Neurosis
+ Swans + The Ex
Festival Villette
Sonique
Samedi 25 mai 2013 - Paris
Après
le concert de Come de la
veille, après un retour épique vers notre bienveillant hôte
dans le labyrinthe des rues parisiennes avec une équipe de bras
cassés et, heureusement, un guide plus lucide que la moyenne il
est vrai pas bien élevée, après une nuit à
dormir à toute vitesse et des cernes supplémentaires, le
week-end à la rencontre des dinosaures se poursuit. Come, The Ex,
Swans, Neurosis, vous additionnez le tout et vous avez plus d'un siècle
d'activisme ! Paye ta brochette de découvertes de jeunes talents.
Et pourtant, que ce soit Come ou les Swans, c'est une grande première.
Et ça serait presque le cas pour The Ex. J'ai beau les avoir vu
quarante-douze fois, jamais en version cuivre. C'est la fin d'après-midi,
le concert est en plein air sous un ciel menaçant dans le parc
de la Villette, c'est gratuit, familial et une bonne assemblée
se regroupe devant The Ex & The Brass Unbound (from outer space !).
La seule anomalie dans le paysage et cette atmosphère bon enfant,
c'est le cordon de sécurité et ces molosses en orange fluo
séparant de deux bons mètres, la scène et le public.
Une sécurité que Andy et Terrie ne vont pas tarder à
dégager après quelques remous dans la foule. Les anars ne
se refont pas. Et là, ça va devenir le grand n'importe quoi.
Le public s'invite sur scène, ça n'arrête pas, des
gros, des petits (voir très petits avec des casques anti-bruit),
des égarés, des avec chapeau que je t'aurais bien fait bouffer,
du stage-diving mollason, et des danseuses hystériques dont la
palme revient à une nana dansant comme si elle était à
un concert de Soundgarden et qui finira en soutien-gorge tout en baissant
son froc, dos au public. Le ridicule ne tue pas sinon il y aurait eu une
belle hécatombe. Et comme je ne suis pas un vieil anar mais un
sale réac qui n'aime pas qu'on lui gâche son paysage, je
t'aurais bien botté le cul à tout ça, fissa. Et entre
deux sourires entendus et trois crochets pour éviter les danseurs,
on sent que The Ex en ferait bien autant mais ils sont pris à leur
propre piège.
Le Brass Unbound étant à géométrie variable,
seul Mats Gustafsson présent sur Enormous
Door n'honore pas la Villette de sa présence et est remplacé
par le grand échalas hollandais Ab Baars. Ce qui ne change strictement
rien à l'affaire. Tous les titres de l'album défilent, le
groove et la puissance de l'orchestre sont imparables et diaboliquement
entraînants. Et quand ils jouent State
Of Shock que j'espérais secrètement, c'est le bonheur
à l'état pur, avec solo de trompette d'un rayonnant Roy
Paci en supplément. Un, voir deux rappels plus loin, tout le monde
termine sur scène, on se croirait à un concert des Wampas
mais la fanfare The Ex est autrement plus consistante. Et s'est barrée
depuis longtemps.
Après
ce grand moment de convivialité et d'harmonie des peuples, direction
la grande halle de la Villette pour les choses sérieuses où
on va enfin pouvoir tirer la tronche et invoquer les ténèbres.
Swans, Neurosis, les prétendants à faire des pitreries avec
le père Gira ou les boute-en-train Kelly et Von Till vont être
un poil moins nombreux.
Mais avant ça, il faut se farcir Master Musicians of Buccake. Un
étron musical répandant sa merde psychédélique
qui ne fera que rire le temps de découvrir le chanteur avec sa
tête de cerf et les déguisements de chez Noz du reste de
la troupe. Là encore, heureusement que le ridicule ne tue pas sinon
Master Musicians of Buccake serait rayé de la carte, ce qui, ma
foi, serait une bonne chose.
L'arrivée
de Swans sur scène est conforme à ce que j'attendais. Michael
Gira, despote éclairé des Swans, commence par incendier
le préposé aux lumières. Trop de lumière dans
la gueule, pas assez derrière lui, nan, c'est toujours pas ça,
geste de dépit, vraiment que des incapables ici. Des sifflets se
font entendre alors que moi, ça a le don de me mettre un grand
sourire au travers de la tronche. Un Gira des grands jours ne peut que
donner un grand concert.
La mise en scène est impressionnante, entre la batterie et tous
les éléments percussifs de Thor Harris le viking multi-instrumentiste,
Christopher Hahn assis devant sa lap steel guitar, Norman Westberg relégué
sur la gauche avec sa guitare et le bassiste Christopher Pravdica, près
du Maître qui attire tous les regards. La grande messe peut commencer.
