The Spitters

Un groupe capable de signer un tel morceau ne peut pas décemment être un mauvais groupe. Cette réflexion fut faite suite à la découverte sur Nextpartouzes d'une chronique d'un tribute à Jack Kerouac intitulé Kicks joy darkness (Rykodisc, 1997) où, au coté de Come, un groupe inconnu appelé The Spitters, accompagnait une autre illustre inconnue, Maggie Estep, chargée de déclamer un poème de Kerouac. Morceau sublime avec une musique tout en retenue, froide et incisive. Non, franchement, ce groupe ne pouvait pas avoir de la merde entre les doigts.

Renseignements pris, The Spitters a été formé par Mark Ashwill, membre fondateur d'un groupe de tarés, les Missing Foundation, qui pourrait faire passer Einsturzende Neubauten pour de doux agneaux et dont l'influence sur la scène new-yorkaise (Sonic Youth, Cop Shoot Cop) n'est pas une légende. Un groupe qui mériterait également son Oldies mais chaque chose en son temps et pour l'instant, c'est The Spitters qui occupe les esprits et la chasse à leurs deux albums. Chose relativement aisée sur des sites où le prix du disque était moins cher que le montant du timbre sur l'enveloppe. Une commande à l'aveugle qui allait s'avérer judicieuse. The Spitters n'est pas le groupe d'un seul morceau.

Leur parcours discographique se constitue d'un CDEP, deux albums et quelques titres égarés sur des compilations. Le CDEP cinq titres est sorti en septembre 1993 sur Funky Mushroom mais de ce disque, toujours aucune trace.

L'année suivante, en décembre 1994, The Spitters sort Give, son premier album sur les champignons funky. Outre Mark Ashwill au chant, le groupe est composé de Tim Bradlee à la guitare, William Bronson à la basse et Louis Echavarria à la batterie. Des visages qui s'affichent en gros plan et en noir et blanc (signé Richard Kern) à l'intérieur du livret et on sent que ça va pas rigoler. Le regard ténébreux et pénétrant de Ashwill annonce la couleur. On retrouve cette retenue du morceau dédié à Kerouac, ce froid apparent et tranchant, cette attitude de fauve à l'affût et la noirceur propre à de nombreux groupes new-yorkais. Dans la lourdeur calculée, le mid-tempo épuré, les sourdes déflagrations, d'illustres groupes comme les Swans ou Of Cabbages and Kings reviennent tout de suite à l'esprit. Les membres du groupe semblent s'être débarrassé de leur lourd passé de drogués (lire l'interview ici), de la débauche et la furie qui en découle pour aborder leur musique de façon plus contrôlée. D'ailleurs, le nom The Spitters (les Cracheurs) vient de leurs visites régulières dans les cliniques de désintoxication et de tous les drogués qui venaient prendre leur dose de méthadone, la gardait dans la bouche et la recrachait une fois dans la rue pour la revendre. Un groupe que Ashwill a crée comme pour se purger de son passé, juste après avoir touché le fond, vendu tous ses meubles, son matos musical pour acheter sa dose de crack. Un truc lancinant, une tension sans cesse sous jacente, qui titille les nerfs, explosant parfois comme sur le très bon 20 min. Into Cancer. Une section rythmique centrale faisant tour à tour le minimum, austère ou martiale, voir original sur Lic Dem Stem, à la vibration étrangement dansante. Une paire basse-batterie offrant une belle dynamique et de l'espace à une guitare marchant à l'économie, délivrant le bon riff, le larsen au bon moment, sans trop en faire avec par là-dessus la voix de cinglé, mordante de Ashwill qui peut se faire aussi murmure menaçant. Dix titres avec des points culminants comme Under The Same Sky qui n'aurait pas dépareillé sur un album de Cop Shoot Cop (groupe avec lequel ils ont tourné aux USA), The Day ou le stressant Steel Screamin'. Un album qui finit dans le calme de deux morceaux acoustiques, la descente de trip d'un disque marqué du sceau de sa ville.
Un album produit par Jim Waters (Sonic Youth, The Jon Spencer Blues Explosion, Dim Stars), à l'origine du groupe avec Ashwill et qui a compté également dans ses rangs, au tout début de The Spitters, Judah Bauer qui a officié par la suite avec le Blues Explosion et son Jon Spencer.

En 1995, c'est PCP Entertainment, le label de Pete Shore (Unsane) qui sort le deuxième et final album de The Spitters, le dénommé Sun To Sun. Un album gorgé jusqu'à la gueule de 70 minutes de musique pour douze malheureux titres. Autant dire que les compositions durent et ont le temps de faire des ravages. Par contre, préférez pour une fois la version CD avec cinq titres de plus que sur le vinyl !
On note également un changement de bassiste. On reste chez les Bronson, Bill remplaçant William mais rien ne dit qu'un lien familial existe !
L'approche reste similaire à Give. C'est puissant, délié, pas une note de trop, tout dans la suggestion plutôt que l'affrontement facial. Un rock sombre et vénéneux. Pour autant, cet album est moins prenant que son prédécesseur. La faute à la durée de cet album, en CD du moins. La faute à certains morceaux manquant de percutant. Quand on cherche à donner dans le lent et mesuré, un rien vous fait basculer dans le quelconque. Un riff moins inspiré, un rythme banal et le morceau ne décolle pas. Des titres pas mauvais en soi mais manque l'étincelle, notamment sur les deux morceaux de plus de dix minutes (Sacaal Pump et Loose Conscience, un instrumental qui n'est que vent et interférences). Un album qui compte tout de même d'excellent titres comme Sun To Sun en ouverture, Swipe ou Feasty mais reste un ton en dessous de Give.

Leur dernier concert aura lieu avec Cop Shoot Cop et Motherhead Bug (paye ton affiche !), The Spitters ayant une réputation scénique sulfureuse à cause de (ou grâce à) son chanteur qui n'hésite pas à faire souffrir son corps, le maltraiter quand ce n'est pas la confrontation directe avec les spectateurs. The Spitters, un groupe typiquement new-yorkais dans le son et l'approche du rock, dont le nom n'a pas dépassé les frontières de la ville, aussi grande fut-elle. Un groupe qui sent les bas-fonds et la lose, le rock malsain qui court à sa ruine, dangereux jusqu'au deathtrip.

Si on n'a aucunes nouvelles de trois des membres de The Spitters, pour Mark Ashwill, c'est beaucoup plus simple, il est décédé en 2000.

SKX (14/12/2008)

Discographie ::

s/t - CDEP
Funky Mushroom records 1993




Give - CD
Funky Mushroom records 1994




Sun To Sun - CD
PCP Entertainment 1995





Times Of Influenza 7''
Reptilian records 1996