reju unis pour le meilleur et pour le pire, c’est qu’on n’a pas tous les jours dix ans.

Fiend est un groupe dont je n’aime pas les disques. OK : ça commence plutôt mal. Et même si le batteur a tenté de me soudoyer en m’offrant un split single de l’un de ses anciens groupes (Up Yours, il y joue de la guitare et il y chante), cela n’y changera rien. Les dégoûts et les douleurs ça ne se discute pas, je sors de la salle après deux titres et demi et me dirige courageusement vers le bar afin d’acquérir une nouvelle pinte de bière. J’y retrouve une poignée de bretons et de nantais – non ce n’est pas pareil même s’ils leur arrivent en temps voulu de s’unir face à l’adversité – et nous trinquons tous ensemble à un monde meilleur et à la destruction irrémédiable du rock d’inspiration seventies et stoner.

Sheik Anorak, soit Franck Gaffer en solo, joue ensuite. C’est au moins la trente-cinquième fois – données corrigées en fonction des variables saisonnières – que je vois ce garçon en concert avec ce projet là. Je pourrais me lasser, en avoir plus que marre et en profiter pour rester une demi-heure de plus au bar mais non : c’est devant la scène que je reste, bien scotché en écoutant encore une fois les tubes de l’album Keep Your Hands Low que Sheik Anorak vient de publier en CD conjointement sur son propre label Gaffer records et chez SK records – le service marketing de Rejuvenation records me souffle dans l’oreillette que le label devrait prendre part à l’édition vinyle de ce disque prévue pour dans très bientôt (ou dans pas très longtemps, à voir). Un disque dont le patron de Perte & Fracas t’a également déjà causé (là aussi faut chercher un peu) et je dois malgré tout avouer que je suis de son avis. Mais je ne vais pas en rajouter, restons-en au concert. La magie Sheik Anorak opère toujours à plein. Le voir préparer ses boucles de guitare puis les alterner et/ou les empiler pendant qu’il joue de la batterie ou chante par-dessus – parce qu’il chante de plus en plus, l’animal – reste un moment unique. Une grande idée c’est une idée à la fois simple et géniale. On peut affirmer que Sheik Anorak est une grande idée et déjà je me demande ce que le principal intéressé va bien encore pouvoir trouver pour faire évoluer son concept dans le bon sens.

Berline0.33 sort également son nouvel (et deuxième) album sur Rejuvenation – en coproduction avec Et Mon Cul C’est Du Tofu ?, Katatak, Bruisson et Tandori, que de la crème quoi. Le disque en question s’appelle The Abyss Will Gaze Back et le groupe est venu exprès de Lille pour le présenter et fêter les dix ans de Rejuvenation. Décidemment beaucoup plus respectueux que la veille, le lighteux de Canal 93 suit les directives d’Emilie, chanteuse de Berline0.33 : pas beaucoup de lumières. Les guitariste et bassiste restent donc dans une pénombre relative mais Emilie n’est pas volontairement mise en avant pour autant. Dans ce contexte les nouveaux titres du groupe font mouche, surtout on y décèle une mise en place plus évidente de la guitare – jusqu’ici la basse prenait beaucoup de place, façon post punk – et les deux instruments semblent désormais en parfaite complémentarité voire en parfaite synchronie tout en restant chacun sur son territoire. La musique devient plus dense et plus sombre, plus pesante également mais elle garde cette aptitude à créer du tube, donc de la chanson qui te colle au cerveau et te donne envie de gigoter comme un possédé consentant. J’ai déjà hâte de revoir le groupe.

Après Berline0.33 c’est le drame. Purement et simplement. Comme la veille avec Lucertulas, les Unlogistic vont faire les frais de mon manque d’endurance. J’admire ces gars qui sont vieux – comme je suis vieux également j’ai déjà du les voir une bonne dizaine de fois en concert – mais qui jouent, beuglent et sautent dans tous les sens comme des jeunes cons de vingt ans. A croire que le punk ça conserve. Mais, donc, je n’en peux plus et j’abandonne rapidement la salle de concert pour, pur hasard de l’existence, me retrouver au bar. Et le voilà le drame : à ce même bar est déjà accoudé Xavier SKX, oui la tête pensante de Perte & Fracas et ennemi des punks. Lequel se met à me sourire de façon un peu enjôleuse, prétend apprécier ma façon d’écrire, regrette également la fin de mon blog à moi – un truc qui s’appelait Heavy Mental – et de me demander quand je vais remettre ça. Jamais. C’est en tous les cas ce que je lui réponds aussi sec… Sauf qu’il est tenace, le bougre, et que moi je commence à être un peu trop saoul. Expert en pression psychologique, alternant menaces à peine voilées et cajoleries insupportables puis m’offrant généreusement une énième pinte de bière, je finis par vaguement lui promettre que je me recollerai à Perte & Fracas pour y écrire un report consacré au Rejufest. Voilà, maintenant tu connais toute l’histoire et tu sais donc pourquoi tu es présentement en train de lire un truc beaucoup trop long (on en est à peu près à 20 000 signes et c’est pas encore fini).