On va s'en prendre plein les tympans, Swans ayant toujours la réputation
de jouer à un volume indécent, attention, ça va saigner
et et bin non, en fait ! Le volume est correct, le son est bon mais
loin de l'agression annoncée, on peut discuter avec son voisin
sans lui déchirer le tympan.
Gira commence son show, mi-théâtral, mi-possédé
avec sa chorégraphie de cinglé, loin d'être le dictateur
imposant ses ordres à ses troupes obéissantes au doigt et
à l'oeil comme j'ai souvent lu mais avec un charisme flippant.
Ou alors, je n'étais pas assez près de la scène pour
observer les moindres détails. Les longues montées, les
vagues bruitistes, les roulements de tambours, les répétitions
dévastatrices, la puissante mélopée mélancolique,
la violence brute et la fin du monde s'annoncent, c'est beau à
voir et à entendre. Mais c'est aussi très long. Plus d'une
heure et demi de concert. J'ai résisté plusieurs fois à
la tentation de m'éclipser, entre la vessie à l'agonie et
le gosier qui demande qu'on la remplisse, entre les jambes flageolantes
et, il faut bien avouer, les longueurs monotones d'un concert souffrant
des mêmes défauts que The
Seer. Difficile donc de s'accrocher sans sourciller aux longs
mantras hypnotiques, de rester en suspension indéfiniment en haut
de la crête à émotions que les Swans sont parfois
capable d'atteindre.
Néanmoins, le plaisir d'avoir vu les Swans domine. Un concert particulier,
une aura intacte après 30 ans de vie, pour un groupe unique, comme
cette sortie où les Swans, tous sur le devant de la scène,
comme au théâtre, saluent et applaudissent longuement le
public, Gira nommant chaque membre du groupe et se présentant lui-même
comme la Cicciolina. Cet homme est donc capable d'humour.
La déflagration
sonore, c'est pour Neurosis. Les fins connoîsseurs se disaient que
Neurosis allait se faire bouffer en passant après les Swans, question
volume sonore. Les premiers accords de grattes vont largement prouver
le contraire. Je me sens comme tout petit d'un coup. Infrabasses dans
le bide, les synthés et nappes bruitistes de Noah Landis qui irradient
tout votre être jusqu'aux extrémités, les voix grondantes
de Von Till et Kelly vous chauffant l'épiderme, moi aimer beaucoup
ça. Neurosis vous scotche sur place.
Alors, forcément, on est loin de la première fois où
je les avais vu au Confort Moderne ( Poitiers) à l'époque
de Enemy of The Sun. De l'eau a coulé sous les ponts des
artères de Neurosis qui a évolué et ne cherche pas
à courir après sa jeunesse. Le concert est à l'image
de Honor
Found in Decay largement représenté ce soir. Ce
n'est plus aussi violent et véhément, plus aussi furieux
mais cette musique de vieux, jouée les dents serrées, le
regard toujours aussi noir avec la trogne des mauvais jours, même
si c'est à chaque fois la même chose, j'adore ça.
Plus d'images/films projetés derrière le groupe, changement
de batteur avec l'arrivée de Jason Roeder (Sleep), un Noah Landis
malmenant et abattant son poing sur les claviers, le doux géant
Dave Edwardson à la basse, débonnaire et à la voix
gutturalement divine, les accords plaqués comme si c'étaient
les derniers d'une longue lignée, les rythmes lourdement appuyés,
ces mélodies épiques se diffusant comme un venin innocent
(At the Well et We All Rage in Gold), avec ce son ENORME,
je ne vois tout simplement pas passer l'heure et demie, contrairement
aux Swans. Ils vont piocher jusqu'à A Sun That Never Sets
avec The Tide, exécutent deux morceaux de Given to the
rising mais c'est lors du rappel, avec Locust Star, de l'album
Through Silver in Blood (en 1996 !) que Neurosis décroche
la timbale et réconcilient tout le monde, les blasés et
les nouveaux venus. Un titre qui est en passe de devenir leur tube au
fil des ans. Voir des centaines de nuques se casser au rythme de ce morceau
infernal est un spectacle saisissant. Le genre de morceau qui peut vous
faire regretter le passé de ce groupe mythique mais avec la prestation
de ce soir, Neurosis peut encore continuer pendant des années sans
que je n'y retrouve rien à redire.
SKX (24/06/2013)
Toutes les vidéos sont captées par Appolosemouse2801.
Un grand merci et bravo pour tout le chouette boulot !