Musiqu'Alambic 2
Cannibales & Vahinés, Winter Family, Polymorphie, L'Etrangleuse
Samedi 16 mars, Le Jardin Moderne, Rennes

orga. : Interzones

Deuxième cuvée du festival Musiqu'Alambic. La 1ère avait été un excellent cru. L'affiche 2013 monte d'un cran dans le degré et la qualité. Et je ne dis pas ça uniquement pour le verre offert à l'arrière de la caravane avec l'achat du ticket. Plaisir d'offrir, joie de recevoir. Merci Interzones. Nan, si on est là, c'est surtout pour la présence du groupe qui a sorti un incroyable album en 2012, celui qui a le plus souvent tourné sur les platines inoxydables de Perte & Fracas et qui continue de le faire. N.O.W.H.E.R.E par Cannibales & Vahinés. Le moment est attendu. C'est peu de le dire. Et pour patienter, rien de plus facile. La qualité est aussi au rendez-vous avec Polymorphie dont l'album Voix n'a pas laissé indifférent, L'Etrangleuse et Winter Family. Rendez-vous également avec l'originalité. De la harpe, de l'harmonium, des cuivres, des guitares acérées, des batteurs fous, une batteuse debout, des duos improbables, un groupe à six têtes et à chaque fois, des univers forts et personnels. Pas très punk-rock tout ça mais personne ne va défaillir, on va rester soudés.

L'Etrangleuse a la douloureuse tâche d'ouvrir le bal devant un public encore clairsemé et se tenant à distance respectable de la scène. La distance qui fait froid. L'Etrangleuse a un nom à jouer de la musique de boucher. Harpe et guitare, ça vous calme un homme aussitôt. Mélanie Virot à la harpe, instrument chevaleresque qu'on ne voit pas tous les jours dans une salle de rock. Certains sont déjà pris de malaise. Maël Salètes, présent au Musiqu'Alambic 1 en tant que guitariste de Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp et qui chante aussi. C'est du domaine de l'intimiste, les voix du bar juste derrière n'aident pas à se concentrer mais c'est surtout du domaine du beau et du surprenant. Par contre, ce n'est pas du domaine de la découverte. Leur premier album sorti en 2012 sur Les Disques de Plomb est du bel ouvrage, faudra vous en toucher deux mots d'ailleurs.
Le regard se concentre sur la harpiste. Ca doit être la première fois que j'en vois une en chair et en os. Je pensais que ça n'existait que dans les contes de fées et dans les concerts pour les vieux dans des églises humides. Ca en jette. Gestes déliés, précis, les doigts voltigent sur les cordes, impressionnants d'aisance. Les guitaristes peuvent aller se toucher ailleurs. Mais c'est pas sympa pour son camarade de jeu. Avec sa ribambelle de pédales d'effets et de boucles, le guitariste-chanteur amène des mélodies simples et prenantes. Le mariage avec la harpe est heureux, ils sont fait pour s'entendre et nous trimballer dans des ambiances tour à tour délicates, rock, hypnotiques, folkloriques de l'étrange, slave avec Kosiak Lubvie, la reprise de Kletka Red sur le deuxième album Hybrid en 2000, avec en point d'orgue, la présence de GW Sok sur le très bon Writer's blog. Concert tout en sobriété et en élégance. L'atmosphère se réchauffe.

De deux à six, de Lyon à Lyon, L'Etrangleuse laisse la place aux membres de Polymorphie. Deux saxophonistes, un claviériste soufflant aussi dans une trompette, un guitariste, un batteur et une chanteuse. Les présentations ont déjà été faites lors de la chronique de leur album. Les voir étalés sur toute une largeur de scène, c'est encore mieux. L'énergie de leur jazz hydraulique et polymorphe se prend de face. La puissance du batteur, le son noise du guitariste comme lors d'un concert de Kouma, les envolées free ou mélodiques des cuivres, les bruits perturbants du clavier et la voix caméléon et les multiples rôles de Marine Pellegrini. La troupe et l'assemblage sont singuliers, notamment sur le surréaliste passage de Where The Wild Roses Grow et le travail sur les voix/chants/vocalises démultipliées et bidouillées en direct par un des deux saxophonistes sur ordi/synthé alors que les autres musiciens se mettent en retrait. J'en ai vu plusieurs lâcher l'affaire sur ce coup là. Presque tout l'album y passe, la reprise du classique The Mercy Seat par Nick Cave forcément pour un concert bouillonnant, parfois exigeant, concassé, vivant et aussi convaincant que sur disque. Ce qui n'était pas gagné d'avance vu la complexité de l'affaire.

