Dazzling Killmen

Ça fait bizarre de chroniquer Dazzling Killmen dans la rubrique Oldies tant j'écoute très régulièrement encore leurs disques. 10 ans en gros que ce groupe a splitté pourtant et l'impression que c'était hier. L'histoire a débuté fin 80/début 90 avec la volonté de Nick Sakes de former un groupe alors que la trentaine se pointe. Un rêve de gosse qu'il va concrétiser au delà de tout ses espoirs. Il apprend les rudiments de la guitare, se colle au chant, recrute deux étudiants en jazz (Darin Gray à la basse, Blake Fleming à la batterie) et forme Dazzling Killmen. La différence purement technique entre lui et ces deux étudiants est flagrante mais c'est une des clefs de leur musique. L'aspect technique et affolant d'une section rythmique hors norme face aux tripes et le feeling à fleur de peau de Sakes.
Le groupe sort son 1er disque en 1990. Enregistrement à St Louis, Missouri, leur ville d'origine sur Sawtooth records, le propre label de Sakes monté pour l'occasion. Numb/Bottom Feeder, 2 morceaux carrément aliénants et dangereux pour la santé. Ce chant parlé doublé d'un chant hurlé sur Numb fait peur. Tout y est moite et sous tension. La section rythmique n'est pas encore à son apogée mais prend ses marques. Sur Bottom Feeder, Dazzling Killmen montre que son hardcore est large d'esprit avec un sax en zone libre, renvoyant à toute la bande Big Black et les cinglés noise de Chicago. Un sax que l'on retrouve sur le second 45 sorti en 1991 sur Crime Life records. L'énorme morceau Ghost Limb. Ça me retourne à chaque écoute. Tempo au ralenti, la guitare égrenant sa mélodie tranquille mais poignante. It's a new sad song comme il dit, le sax qui vous enrobe tout ça en beau milieu avant l'explosion contenue du final…. Aaaargh !! On retrouve pour la 1ère fois un 2ème guitariste, Jeff Tweedy (Wilco, Uncle Tupelo) pour les parties de guitare plus complexes. Nick Sakes n'a jamais caché qu'il était un piètre guitariste mais on ne lui en veut pas tant qu'il a la foi et cette voix !

Le premier disque réalisé par le désormais fameux label mais alors inconnu Skin Graft records est un disque de Dazzling Killmen. Ou plutôt un split. On est toujours en 1991. The Strangulated Beatoffs et Snailboy (qui donnera plus tard Shorty puis US Maple) ont été pressenti pour l'autre coté de la face, mais c'est Mother's Day (qui ne fera jamais parler d'eux, bien que j'ai retrouvé dans un carton un double 45, sur Project-A-Bomb records, qui ne vaut pas plus que les deux titres de ce split) qui complètera ce single avec le comic book, un marque de fabrique chez Skin Graft. Un comic satanique où il est question en gros d'un serial killer qui fini sur la chaise après avoir trucidé la terre entière. Que du banal en fait.
Le morceau de Dazzling, Killing Fever, est lugubre à souhait. Nick Sakes alterne entre un parlé très cold et un chant hurlé. Un morceau torturé par excellence qui démontre que Dazzling Killmen a une approche unique et leurs influences ne sautent pas vraiment aux yeux.