Il reste deux groupes à voir et à entendre. Je reviens dans la salle, honteux de ma lâcheté et furieux de m’être fait enguirlander par un breton, pour assister au concert de Room 204. Devant la scène il y a déjà Joëlle, taulière d’un lieu parait-il magique, le Pakebot à Chadron (dans la Haute Loire), un lieu où quelques illuminées notoires organisent au milieu des vaches des concerts qui font du bruit. Elle m’explique qu’elle reste tout devant pour « bien profiter de ce batteur, si élégant ». Elle a parfaitement raison, Joëlle : Pierre-Antoine, également batteur de Papier Tigre, est tout simplement un garçon merveilleux à regarder jouer. Mais la grosse nouveauté pour Room 204, une nouveauté que l’on peut également découvrir sur Maximum Végétation, le nouvel album du groupe publié par Kythibong, c’est l’arrivée aux côtés d’Mric d’un second guitariste en la personne de Nicolas (qui joue en solo sous le nom de Seal Of Quality et ancien Alaska Pipeline). Et Room 204 en version trio c’est tout simplement de la pétarade. Du vrai math rock qui pulse, inventif, drôle et jubilatoire. A ma grande surprise ce concert dont je n’attendais rien de particulier se hisse parmi les deux ou trois meilleurs du Rejufest.

La tête d’affiche c’est eux, les Hawks. Ils publient pour l’occasion un quatrième LP sans titre qui est une sorte de live enregistré en prise directe dans leur local de répétition, un disque au son cru et rude comme je les aime et publié – devine quoi ? – par Rejuvenation. Ceux qui ont déjà vu les américains en concert savent à quoi s’en tenir et les autres espèrent de grandes choses, à la hauteur de la réputation du groupe. Peut-être impressionnés par la taille de la scène et les moyens techniques de la salle (ouais, c’est un peu le retour des lumières qui clignotent), les Hawks attaquent leur concert en mode tough guys, en particulier le chanteur Mickael Patrick Keenan qui se débarrasse rapidement de son tee-shirt pour exhiber son dos et ses bras couverts de tatouages. La testostérone ce n’est pas ce que je préfère en matière de noise rock, je préfère largement la dépravation et les Hawks mettront un peu de temps à se détendre et à laisser de côté leur volonté d’impressionner pour se contenter de faire transpirer le public qui ne demande qu’à s’agiter devant eux. Le concert fut bon et Hawks possède un sacré répertoire, une paire rythmique intraitable, un guitariste bien allumé et un chanteur dont le froc descend de plus en plus bas (il va nous faire plusieurs fois le coup du sourire du plombier puis celui du robinet, au grand dam du type du service d’ordre présent à côté de la scène). Seulement j’aurais sans doute préféré les revoir dans une salle plus petite comme à Toulouse où, mieux encore, dans la moiteur du Raymond Bar à Clermont Ferrand, ce genre d’endroits puants où les groupes tels que Hawks peuvent vraiment exprimer toute leur valeur.

Voilà, c’est fini. Si tu es arrivé à lire tout ça jusqu’au bout c’est que tu es du genre courageux. Et encore, je te passe les détails sur l’after, la chenille qui redémarre, la danse du ventre sur Take On Me de A-Ha et les dernières bières bues beaucoup trop tard dans la soirée. Redescendre sur Terre après ces deux jours de concerts a été difficile. Un autre monde, donc. Mille mercis à Agnès et Greg et à leurs aides de camp (Karine, Lucie, les deux Olivier…), merci aux groupes, merci à Victor, Alex et Thomas pour le gîte, merci aux bretons, merci à Xavier, merci à Canal 93 et merci à Électricité de France. Prochain report dans sept mois, pour les 20 ans de K-Fuel à Rennes, les 3 et 4 octobre prochain.

Hazam (26/04/2014) <<< part 1




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