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Rejuvenation
Festival
(part 1) Nous sommes le samedi 19 avril 2014 et je monte dans un TGV à destination de Paris. Jai réservé une place au deuxième étage et côté fenêtre pour pouvoir regarder le paysage et les vaches dans les prés pendant tout le trajet. Ce que je navais pas prévu cest que juste à côté de moi il y aurait un groupe de supporters de lOlympique Lyonnais : écharpes aux couleurs du club et accrochées aux porte-bagages au dessus de leurs têtes pour bien quon les remarque, conversations passionnantes sur la cause footballistique et exclamations de joie lorsquun autre supporter installé ailleurs dans le train vient rendre une petite visite de courtoisie. Un autre monde. Il y a aussi ce papa bien intentionné qui explique à son fils que ce soir cela va être très dur pour léquipe de Lyon, quil na encore jamais vu son équipe perdre ah bon ? mais que cest tout à fait possible aujourdhui et quil ne faudra pas quil pleure si cest le cas. Mon fils faut être fort dans la vie. Mais heureusement quaprès il leur restera deux jours pour visiter Disneyland. Un autre monde, je te lai dit. A larrivée à Paris tout le monde décroche son écharpe mais personne ne la met autour de son coup et préfère la ranger dans son sac parce quon nest jamais trop prudent : en bout de quai deux rangées de CRS en tenue de scarabées attendent déventuels fauteurs de troubles. Jai juste envie dêtre ailleurs. Ailleurs
cest dabord Montreuil où je vais dormir pendant deux
jours, généreusement accueilli dans une collocation de geeks
tendrement psychopathes. Ailleurs cest surtout Canal 93, une salle
de Bobigny équipée comme un lunapark et dans laquelle vont
se dérouler les concerts marquant le dixième anniversaire
du label Rejuvenation. Deux jours de musique, dix-sept groupes et, je
lespère, au moins autant de bons moment. Ce qui suit est
donc le récit plus ou moins faux, vaporeux et mensonger de ces
deux jours de concerts en forme de marathon. Deux jours aussi de rencontres
un peu trop brèves avec des gens avec qui jaurais bien aimé
parler davantage (assis sur un canapé à boire un whisky
japonais bien tourbé par exemple), deux jours de rendez-vous ratés
avec dautres qui parait-il étaient bien présents mais
je ne le savais pas et puis il y a toutes celles et tous ceux à
qui je nai pas adressé la parole alors que jaurais
pu (du ?) le faire je nai jamais pu me résoudre au
ridicule embarrassant de la situation qui consisterait à dire «
jaime beaucoup ce que vous faîtes ». Lorsque jarrive
à la salle aux alentours de 16 heures (oui les concerts commencent
tôt puisquil y a huit groupes de programmés), Thomas
Le Corre prend lair devant lentrée et maccueille
avec son beau sourire. Thomas est (était ?) lun des deux
manches de Møller-Plesset. En quelque sorte il sert de hors duvre
au festival, jouant en solo dans le bar à lentrée,
juste devant une expo de Steph Rad Party. Souvent on lentend à
peine au milieu du brouhaha il joue sur une guitare acoustique
et des arrivées toujours plus nombreuses de gens du public
et même de groupes en retard (Nancy cest loin). Je fais les
gros yeux à un jeune hipster parisien qui compare Thomas Le Corre
à Manitas De Plata et regrette de ne pas pouvoir écouter
cette musique un peu plus au calme, à lombre dun arbre
(cest le début des concerts, je me sens presque lâme
dun poète mais rassure-toi cela ne va pas durer). Thomas
Le Corre a donc été le seul moment de finesse et de calme
de ce premier jour du Rejufest. Et comme ce premier concert se passe au
bar, oui je lai déjà dit, jen profite pour moffrir
une nouvelle bière. On enchaine
avec Crippled Old Farts, groupe dans lequel joue Greg « El
Jefe » Reju (à la batterie) ainsi que Stef Rad Party (au
chant). Le reste du line-up comprend un guitariste et un bassiste et les
Crippled Old Farts pratiquent le hardcore punk punk hardcore ?
