COP SHOOT COP
Dig Dat Hole - Black Snakes - The Red Expendables

S'attaquer à Cop Shoot Cop n'est pas une mince gageure. Pièce maîtresse de la scène noise-rock-indus des années 90. Pilier de la scène new-yorkaise qui n'est pourtant pas avare de groupes cultes. Une discographie bien remplie. Un tel monument, ça de quoi calmer. Quand en plus, vous comptez vous frotter à tout ce qu'on pu faire les différents membres du groupe avant Cop Shoot Cop, voir pendant et (un peu) après, vous débouchez sur une oldies fournie jusqu'à la glotte.

Car si Cop Shoot Cop (qu'on réduira aux trois lettres CSC) reste le projet le plus connu (et intéressant) des membres qui ont composé ce groupe, s'attarder sur le pre-CSC n'est pas une perte de temps de record geek.
Prenez le cas de Dig Dat Hole. Demandez qui est ce groupe, même aux personnes qui adorent CSC et vous aurez droit dans la plupart des cas à de longues secondes de silence en guise de réponse suivi d'un j'en ai rien à foutre dans le pire des cas. Et pour cause, Dig Dat Hole n'a jamais sorti aucun disque. Composé de Tod Ashley (chant + basse) et Phil Puleo (batterie), futurs membres de CSC, ainsi que d'un troisième larron, Jon Rose (guitare), le trio originaire de Providence (Rhode Island) s'est crée fin 1984. Voici ce qu'en dit Phil Puleo himself sur le site de Cop Shoot Cop et qui, une fois traduit, donne à peu près ça :
Tod m'a dit que nous serions le meilleur truc de Providence et que nous dominerions la scène de cette ville. Il avait raison. Quelques journaux locaux ont écrits que nos concerts et enregistrements étaient les meilleurs de Providence.

A tel point que Steve Albini, après que le groupe ait joué en première partie de Big Black, désire sortir un album de Dig Dat Hole sur son propre label Ruthless records (après qu'un autre label, Adult Contemporary records, ait abandonné l'affaire). Mais le disque ne verra jamais le jour.
Je ne sais pas si c'est parce qu'il était trop occupé ou par manque d'argent, mais le disque n'a jamais été réalisé (Phil Puleo).

Sauf quelques test-pressing. Et c'est là que ça devient intéressant… Surtout depuis qu'un exemplaire est arrivé entre mes mains. Ou plus exactement, depuis qu'un Allemand fan de la première heure, m'en a fait une copie (ainsi qu'une copie des deux démos sorties par le trio). Ce qui ne sonne pas exactement pareil, je vous l'accorde mais amplement suffisant à mon bonheur. Car vous pouvez toujours courir pour trouver ça sur ebay. C'est de la pure rareté. Je n'ose même pas imaginer le prix. Merci infiniment Carsten.

Kneejerk, c'est le nom de cet album. On est en 1987 et si il avait vu le jour, ce disque ne serait pas loin d'être devenu essentiel. Et Dig Dat Hole aurait été à Cop Shoot Cop ce que le Scratch Acid était à Jesus Lizard. Une rampe de lancement idéal. Le lien manquant entre Birthday Party, toute idée d'un rock sale et chaotique et CSC. La roue musicale en pleine action. Revue de détail des huit morceaux :

