sheikanorak
gaffer





Sheik Anorak
Let’s Just Bullshit Our Way Through – CD
Gaffer 2016

Je suis quand même un peu, beaucoup, dans la merde. Je m’apprête à dire tout le plus grand bien du monde de Let’s Just Bullshit Our Way Through, le nouvel album de Sheik Anorak (parution officielle le 6 février 2016) et j’ai peur de ne pas vraiment y arriver. Alors, comment faire ? Comment faire pour parler d’un album certes un peu court – sept titres et vingt neuf minutes, si tu veux tout savoir – mais qui regorge de tellement de choses, de tellement de trésors ? Evidemment, lorsque au fil des années on a fini par nouer des relations un peu privilégiées avec un musicien dont on connait autant la musique qu’on le connait lui, dans le privé, on peut très facilement être taxé de subjectivité bienveillante et de favoritisme mal placé. Mais j’assume parfaitement la déferlante de compliments XXL qui va suivre, d’autant plus que je suis rarement atteint du syndrome de la demi-mesure, que l’exaltation fanatique est mon fond de commerce et que lorsque j’aime, c’est que j’aime vraiment.

Le plus simple serait de te dire d’aller écouter par toi-même Let’s Just Bullshit Our Way Through et de l’aimer ou de le détester, au choix. Mais je ne crois sincèrement pas que l’on puisse détester un tel disque. Je ne crois pas non plus que l’on puisse y être indifférent – si tant est, bien sûr, que l’on soit amateur de guitares subtilement noisy, de mélodies à fleurs de peau, de beauté matinale et un peu brumeuse, de soleil de minuit et d’émotions délicates. Keep Your Hands Low, le prédécesseur de Let’s Just Bullshit Our Way Through, avait déjà marqué un tournant, c’était un disque qui osait réellement pour la première fois le chant, la mélodie qui reste dans toutes les têtes, libérant le côté « pop », pour ainsi dire, de la musique de Sheik Anorak. Let’s Just Bullshit Our Way Through creuse encore plus loin dans cette direction parce que cet album comporte des chansons encore plus abouties et que mêmes les passages ou les titres entièrement instrumentaux sont d’une finesse qui confine à l’émerveillement (le pourtant très simple S. Barigool ou Upp Med Armarna, ce qui en suédois signifierait quelque chose comme « lève les bras »…).

Pour arriver à ce résultat, Franck/Sheik Anorak a un peu changé ses manières de faire : aux surimpressions bien connues de boucles de guitares a succédé un travail de production en amont et de nouveaux types d’arrangements font ici leur apparition comme le vibraphone (?) sur Speaking Voice et surtout des sons et bidouilles synthétiques sur une partie non négligeable des compositions, sans doute une conséquence directe de l’implication de Franck dans la musique électronique via son nouveau projet Bless/Curse. Même les guitares, davantage en retrait donc, semblent bénéficier de ce renouvellement de subtilité et privilégient systématiquement la grâce à l’étourdissement (pour cela je ne peux que conseiller d’aller écouter Or et de se plonger dans ses stridences fracassantes). Si on reconnait malgré tout la patte Sheik Anorak et ses boucles de guitares sur le déjà nommé Upp Med Armarna (placé à la toute fin du disque, comme une sorte de « signature » a posteriori), la plupart des titres – instrumentaux ou non – dévoilent de nouveaux aspects, portés sur le clair-obscur, une mélancolie envoutante (Call It Off) ou des certitudes un peu tristes (So Long, quelque part entre Gastr Del Sol et Papier Tigre, si j’osais).

Mais le véritable intérêt de Let’s Just Bullshit Our Way Through est peut-être à aller chercher ailleurs, Sheik Anorak s’affirmant sur ce disque comme un chanteur plus que jamais en pleine progression et comme un réel compositeur de chansons frisant le magnifique. Si je viens déjà d’évoquer Speaking Voice, So Long et Call It Off, je ne sais à nouveau pas trop quoi dire sur la plus belle d’entre elles… Liar allie finalement toute les qualités de Let’s Just Bullshit Our Way Through avec sa première partie réellement poignante (et chantée) qui interagit en contrepoint avec la seconde, elle complètement instrumentale et sur laquelle les guitares sont de sortie sur une rythmique enlevée. Association née du hasard ou pas cela n’a aucune importance, Liar est le sommet émotionnel d’un album particulièrement réussi et extrêmement touchant. Un disque qui pour l’instant n’existe qu’en CD mais dont j’espère bien qu’une version vinyle verra le jour.

Hazam (24/01/2016)