comme dautres pratiquent le vélo cest-à-dire
comme un mode de vie et une façon dêtre on ne peut
plus naturelle. Pas de fioritures, pas de pauses, de la simplicité,
des chemises à carreaux, de la hargne, des rythmiques qui propulsent
tout ça du côté du début des années
80 et, honnêtement, je passe un bon moment même si je pense
que voilà exactement le genre de groupe que je verrai plus jouer
dans la cave moisie dun bar pourri ou dans le garage dun pavillon
de banlieue. Hardcore, quoi. Les Crippled Old Farts viennent de publier
leur premier album chez Rejuvenation (en coprod avec Gestalt, Slow Death,
Falling Down, Slow Budget et Weewee records) et il sappelle Free
Drinks In Hell. Précisions
dimportances : Canal 93, la salle où se déroule ce
Rejufest, est une Smac (ou un truc dans ce genre là). Une spécificité
bien française et donc une salle dotée dune sacrée
organisation (un service dordre omniprésent mais ici pas
trop con) avec un règlement intérieur du genre attention
il faut tout bien respecter sinon ça va chier. Et surtout
Canal 93 est une salle avec des équipements et des infrastructures
à rendre jaloux un responsable des effets spéciaux pour
Industrial Light & Magic : une sono qui pète sa mère
et un light show tellement omniprésent quil donne au groupe
sur scène comme au public devant lui limpression dêtre
à lintérieur dun four à micro-ondes géant.
Totale Eclipse va faire les frais de ces débordements de
lumières et dune machine à fumigènes maniée
par un psychopathe qui la nuit doit faire de rêves de pyromane.
Ce qui donc a donné un vrai concert de rock stars. Cela aurait
pu être drôle mais a fini par devenir un peu agaçant.
Le truc avec Totale
Eclipse, cest que ces types ont effectivement tout pour jouer
aux stars qui se touchent le zizi mais quils sen foutent éperdument,
préférant samuser de et avec leur punk-pop-prog
une musique exactement à lopposé de la concision dun
Crippled Old Farts. Le guitariste (Nico Poisson, également dans
Ned et Sathönay) semble sêtre un peu mal remis des excès
du concert de la veille mais le show est efficace, bien que lon
sentait moins que dhabitude le décalage faussement grandiloquent
que Totale Eclipse se plait dordinaire à nous mettre au travers
de la gueule en français on appelle ça donner la
banane. Les problèmes
de lumières seront moins aigus avec le groupe suivant. Revok
a installé des loupiotes sur scène et effectivement aime
jouer avec les effets de lumière. Et cela va bien au groupe. Jai
entendu après coup quelques gamins reprocher à Revok de
jouer une musique datée : cest vrai quelle lest
mais auquel cas voilà un reproche que lon peut faire à
95 % des groupes qui ont joué au Rejufest. Ce qui semble gêner,
cest plutôt le genre pratiqué par ces parisiens : Revok
joue du post hardcore, un genre évidemment passé de mode
alors que précisément le groupe en est lun des meilleurs
représentants encore en activité, tout simplement parce
quil na pas oublié ce que le terme hardcore, même
affublé dun « post » un peu limitatif voire ridicule,
signifie. Les cinq Revok jouent en bloc, nont pas besoin de gigoter
comme des pantins pour devenir intéressants et leur musique nait
dun magma gluant et ultra dense qui me chavire totalement. Les nouvelles
compositions sont également au top et donc jespère
quun jour Revok enregistrera et publiera un troisième album. Les Pord
jouent ensuite. Ils viennent de publier un mini album trois titres par
leurs propres moyens et avec laide du label Nothing To The Table
(dont jai croisé le boss après le concert à
la table de merch, bien que jai failli ne pas le reconnaitre : cest
dingue comme les gens changent avec les années). Le disque est
affublé dune pochette digne dun groupe alterno français
des années 80 et est chroniqué quelque part sur ce webzine,
tas quà chercher tout seul comme un(e) grand(e). Mais
comme Valparaiso,
le premier album de Pord, avait été publié, entre