Winter Family est le groupe que je connais le moins de la soirée. Voir quasi pas. Un duo franco-israélien. Xavier Klaine à l'harmonium et Ruth Rosenthal au chant, tout en tapant debout sur une batterie au strict nécessaire et à l'agencement personnel. Le concert débute par un long drone d'harmonium. Et de l'harmonium, on va en bouffer. Et je dois dire que j'en goûte assez peu de cet engin. C'est un poil lassant pour ne pas dire autre chose - vous noterez bien toute la politesse de la formule - l'impression du même air traînant et déprimant sur tous les morceaux. Le chant rauque et aussi traînant que l'harmonium, sorte de Marianne Faithfull championne de la névrose, n'arrange pas mes affaires. Son jeu de batterie décharné, l'ambiance générale monotone, l'aridité, le dépouillement des compos ne montrent pas grand-chose et ne fait guère passer d'émotions, bien que le but de Winter Family soit justement le grand frisson et la beauté sombre. Autant dire que je n'apprécie que très très moyennement Winter Family, contrairement à une bonne partie du public. Face à cette musique d'enterrement, malgré un sursaut énervé quasi hip-hop pas loin de tomber comme un cheveu sur la soupe, je préfère le retrait.

Le hollandais GW Sok, l'ex-The Ex, revient cette fois ci pour de bon sur le devant de la scène avec ses trois toulousains, ses Cannibales & Vahinés, son charisme étrange, son regard clair lointain, là sans être là et sa scansion qui n'appartient qu'à lui. A sa droite, un saxophoniste triturant aussi un ordi pour des effets electro. A sa gauche et de coté, un batteur fou et juste derrière lui, légèrement en retrait, un guitariste faisant baisser la moyenne d'âge. A partir de là, je ne jure plus de rien.
L'album défile dans tous les sens. A chaque titre, je me dis qu'il est encore meilleur que le précédent, ça va être difficile d'être objectif alors autant se laisser porter et en profiter pour regarder le jeu furieux du batteur, là, juste devant moi. Sur scène, Cannibales & Vahinés prend une dimension free encore plus prononcée que sur disque et ce batteur n'y est pas étranger. Trépident, aérien, bougrement inventif, tapant sur tout ce qui ne bouge pas, clochettes et autres instruments percussifs accrochés à sa batterie et tout ça avec le sourire, c'est un vrai plaisir pour un sourire communicatif. Son compère à l'autre bout de la scène avec son saxo lui rend bien les parties free. Les morceaux, tout en étant parfaitement reconnaissables, s'allongent, explosent, se modifient d'une multitude de détails. Tout est bon chez Cannibales & Vahinés, même quand l'ambiance se fait plus grave et intime avec le superbe morceau Shouting at the Moon. La déflagration attendue, les moments poignants espérés, les mélodies inoubliables, l'enthousiasme de jeunes poulains, tout était là. Même l'habituel numéro d'un disquaire et druide moustachu immigré dans le 22, un rien lassant à force de s'inviter sur scène mais tout de même osé dans sa reprise de La Compagnie Créole. Dernier rappel tout en apesanteur, en stridence, en déconstruction et en poésie brute avec This Current State en toute fin de fin. Cannibales & Vahinés a exécuté un concert mémorable. A la santé de Musiqu'Alambic.

SKX (27/03/2013)

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