Pour s'appeler God, il faut une bonne dose de prétention, d'inconscience, de folie ou une dévotion à toute épreuve dans sa musique. Ou alors, une façon de signifier que la musique de God embrasse tous les styles, venez à moi pauvres pêcheurs qui aimez le rock, le free-jazz, l'industriel, le dub, la noise, les musiques extrêmes, tout est dans God et God est musique. Un être unique dont le God en chef se nomme Kevin Martin. Ses apôtres étaient nombreux et un de ces disciples préférés s'appelait Justin Broadrick. Il avait également du God dans son nom mais avait ajouté Flesh à la fin, de peur de subir les foudres du Créateur, comme tant d'autres groupes (God Bullies, Godheadsilo, God and Texas, God Machine, Young Gods etc..).
Mais God était sûr de sa force. Un collectif impressionnant dans lequel on trouvait multitude d'adeptes dévoués à la cause. Tim Hodgkinson (alto & baritone saxophone), Lou Ciccotelli (batterie + percussions), Scott Kiehl (percussions), Dave Cochrane et Gary Jeff (basses), John Edwards (contrebasse). Des musiciens ne figurant pas chacun à tour de rôle sur un des albums de God mais jouant tous en même temps, sur disque ou sur scène. Il faut rajouter Broadrick à la guitare sur pratiquement tous les albums de God, un ou deux cuivres en plus, un violon électrique et des invités de luxe. John Zorn, Alex Buess (16-17), Gary Smith (guitare), Peter Kraut (piano) et Dietmar Diesner (saxo soprano). Kevin Martin ne fait pas que le chef d'orchestre. Il chante et hurle dans un saxophone ténor. Ce n'est plus un collectif mais une horde sauvage. God, le souffle des plus grands sur votre misérable nuque, démontrant que nul besoin d'avoir de pouvoirs divins pour vous faire entrevoir le paradis.

Sur Breach Birth, premier maxi de God, le vinyle est avare en renseignement sur la formation. Tout juste sait-on que Broadrick n'a pas joué dessus, se contentant de produire les trois titres réalisés par Situation Two en 1990. Meat Head s'étale sur toute une face. Huit minutes pendant lesquelles la machine God marque son territoire. Groove hypnotique et multiforme, saxophones stridents, guitares vicieuses, basses monolithiques, psalmodie de Kevin Martin qui ne fait pas mine de hurler à la lune. On sait désormais que God est né dans un volcan. Sur la face B, Swine Fever et Crash Victim, deux titres tournant autour des deux minutes chacun. Soit ce que God a fait de plus court dans toute sa discographie. Et de plus rock. Mais démontrant au passage qu'ils pouvaient aussi causer un maximum de dommages en un minimum de temps.

La deuxième sortie de God est un single en décembre 1990, format assez ridicule quand on pense au péplum que God a l'habitude de créer. C'est pour le prestigieux Singles Club de Clawfist records, label londonien sur Portobello Road, ayant sorti une multitude de split 45 tours (1400 exemplaires chacun) entre 1990 et 1995. Chaque groupe reprenait un morceau du répertoire de groupe de l'autre coté de la galette. God reprend le Car First de Terminal Cheesecake et ces derniers transforment le Meat Head de God en une longue marche bruitiste encore plus cauchemardesque et foutoir que l'original. Quant à God, ils la jouent mesuré. Car First apparaissant sur Jonny Town-Mouse (Wiiija records 1989), le premier album de Terminal Cheesecake, est essentiellement de/reconstruit à base de samples, d'une rythmique martiale et de triturations sonores/vocales rajoutant au climat oppressant de l'ensemble.

Le premier album est un live. Loco sur Permis De Construire Deutschland (Europe) et Pathological (USA) en 1991. Un enregistrement concert semble logique pour rendre compte de toute l'intensité et densité de la musique de God. L'avenir prouvera le contraire. Dix musiciens sont présents, l'artillerie lourde est de sortie. Deux batteurs, un percussionniste, deux bassistes, un contrebassiste, deux saxophonistes, plus celui de Kevin Martin et un guitariste perdu au milieu de tout ce déluge. C'est d'ailleurs à peine si on l'entend. Et quoi de plus normal quand on est God d'enregistrer un album à la St. Mary's Church. Il n'est nulle part écrit dans quelle ville se trouve cette église. J'imagine qu'avec un nom pareil, il doit y en avoir un paquet mais disons que c'était en Angleterre. God, en si peu de temps d'existence n'avait sans doute pas eu l'occasion de sortir de son île.
Broadrick n'est toujours pas crédité en tant que musicien mais il est encore à la production avec K. Martin. Cinq titres seulement mais trois incantations dépassant les dix minutes. Les murs de l'église tremblent encore. Une messe païenne ressemblant à un gros acide qu'on te colle dans la tronche, l'assurance de voir s'envoler des angelots verts dans la nef et tenter de les dégommer avec des canettes de bière dans un grand éclat de rire dément. Une jam immense avec des rythmes sur lesquels baveraient Skull Defekts, des vociférations sporadiques et ne semblant pas être du seul fait de K. Martin, des cuivres sifflants, free et tortionnaires, de grosses basses presque rassurantes, gardant le cap, tout en rondeur caverneuse et en boucles. Loco, c'est fou certes mais c'est encore assez brutal, livré tel quel, sans le souci du détail. Une transe bruitiste mal dégrossie, un exorcisme où les musiciens sont livrés à leur propres lubies et montées d'adrénaline.
Mais un beau bordel quand même.