Après cette série de petits formats, il est temps de passer à plus long. Et c'est de France que viendra l'ouverture. Oui Monsieur. Un obscur label, Intellectual Convulsion, basé à Paris, contacte la bande de Nick Sakes sur la seule foi de ces 45 et leur propose de financer ce premier album. Le groupe saute sur l'occasion, sans jamais rencontrer le mec en question et sort en 1992 Dig Out The Switch. Le groupe reniera plus ou moins après cet album sous le prétexte qu'il ne représente pas franchement la musique du groupe. Steve Albini, un de leur premier fan, a pourtant enregistré la bête et je me rappelle encore ma tronche quand j'ai écouté ce disque… Soufflé ! Mais ce label a pris du retard pour sortir ce disque. Entre temps, la musique de DK a évolué et quand ce disque débarque dans les rues, le groupe ne se reconnaît plus trop dans cette musique considérant qu'elle a pas mal évolué. Pour info, Intellectual Convulsion n'a pratiquement pas soutenu et distribué cet album. Ce label disparaîtra aussi mystérieusement qu'il est apparu (le label a également sorti un album de Eyehategod et autres musiques amicales dans le style death et définitivement foutu). Mais il faut vraiment faire la fine bouche, leur musique étant toujours bien estampillée Dazzling Killmen. Un disque fabuleux. L'enregistrement d'Albini a donné plus d'impact et de clarté. Le rythme gagne en efficacité et démontre tout son savoir-faire entre groove malsain et binaire explosif (les deux premiers morceaux enchaînés, Serpentarium et Dig The Hole, sont immortels) pendant que la voix de Sakes perd le coté lugubre des 45 pour devenir définitivement prenante. Titres courts et précis. On retrouve des morceaux réarrangés des singles comme Ghost Limb mais sans le saxophone (toujours aussi bien), l'album se finissant sur un péplum de 12 minutes, Code Blue, gigantesque plongée en apnée dans les méandres de leur monde claustrophobique.

Avec le retard accumulé par cet album, Skin Graft sort un nouveau single Medicine Me (+ comic book) pratiquement en même temps. Un second guitariste est définitivement ajouté au line-up, le dénommé Tim Garrigan. Toujours enregistré par Albini, Dazzling Killmen montre effectivement une évolution vers une musique plus complexe et travaillée avec une seconde guitare qui donne du volume à l'ensemble. Medicine Me est une des pièces maîtresses de leur répertoire. De l'autre coté, une reprise de PIL avec le morceau Poptones. Si la mélodie reste fidèle à l'original, Dazzling Killmen lui donne une intensité que l'original n'a pas, s'appropriant de façon inespérée un titre plutôt calme voir dub.

C'est à cette même époque que sort un album live sur Skin Graft mais uniquement en version cassette ! Hé oui, la bonne vieille cassette ! Etrange idée mais le son est carrément correct. Quand on sait que David WM Sims, le bassiste de Jesus Lizard, est derrière les manettes, on comprend mieux !

En 1994, Dazzling enregistre son deuxième album, le pyramidale Face Of Collapse (Skin Graft records, enregistrement Albini). Le disque en déroute plus d'un. Certains préfèrent même le précédent, plus facile d'accès. C'est vrai que la bête ne se laisse pas approcher facilement. Il faut prendre des pinces, vouloir plonger et se perdre dans ce labyrinthe. Plusieurs écoutes nécessaires avant la révélation, le point ultime de non-retour. Cette précision technique où on ne glisserait pas un doigt, ces joutes rythmiques incroyables, ces parties on ne peut plus complexes et déstructurées mêlées à cette émotion qui suinte, cette rage palpable qui vous explose à la tronche. Cette alchimie incroyable vous donnant un morceau qui peut être tout autant incompréhensible et sauvagement binaire, une face obscure et une efficacité redoutable, le groupe étant passé maître dans l'art de maintenir une pression insoutenable avant de la libérer là où vous ne l'attendiez plus. Dazzling Killmen est littéralement écorchant. Des compositions comme Bone Fragments ou My Lacerations sont symptomatiques de cette évolution musicale, ce tour de force où se succèdent de multiples changements de rythmes et de parties avec une exécution chirurgicale mais où la compo garde toujours un noyau central qui avance inexorablement vers une intensité croissante. Et puis cette voix, cette putain de voix, qui fait beaucoup dans Dazzling Killmen, cette voix où se mêle le désespoir et la frustration, grave, chargée, puissante sans jamais être vraiment hurlée. Le hardcore compte de nombreux organes vocaux qui en calme plus d'un mais on reparlera jamais assez du chant unique de Nick Sakes. Painless One, Agitator qui clôture l'album sur une boule de nerf et toujours le morceau long de l'album, plus de 10 minutes d'un In The Face Of Collapse là encore éreintant. La pochette du peintre Paul Nitsche est sublime (ça vous fait un très beau fond d'écran), point d'orgue d'un album qui garde tout son mystère. Les années n'ont pas de prise.

