Deity Guns
A Recollection - 3xCDs
Ici D'Ailleurs 2009

Cette chronique n'était pas prévue au programme. Mais suite aux atermoiements que le Diesel Dead Machine de Zëro a procuré, une irrésistible envie de remonter à la source et d'écouter les Deity Guns s'est pointée. Alors autant profiter de cette occasion pour reparler de A Recollection, compilation trois CDs de l'oeuvre des lyonnais sortie il y a presque un an. Comme on est chaud comme la braise, on complète le tableau dans la rubrique Art of Losing avec Electricity, le live in Italy de 1991 et le 45 tours sorti sur la Bande à Bonnot en 1992, le morceau Extra love on a parallel world étant bizarrement non présent ici alors que l'autre face, Doors of India, y figure.
Comme la porte est ouverte à tous les excès et qu'on nage en pleine nostalgie béate, on en rajoute une dernière couche à une époque où le papier était cool (il l'est toujours d'ailleurs mais on fait avec les moyens du bord) avec une interview de Deity Guns datant de 1993, où il est beaucoup question de Trans-lines appointment, de la France et de sa culture rock et de projets post-Deity Guns dont l'un est définitivement resté dans les cartons. Toujours amusant, après toutes ces années, de revenir sur ces propos et de les lire à la lumière d'aujourd'hui.

Deity Guns, c'est essentiellement deux albums. Stroboscopy en 1991 sur Black & Noir, (feu)le label de leur potes des Thugs et Trans-lines Appointment en 1993 sur Big Cat, le label de Jim Thirlwell (Monsieur Foetus). Les Lyonnais avaient mis leur destinée entre de bonnes mains.
Stroboscopy, c'est la genèse, le poids des influences encore palpable. Sonic Youth en première ligne. Ils en ont bouffé de cette comparaison mais ils s'en sortent bien. Une influence essentiellement dans le jeu des deux guitares en mode tronçonneuse stridente alors qu'on se prend des tombereaux de batterie dans la tronche et que la basse ne fait pas dans la figuration elle non plus. Si pour l'étranger averti, ce jeune Deity Guns fougueux n'avait rien de révolutionnaire, le français averti était aux anges. Et les autres hagards. Sonic Youth et des tas de groupes bruyants américains les poussaient au cul certes, mais dans la France du punk alternatif, c'était déjà ça de pris. Deity Guns était parmi les premiers à poser les bases du noise-rock en France. Ou on moins à le faire connaître au-delà d'un petit cercle d'initiés. Presque vingt ans plus tard, c'est toujours avec un plaisir non dissimulé qu'on se prend Kurious... here today, déclenchant les hostilités après le Fire à la fin du sample initial, les lamentations en boucle se demandant How many Circles pour nous faire tourner bourrique ou la décharge d'Optical Burst, mis en boite par Gilles Théolier (à qui on doit le groupe Hydrolic Systems et le brûlant single sur Black & Noir). Au départ prévu pour un simple 45 tours, Deity Guns a fait le forcing auprès des frères Sourice pour sortir un 6 titres qui doit son nom aux nombreux stroboscopes que le groupe utilisait sur scène. Deity Guns entend marquer les esprits. Ca se fera au-delà de toutes leurs espérances.

Pour Trans-lines Appointment, Deity Guns s'exile à New-York, rencontre leurs maîtres (Wharton Tiers et Lee Ranaldo) et passe dans une dimension supérieure. Fini la puissance brute et le bruit de masse. Les Lyonnais élague leur son. Le rythme ralentit, élargit son champ d'action. Deity Guns dompte l'énergie qui bouillonne en eux, la torde, joue avec la tension et l'explose en vagues déferlantes, garde le rock au centre du débat tout en lui faisant subir outrages et sévices. On ne va pas repasser en détail les neuf titres de cet album vu qu'on était même pas censé en parler. Il n'est pas difficile de trouver des commentaires sur de nombreux sites et l'interview ci-dessous en parle déjà pas mal. Juste retenir que Trans-lines Appointment est, sans vouloir en faire des tonnes dans l'exégèse, un disque angulaire de la scène française (on pourrait aller au-delà des frontières mais ça va devenir compliqué), un mélange de l'urgence du rock et d'une approche expérimentale, ne privilégiant jamais l'un au détriment de l'autre mais une musique toujours tendue vers une émotion, quelle qu'elle soit. Cet album est l'aboutissement parfait d'une démarche pour aller sans cesse de l'avant, prendre des risques, transcender ces influences de base pour trouver son propre terrain de jeu. Un album achevé en février 1993 et sorti dans la foulée, le groupe se séparant juste après, en décembre de la même année.

Mais A Recollection ne propose pas que ces deux plats principaux. A la fin de chacun de ces deux albums prenant place sur deux CDs différents, Deity Guns a sorti les trésors de guerre. Deux titres figurant sur des compilations. La fameuse Serial Killers vol. 1 avec l'excellent Vacuum Tubes et la compile Passionnément et le titre qui m'était totalement inconnu jusqu'à ce jour et toujours une histoire de rendez-vous, Appointment in Sète, ou comment cauchemarder au pays de Brassens.
Ils ont également eu la bonne idée de mettre la meilleure reprise du monde (avec le Poptones de P.I.L. par les Dazzling Killmen), j'ai nommé Smile de The Fall, que le zine Abus Dangereux avait sorti mine de rien sur leur petit bout de CD 3 pouces.
Autre mets important de leur courte discographie, le EP 4 titres Loom, qui fait la jonction entre Stroboscopy et Trans-lines Appointment. Des titres qui hésitent encore entre la puissance, la distorsion rougeoyante (The Opposition Act), le noyau mélodique captivant (Shaman) et des ambiances plus tordues mais toutes aussi palpitantes (She loomed).

Le troisième CD est une affaire de concerts. Pas ma tasse de thé préférée, ces moments de sueur collés pour l'éternité sur le froid support numérique. C'est surtout l'occasion de se remémorer des faits anciens, les kilomètres tracés pour voir un paquet de fois les lyonnais sur scène, endroit qu'ils maîtrisaient à merveille, que ce soit à L'Arapaho à Paris avec Unsane ou au festival de Saffré (près de Nantes) devant un public venu voir les Urban Dance Squad. Ou encore dans ce troquet à Janzé, à 30 bornes au sud de Rennes, avec Drive Blind, devant six personnes dont les deux proprios (la Quimperlé connection, ceci expliquant l'incongruité de ce genre de concert dans un tel bled) et une équipe de basket de retour de leur entraînement du vendredi soir et qui avait modérément apprécié les effluves soniques de l'équipe lyonnaise.
A Recollection propose deux concerts. Rome, le 4 avril 1992 et le tout dernier, à la maison, le 3 décembre 1993. Celui de Rome est de loin le plus intéressant. Que ce soit pour la qualité de l'enregistrement ou pour l'inédit offert, le très bon Anyway. Et le Extra love on a // world du 45 tours de la Bande à Bonnot qui est en fait exactement le même morceau, enregistré au même endroit, la version du 45 commençant juste un peu plus tôt avec un faux départ.
Mais à Lyon, on sent poindre, derrière le son médiocre, toute l'intensité et la passion que drainait Deity Guns. Encore plus quand on sait que c'est le tout dernier.
Une heureuse initiative du label d'Ici d'Ailleurs, même si on a déjà tout et qu'on se sent d'un coup encore plus vieux, ne serait-ce que pour le livret intérieur et le texte hommage de Lee Ranaldo / article de presse / photos / posters / affiches d'une autre époque dont l'écho garde toute sa force vingt ans plus tard.

SKX (13/02/2010)