autres, sur Rejuvenation, cest tout naturellement que le groupe
se retrouve sur la scène de Canal 93. Je vous passe la rengaine
sur le jeu de lumières et les fumigènes à gogo pour
aller à lessentiel ; je nai pas compté exactement
mais cétait à peu près la douzième fois
que je voyais les Pord sur une scène et ce concert fait incontestablement
partie de leurs trois meilleurs et je nécris pas que
ce fut le meilleur concert de Pord auquel jai assisté uniquement
par pudeur. Jamais je navais vu le groupe soudé et hargneux
à ce point là. Une bonne grosse branlée, littéralement. Death
To Pigs est le groupe que jattendais sûrement avec le
plus dimpatience. Cela fait des années que je ne lavais
pas revu en concert la dernière fois, Pavel, désormais
Klaus Legal, La Race, Judas Donneger et Dalida, en était encore
le guitariste et donc je navais encore jamais pu gouter au
Death To Pigs de Live
At Karachi, génial album enregistré avec Julien
aka The Austrasian Goat à la guitare. Je ne vais pas être
déçu : sous un éternel déluge de lumières
et de fumée à la con, les Death To Pigs ont livré
un concert trop court mais survolté, galvanisés par un Oli
qui de derrière sa batterie imposait un rythme denfer et
ne laissait aucun répit à ses petits camarades. Ce groupe
est définitivement grand, parfait mélange de post punk tordu,
de hardcore vicieux et de swamp rock poisseux. Et puis aussi, un chanteur
qui porte un t-shirt à leffigie de lalbum Haus Der
Lüge dEinsturzende Neubauten, ça me donne forcément
envie de lembrasser. Suivent les
italiens de Lucertulas. Pour des raisons personnelles le guitariste
du groupe nassure plus de longues tournées et est suppléé
par un intérimaire qui joue toutes ses parties à sa place.
Il me semble également que le batteur a changé à
moins quil ne se soit contenté de se faire pousser les cheveux
mais ce nest pas seulement pour ces raisons que je ne reconnais
que trop peu le Lucertulas que jaimais (celui de lalbum The
Brawl et le groupe que javais vu donner un concert époustouflant
dans le salon moquette de Grrrnd Zero à Lyon). Disons que la musique
de Lucertulas a évolué du hardcore noise vers quelque chose
à la fois de plus chaotique et de plus metal. Un truc qui me passionne
moins, dautant que je soupçonne le groupe de masquer ses
plantades sous couvert dincessants changements de direction et en
jouant de plus en plus fort. En particulier le jeu de ce jeune guitariste
en sandales de hippie me parait bien trop décousu et trop chahuteur
pour être honnête. Jai comme limpression que lon
me balance de la poudre aux yeux tout le contraire de Pord
et comme celle-ci sajoute à celle de lumières de plus
en plus intolérables je quitte la salle pour boire une énième
bière à la santé de lamitié franco-italienne.
Lucertulas publie ces jours-ci un mini album du nom dAnatomyak
et pour linstant celui-ci me laisse également sur ma faim. Ils sen foutent de jouer sur une grande scène et sous des trombes de lumières inutiles : les trois allemands de Ten Volt Shock restent fidèles à eux-mêmes, balançant leur punk noise avec un sens de la précision et de lefficacité qui en aucun cas exclut ce brin de folie contagieuse qui fait de tout concert un bon concert, voire plus. Ten Volt Shock joue donc resserré dans tous les sens du terme : la batterie a été rapprochée de la scène et déroule imperturbablement les tubes de ses albums (le dernier en date, Strasbourg, ne comporte de toute façon que des tubes) tout en faisant monter la pression toujours et encore, sans oublier ce groove irrésistible façonné de mains de maitre par la paire basse/batterie. Deux rappels plus tard le public de Canal 93 est rétamé mais heureux. Moi jai juste le temps dattraper le dernier bus pour rentrer boire une excellente vodka finlandaise en guise de digestif. Mes yeux se voilent et maintenant il est lheure daller me coucher. Hazam (26/04/2014) >>>> part 2 |