L'album connaît un vif succès critique, une des pièces maîtresses du hardcore/rock des années 90 pour Alternative Press et nombreux autres zines, mags et leurs confrères dans les groupes. Dazzling Killmen n'a sans doute pas eu la même renommée que d'autres groupes de l'époque comme Jesus Lizard, Helmet, No Means No etc… Mais tous ces groupes sont unanimes pour saluer l'œuvre de DK et de nombreux groupes actuels dans le monde du hardcore ont régulièrement cité Dazzling Killmen en référence. De Botch à Dillinger Escape Plan, de Craw à Breach et tout un tas de groupes moins connus.

Hélas, le groupe connaissait trop de problème interne pour continuer l'aventure. L'entente était loin d'être cordiale. On raconte même que le groupe se foutait régulièrement sur la gueule à la fin !
Skin Graft a eu la bonne idée en 1997 de sortir Recuerda. Un album où on retrouve l'album live uniquement sorti en K7, tout leurs premiers singles introuvables et un morceau caché et inédit à la toute fin du CD. La boucle est bouclée.

Le groupe n'est jamais venu faire de concerts en Europe. Mais j'ai eu la grande chance de récupérer un DVD d'un concert des Dazzling (merci 10000 fois Nick !), quelquechose de pas officiel du tout mais de bonne qualité, de constater toute la ferveur de leur prestation scénique, de s'apercevoir que le bassiste et son extraordinaire jeu sont le centre du show avec ses grimaces et ses provocations pendant que Nick Sakes, qui n'a jamais été David Yow, se contente de rester derrière son micro (faut dire qu'il joue de la gratte en même temps) et d'assurer pleinement l'intensité de son chant.

Depuis, chaque membre a continué de façon plus ou moins heureuse dans d'autres formations. Tim Garrigan, le moins impliqué du groupe, a sorti un disque solo où il tente de concurrencer Nick Drake au coin du feu.
Darin Gray a multiplié les projets (l'ennuyeux You Fantastic, Brise-Glace, Yona-Kit, des collaborations avec Jim O'Rourke, Gastr Del Sol etc…) mais le plus intéressant reste son projet nommé Grand Ulena où on retrouve toute la verve de son jeu de basse et une musique qui se rapproche fortement dans l'esprit de celle de Dazzling Killmen.
Blake Fleming a formé par la suite les très bons Laddio Bolocko avant de se fourvoyer avec The Mars Volta (pas pour longtemps heureusement) et de jouer actuellement avec Electric Turn To Me, là aussi pas bon du tout !
Nick Sakes est sans doute celui qui est resté le plus dans l'esprit Dazzling. On se dit après coup que l'âme du groupe, c'était bien lui. Il a formé Colossamite (qui méritera une Oldies aussi !) avec trois jeunes recrutés sur petite annonce. Ces petits jeunes ont eu la chance un jour de voir un concert de Dazzling Killmen (ils n'en sont toujours pas revenus !) et on sauté sur l'occasion pour jouer avec le Nick. Ces petits jeunes formeront plus tard Gorge Trio. Le guitariste John Dietrich joue désormais avec Deerhoof. L'autre guitariste Ed Rodriguez a participé à Iceburn, le dernier album de Flying Luttenbachers et aussi Sicbay, le troisième et toujours groupe actuel de Nick Sakes après la courte vie hélas de Colossamite.

Les tueurs étincelants ont fait plus d'une victime sur leur route dont votre humble serviteur, vous l'aurez compris ! Pour ceux et celles qui ne connaissent pas ce groupe (ça me surprend toujours mais ça existe !) et qui sont sensibles à tous ces groupes cités en référence, je ne saurais que trop vous conseiller de vous ruez sur toute leur discographie de ce groupe vraiment unique. Rien à jeter. A la droite de Père Jesus Lizard, Saint Dazzling Killmen a son siège à vie.

SKX (30/06/2005)

Discographie ::

Numb/Bottom Feeder 7''
Sawtooth records 1990




Ghost Limb/Torture 7''
Crime Life records 1991




Dazzling Killmen/Mother's Day split 7''
Skin Graft/Sluggo 1991












Dig Out The Switch - CD
Intellectual Convulsion records 1992



Medicine Me/Poptones - 7'' + comic book
Skin Graft records 1992








Lounge axa live - 02/25/93 - Tape
Skin Graft 1993



















Face Of Collapse - LP
Skin Graft 1993




Recuerda - CD
Skin Graft 1997