- Alone : l'album s'ouvre sur une solide et lancinante rythmique avec une intervention à l'économie mais inquiétante de la guitare avant que tout ça ne s'accélère et ne s'embrase. La voix de Tod Ashley a déjà ce timbre identifiable de suite. Tout comme son jeu de basse. C'est rugueux et l'album débute de façon prometteuse.
- Cooler Than You : un deuxième morceau qui ne confirme pas le début. C'est essentiellement dû au son. Il ne faut pas oublier que c'est un test-pressing et que ce morceau aurait sûrement été recalé. Enregistrement très live avec les micros à trois kilomètres des instruments. Larsen dans les gencives. Le morceau laisse cependant entrevoir de belles possibilités. Un batteur qui cogne, imperturbable. Un truc toujours lancinant et imposant. Dig Dat Hole ne brosse pas dans le sens du poil.
- Down : le trio se rattrape tout de suite avec le meilleur morceau de cet album. Un rythme de batterie qui vous entraîne de suite dans une danse urbaine. Un cliquetis pervers. Phil Puleo est déjà ce batteur iconoclaste avec son propre style et ses bouts de ferrailles. Rythme basse d'enfer également, riff de guitare cinglant, refrain court mais accrocheur. Putain de titre.
- Infected Again : mais c'est Birthday Party ! Ca sent le chaos. Eructations dignes d'un Nick Cave. La paire rythmique détient définitivement les clefs de la maison. Guitare grouillante. Morceau éclaté. Infecté qu'ils diraient. Morceau parfait.
- Six Good Reason : Mais c'est The Ex ! Ce riff de guitare me rappelle fortement un morceau de nos chers hollandais. Ils n'avaient sans doute jamais entendu parler d'eux mais c'est troublant. Jusque dans le rythme du morceau. Et c'est là qu'on s'aperçoit que les deux groupes ont ce sens inné et particulier du rythme. Un rythme chaud bouillant qui provoque irrémédiablement un mouvement de vos membres inférieurs.
- A Similar End : autre grand morceau de cet album avec une composition à plusieurs vitesses. Atmosphère tendue, guitare tissant une ambiance lugubre avec trois fois rien. Déluge rythmique. Chant en mode parlé. Ca sent le souffre.
- I Exist : Birthday Party encore ! Voir encore plus que sur Infected again. Entre la rythmique tribale et les cris de Tod Ashley, une ligne de basse que n'aurait pas renier Tracy Pew, solo de guitare tout tordu au milieu, on a là un morceau direct et tripant.
- Spiritus Monday : l'album se termine sur un titre au rythme presque swinguant. Mais un swing rempli de tôles ondulées où on remarque la seconde grande influence de ce que deviendra CSC, à savoir Jim Thirlwell et son Fœtus.

Album rêche, sans artifice, très live dans le traitement sonore. Tout ce qui fera Cop Shoot Cop est déjà présent. Le style inimitable de Phil Puleo à la batterie ou de ce qui lui tient de batterie. Batterie percussive qui est à la base de l'étiquette industrielle qui collera au groupe. Et surtout le talent de songwriter de Tod Ashley qui peaufinera son écriture avec CSC.

Une écriture qui l'avait déjà expérimentée avec un autre groupe avant Dig Dat Hole. Ce groupe qui répondait au nom poétique de Shithaus était un super groupe avant l'heure puisque composé de Tod Ashley et Jon Spencer (et David Ouimet) ! Seul une démo est ressortie de la courte vie de ce groupe en 1984/85.

Sur la première demo, on retrouve sept titres de l'album. Même version. Manque à l'appel Alone.
Sur la seconde demo, 13 morceaux. Là encore, l'intégralité de l'album, Alone compris. Les versions sont toujours identiques. Le charme du souffle de la cassette en plus. Si mes comptes sont bons, nous avons donc droit à cinq inédits. Le rapide Ka-ka smooch n'est pas un caca mou et aurait eu sa place sur l'album.
Le suivant Chrysler encore plus, même si il ressemble à s'y méprendre au morceau Alone
Blow sonne très CSC avant l'heure. Un bon pion.
Thin White Line, malgré un enregistrement défaillant, est tout en rebondissement. Groove malsain et imparable.
Pour le dernier inédit, Hack Job, là encore c'est du chaotique, du Birthday Party bien noise. Ou un Cop Shoot Cop encore plus crade que l'original. On s'y perd avec délectation. A croire que le Dig Dat Hole ait préféré garder pour l'album les morceaux les moins chaotiques. Tout assemblé, vous avez ainsi treize morceaux qui n'auraient pas à rougir à ressortir des fonds poussiéreux du tiroir où on les a enterrés. Plus qu'un brouillon de jeunesse, Dig Dat Hole nous prépare merveilleusement à l'entrée en jeu de CSC, faisant le lien entre tout un pan du rock déjanté à la Birthday Party/Scratch Acid et une musique plus marqué par les expérimentations et la musique indus.