Possession sort l'année suivante, en 1992, sur Virgin records. Et oui, God est à ce point et ne s'épargne pas de menus plaisirs chez les grosses majors. Deuxième album mais premier enregistrement studio. On peut douter d'une telle entreprise, se demander comment faire rentrer un tel monstre sonique dans les tuyaux d'une console, rendre compte de toute la puissance, la sauvagerie et la richesse musicale d'un collectif hydrocéphale sans rien perdre au passage. Kevin Marin se colle lui-même à la production avec Steve Lowe en tant que recording engineer. Le résultat est époustouflant.
Non seulement, God ne perd aucunes miettes de sa souveraineté mais il dévore chaque centimètre d'espace tout en lui donnant de l'ampleur. Chaque instrument garde un impact incroyable, vigoureusement audible, ne bouffant pas les plates-bandes du voisin mais participant à la toute puissance d'un orchestre inhumain. Le bordel est dompté tout en gardant sa vitalité effarante. A l'état brut mais brillant de l'intérieur. John Zorn débarque sur trois morceaux, Peter Kraut sur quatre avec son piano. Justin Broadrick intègre God pour la première fois en tant que guitariste à part entière. Steve Blake amène un didgeridoo en plus de sa panoplie de saxophones (alto, tenor et bariton), Tim Hodgkinson y va de sa clarinette basse en plus de son saxo alto. Avec deux batteurs, deux bassistes, un contrebassiste, des samples et le chant inquiétant de Kevin Martin, c'est bien possédé (et épuisé) que vous êtes à la fin de Possession.
Huit titres évoquant tous une messe noire. Psychédélique, non pas dans le sens Pink Floydien mais bouffée délirante qui te fait enfoncer plus bas que terre plutôt que décollage vers le Nirvana et se traduisant par le morceau Hate Meditation, au cas où ce n'était pas clair. Toutes idées de transe chez God se transforment en une envie d'en découdre, se cogner contre les murs, un exutoire cathartique de pensées négatives dont l'écho résonne dans des titres comme Return to Hell ou Fucked. Les cuivres strient l'air, sirènes d'un nouvel ordre, tous les instruments s'emmêlent, bataillent, les basses grondent, pilonnent, ça peut-être exténuant mais c'est surtout intimidant. Possession se termine par Black Jesus, un morceau de solo de cloches (il fallait oser) sonnant le glas de toutes résistances et dont le bourdonnement se perd dans les stridulations des cuivres et de samples diaboliques.
Manquait plus que le sacrifice de la chèvre pour que la fête soit totale et s'attirer les bonnes grâces de God.

Mais God est plus fort que toi. La joyeuse bande de Kevin Martin enchaîne en 1993 avec Consumed, un nouvel album live, édité par Sentrax en collaboration avec Blazer Corps. Quatre titres enregistrés à Zurich, à la ''Rot Fabrik'' (le vrai nom de cette salle suisse est Rote Fabrik), le 28 mars 1992 par Peter Pfister.
Les lives de God, c'est bien mais ils possèdent certains désavantages sur les enregistrements studio. Un son moins précis mais imposant tout de même et surtout une tendance à trop s'étaler. Il est entendu qu'un morceau de God ne peut faire trois minutes avec couplet-refrain. Le studio arrive quand même à circonscrire le feu bouillonnant en eux alors que sur scène, les membres de God semblent inarrêtables, partis dans des jams effrénés et éreintantes. Sur Consumed, seulement quatre morceaux mais plus d'une heure d'un magma sonore s'écoulant avec acharnement. Dont un Lust de près d'une demi-heure ! Le son cogne moins, les basses n'ont pas l'impact de Possession mais God nous gratifie de plusieurs moments de bravoure, d'intensité incendiaire, de montées d'adrénaline en plein delirium tremens comme sur Suck like a leech.
Sur ce live, on retrouve l'habituel clique (Martin, Hodgkinson, Edwards, Cochrane, Ciccotelli, Khiel, Jeff), le noyau dur, avec en plus S. Picard au saxophone alto, N. Wenner à la guitare et Dietmar Diesner au saxo soprano. God tutoie l'enfer.

