savageland


16-17
Gyatso - CD
Savage Land 2008

Savage Land, label lyonnais, poursuit son œuvre de restauration. Trois ans après Hardkore & Buffbunker et When all else fail, c'est la pièce maîtresse de la discographie de 16-17 qui revoit la lumière du jour. Un disque on ne peut plus d'actualité puisque Gyatso est le nom d'un moine tibétain (Palden Gyatso) incarcéré et torturé pendant 33 années dans les prisons chinoises. Un retour de flamme olympique d'un album tourmenté pour célébrer la force de vie de ce moine qui a survécu au cauchemar. Un album comme un parcours semé d'embûches, rien d'une ballade printanière. L'écoute est accidentée, dense, âpre mais délivre une énergie libératrice, expulsion de haine et rédemption au bout du chemin.
Après un hiatus de quatre ans où le groupe se fait rare, l'intérêt de Alex Buess (saxophoniste et tête pensante de 16-17) en 1994 pour les techniques d'enregistrement va changer la donne. Avant tout un groupe de scène, aimant sur leurs précédents disques recréer en studio des conditions d'enregistrements live, voir carrément mettre des morceaux pris dans la fournaise de concerts, ils vont cette fois-ci passer sous l'ère du numérique, faire rentrer leur rage dans les tuyaux d'ordinateurs, la soumettre à Saint Pro-Tools, infiltrer leur colère de samples tortueux. La rencontre de Buess et Kevin Martin (God) lors de l'enregistrement du deuxième album de Alboth! en 1993 puis plus tard quand Buess sera invité sur Ice, un autre projet de Martin, sera déterminante.
Si la base de travail reste des morceaux issus de sessions live par le trio original (Buess-Kneubühler-Remond), Martin va apporter toute sa science de studio pour retravailler avec Buess la matière vivante de 16-17. Et Dieu sait dans son infinité bonté combien cette chair est vivante. Volcanique. Le Phil Spector de l'enfer comme s'amusait à s'auto-proclamer Martin va construire un mur du son à la mesure de la folie de 16-17, le propulsant dans un monde à des années lumière de la scène jazz d'où est issue Buess et sa clique. Si à l'époque, cette nouvelle approche est un crime de lèse-majesté pour certains puristes du groupe, le résultat est totalement bluffant. L'énergie du groupe reste intacte. Elle est même amplifiée, décuplée, impressionnante.
Il suffit d'enclencher la bête pour s'en persuader. Attack-Impulse, morceau d'ouverture, met KO au premier round. Rythmique primaire, caisse claire en rafale à basse altitude, saxo démoniaque joué tout autant sauvagement, c'est une charge en avant jouissive et bestiale. Le duo Buess-Martin s'est amusé à broyer, découper, hacher la matière première du groupe, rajouter des couches sonores, des strates de poison et des vagues de représailles. L'invité de marque Christian Green (Godflesh) et sa basse menaçante ne fait rien pour mettre un peu de douceur. N'empêche, n'empêche. Ce disque est loin d'être un seul produit de studio. Un monstre de technologie froid et sans âme. C'est bien de rock dont on parle. Un rock extrême, sans concession, aux confins du jazz, du metal, du punk, à la croisée des Flying Luttenbachers, God(flesh), John Zorn. 16-17 secoue violemment les convenances, redistribue les rôles et les gifles, passe de morceaux plus cérébraux et déconstruits à des morceaux physiques, étouffants, à coup de rythmes enfonçant le clou de vos angoisses de façon tour à tour sommaire ou tribale.
Un disque aux possibilités infinies symbolisé par les deux derniers morceaux sous forme de remixes. The Trawler et Motor, présents au générique sur ce Gyatso, revus (mais pas forcément corrigés en mieux) par les deux savants fous, leurs désirs et limites d'expérimentation semblant démesurés.
Comme pour la précédente réédition, Weasel Walter s'est coltiné la remasterisation sans que cela sonne prépondérant (Gyatso, 14 ans d'existence et toutes ses dents). La pochette (parue en 1994 sur Pathological, le label de Kevin Martin) a quant à elle subi un relifting. La photo de l'actuelle pochette figurait à l'origine à l'intérieur du livret et Jason Pettigrew (Alternative Press) a écrit l'oraison de cet album qui retrouve une seconde vie. Jamais un groupe original n'aura autant mérité la banale conclusion : à découvrir d'urgence.

SKX (11/04/2008)