Black Snakes

Autre membre prépondérant de CSC à avoir fait ses gammes dans un autre groupe avant CSC, c'est Jim Nantz, préposé lui aussi à la basse dans CSC. Ce groupe s'appelle Black Snakes (il s'est fait les dents encore auparavant dans Razor Chamber).
Dans Black Snakes, on retrouve aussi une futur star de l'underground : Richard Kern. Avant de faire des vidéos pour Sonic Youth et de donner dans le porno chic (son truc, ce sont les filles à poil avec des gros flingues… super mon gars continu), il a joué dans plusieurs groupes de rock dont ce Black Snakes où il officiait à la guitare. Les deux autres membres sont Patrick Blank (batterie) et Darin Lin (l'autre guitare), Jim Natz étant déjà collé à sa basse et au chant à temps complet.
Ce groupe a eu la vie courte et a seulement sorti deux disques.



L'album Crawl, enregistré au printemps 1987 et sorti l'année suivante sur Radium, un label suédois, a été mixé par Bubba Wojnarowicz (ou Jim Thirlwell alias Fœtus, encore lui) mais les racines sont à chercher du coté du bon vieux rock'n'roll dégénéré qui sent la poudre blanche et le whisky soient les substances de jouvences préférées de Jeffrey Lee Pierce et son Gun Club. Vous rajoutez une bonne pincée de Birthday Party pour définitivement se ratatiner la gueule et ce Black Snakes a toutes les chances de devenir excessivement venimeux. Ca sent la poiscaille et les guitares frelatées. Aucun effort pour rendre ça propre et c'est ça qu'est bien. C'est revêche, ça grésille, ça vibre d'une guitare qui balance des notes vachardes. Les ballades comme The hanging of John Daniel Dee se font la main sur le cran d'arrêt. Se permettent même la reprise du Ain't no sunshine de Bill Whithers, vieux Motown de 1971 qui servit de BO à Coup de foudre à Nothing Hill (hahaha). Les huit autres morceaux qui croupissent sentent l'ombrageux, le rock'n'roll crade et suintant, le chaos à chaque coup de cymbale ferrailleuse, le corps chancelant de trop d'excès, la danse voodoo en plein New-York et ce disque a tout de l'objet culte à plein nez avec quelques fumeux passages comme Rear view mirror, Black snake et Same old shit.
Cet album est ressorti en 1994 sous le nom de 8 Ball avec quelques variations et Bubba toujours au remixage.






L'autre disque, c'est un split 45 avec Pussy Galore (groupe de Jon Spencer avant le Explosion et du fantasme ambulant Christina Martinez, futur Boss Hog). Le morceau de Black Snakes s'appelle One shot world. C'est du même alcool trafiqué que l'album sauf que l'on retrouve Wharton Tiers aux manettes et le son s'en ressent. Plus de basse. Plus de batterie. Des guitares qui raclent un peu moins mais ça passe allègrement.
Pussy Galore reprend le Penetration in the centerfold de Devo. Sauf qu'ils ont remplacé le in par un of (erreur volontaire ?) d'un titre tiré du 45 tours Day My Baby Gave Me A Surprise (Virgin, 1979). Cette reprise de Pussy Galore, on la retrouve sur la version CD de l'album Dial M For Motherfucker. La troupe à Spencer garde le rythme du morceau original, le riff de guitare qui fait beaucoup et rajoute des trucs qui tombent d'une décharge pleine de bouts de fers rouillés, un truc qui racle bien le fond de la casserole, un aboyeur de service, le tout dans leur style inimitable de branleurs qui se foutent de tout mais un peu moins que d'habitude quand même. Un des meilleurs morceaux de Pussy Galore mais il est pas d'eux et enregistré par Albini.

Ce sont les japonais de Supernatural Organization qui sortent encore ça en 1988, disque qui signe la fin prématurée de Black Snakes, un groupe qui est plus qu'une curiosité de futurs ou d'ex-quelquechose mais qui tient debout et vit très bien par sa propre force.


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