C'est avec The Anatomy of Addiction que j'avais découvert l'univers sonore de God en 1994. Dans le titre, il y a addiction et ce terme revient sans cesse dès que le bouton play est enclenché. Impossible de s'en dépêtrer. Chaque écoute vous soumet à l'incroyable puissance et beauté bestiale qui en découle. C'est l'Album de God, un ton encore au-dessus de Possession. Réalisé par Big Cat records, le label de Jim ''Fœtus'' Thirlwell, c'est le disque de la consécration. God pourra mourir tranquille après ce Golgotha.
Sur The Anatomy of Addiction, God arrive à être concis - oui, une moyenne de six minutes pour God est synonyme de concision - à peine un morceau de dix minutes et Detox finissant l'album en 18 petites minutes. Le groove introductif et faramineux de On All Fours marque tout de suite son homme. Les basses rentrent dans la chair, God semble gagner en pulsation, en martèlement, comme si c'était encore possible, lamine le bas ventre pendant que la voix de Kevin Martin se fait plus menaçante que jamais. Un album plus clair et ainsi, encore plus salement efficace. Malgré le fait que God soit toujours dix musiciens fiévreux, plus Alex Buess en invité, The Anatomy of Addiction est le plus digeste des albums de God. La bande de Kevin Martin n'hésite pas à calmer les rythmes et les décibels, comme sur le sombre Tunnel. Mais le groove monstrueux n'est jamais loin, revient de plus bel sur le tribal Bloodstream, traverse de part en part le génial White Pimp Cut Up, hymne halluciné du répertoire de God, tout comme le morceau suivant, le furieux Gold Teeth. Les cuivres sont également plus variés, ne se contentant plus de souffler sauvagement mais dessinant des arabesques orientales, hypnotisantes et lugubres.
The Anatomy of Addiction, c'est une déflagration maîtrisée de bout en bout, les Dieux du chaos faisant main basse sur l'énergie et la transformant en un album illuminé. Si il fallait commencer par un album de God ou si il n'en fallait qu'un, The Anatomy of Addiction est là pour vous rassasier. Un abîme sans fond. La messe est dite.

En 1995, un dernier enregistrement sort tout de même mais c'est un disque de remixes, Appeal To Human Greed, sur Big Cat records. Cinq morceaux retravaillés par Justin Broadrick (On All Fours, avec ligne de basse très Godflesh), Kevin Shields (Tunnel, tout moite et rampant), Bill Laswell (Bloodstream, morceau dont Kevin Martin propose également une autre version, le Peckinpah Mix) et Lumberjacks (Gold Teeth). Mais les disques de remixes m'ont toujours emmerdé et rien d'indispensable surpassant les originaux n'est proposé sur ce CDEP.

Quant à la fin de God, Kevin Martin donne une explication assez simple :

"Lors de notre dernier concert, ce fut un désastre. Que ce soit au niveau des amplis qui ont cramé, des membres du groupe qui n'avaient pas assez répété ou ne se sentaient pas concernés. Même les voisins se sont plaints pendant la balance. Bref, toute l'habituelle merde à propos des concerts de rock. Après nous, The Disciples jouait. Juste un type avec son soundsystem. Cette soirée là, on était douze sur scène. Deux bassistes, un contrebassiste, deux batteurs, une troupe de percussionnistes africains, un violon électrique, deux saxophonistes et moi hurlant à travers une table d'effets. Mais tout ce que je voulais faire en terme de groove, de désorientation ou confrontation sonore, d'excitation et énergie, tout ça était réalisé par ce seul type avec ses petites boites d'effets. Ca m'a carrément bluffé. C'est devenu une obsession". (Uncarved.org)

Et cette obsession a pris le nom de The Bug et autres projets plus ou moins en solo, sans oublier Techno Animal (avec Justin Broadrick) et Ice dont les deux albums Under The Skin et Bad Blood valent aussi le détour.

SKX (06/02/2012)

Discographie ::

.Breach Birth 12" - Situation Two records 1990
. God/Terminal Cheesecake split 7'' - Clawfist records 1990
. Loco CD - Permis De Construire Deutschland (Europe)/Pathological 1991
. Possession CD - Caroline/Virgin records 1992
. Consumed CD - Sentrax records 1993
. The Anatomy Of Addiction CD - Big Cat 1994
. Appeal To Human Greed CDEP - Big Cat 1995