Squirrel
Bait. Le nom ne vous dit sans doute pas grand chose. Pourtant, un certain
Robert Nedelkoff n'hésite pas à écrire dans la note
interne qui accompagne la réédition du premier album que
ce que vous tenez entre vos mains est le disque le plus crucial de
1985. Le gars Bob s'avance un peu. Personnellement, je n'irais pas
jusque là. La musique de Squirrel Bait n'a en soi rien de phénoménale,
ce truc qui vous retourne les sens et qui vous fait dire dans un moment
de non lucidité totale qu'on a là le meilleur groupe du
monde ou ce genre de conneries. Mais en cette période creuse du
milieu des années 80, Squirrel Bait apparaît comme un lien
évident entre le hardcore hérité de Minor Threat
et le futur mouvement grunge, inspirant par la même occasion nombres
de groupes college rock américains.
Mais la renommée de Squirrel Bait vient surtout de l'importance
de ces membres le composant. C'est le point de départ de toute
une flopée de groupes dont les noms connaîtront un retentissement
beaucoup plus fort que celui de Squirrel Bait. La simple évocation
du nom de leur ville d'origine suffit à comprendre les ramifications
que Squirrel Bait laisse supposer. Louisville, Kentucky, la Mecque du
rock indépendant. Début 80, David Grubbs, avant de créer
Bastro, Bitch Magnet et Gastr Del Sol avec Jim O'Rourke n'est qu'un ado
comme tant d'autres désireux de monter son groupe de rock. Sauf
qu'il est drôlement précoce. A peine 13 ans quand il crée
The Happy Cadavers, son premier groupe new-wave au collège. Et
quand Squirrel Bait se forme, tout ce petit monde a 17 ans de moyenne
d'âge. Ce monde là, c'est Brian McMahan (guitare), futur
chanteur de Slint et Britt Walford, batteur du même groupe mais
présent ici que pour quelques apparitions. Ben Daughtrey (l'autre
batteur), Clark Jonhson (basse) et la fabuleuse voix de Peter Searcy (futur
Big Wheel) sont les trois autres membres qui composent le groupe.
En 1985,
Squirrel Bait est surtout contemporain de Rites of Spring (le premier
groupe de Guy Piccioto et Brendan Canty de Fugazi) et Hüsker Dü
dont ils sont grand fans et réciproquement puisque il faudra que
Bob Mould et Evan Dando des Lemonheads commencent à parler d'eux
dans la presse spécialisée pour que cette dernière
s'intéresse de plus près à ce groupe d'ados.
Leur premier disque sort donc en 1985. 17 minutes seulement pour 8 titres
mais 17 minutes qui comptent. On retrouve cette urgence chère à
Hüsker Dü, ces compos qui speed, essence punk-rock c'est sûr,
mais avec un travail des deux guitares et une complexité nouvelle
dans les rythmiques qui posent différemment Squirrel Bait dans
le milieu du rock alternatif américain. L'album commence par une
phrase qui résonne comme une sentence : I'm going to beat you
up at the end of this sûrement prononcé du haut de leurs
17 printemps, avant que les premières notes de Hammering so
hard ne s'abattent. Le sens de l'intensité dans des compositions
unies, dont aucune n'émerge vraiment, qui n'ont rien d'absolument
dingues mais qui claquent, trashent et malaxent tout en prenant soin de
ralentir le tempo, donnant une dynamique dont l'écho résonne
sur l'album de Nevermind de Nirvana. Pas moins selon certains avis
experts ! C'est la voix de Peter Searcy qui est surtout troublante. Classée
meilleure voix du rock and roll juste après celle de Paul Westerberg
par Spin magazine, ce chant nous renvoie à celui de Kurt Cobain.
La musique de Squirrel Bait avant toute l'époque des guitares sales
et du rock de bûcherons que certains nommèrent grunge. Mais
en 85, ces jeunes se contentent de faire les premières parties
de Hüsker Dü, Meat Puppets et Big Black dont Steve Albini dessinera
le logo
(c'est marqué dedans !).
L'année
suivante, 1986, c'est leur deuxième album Skag Heaven. Les
plus puristes pour ne pas dire les intégristes, crient déjà
au vendus. Mais il faudrait être sourd pour ne pas reconnaître
Squirrel Bait et toute l'urgence de son punk-rock. Simplement, le son
s'est épaissit. On sent plus de travail et de réflexion
dans les compos au détriment d'une certaine spontanéité
pour ne pas dire naïveté. Là encore, aucun titres qui
vous retournent mais les dix morceaux (dont Tape from California,
une reprise de Phil Orchs) de ce deuxième et dernier album sont
cohérents et percutants à défaut d'être brillants.
Les divergences
musicales au sein de Squirrel Bait, excuse habituelle et creuse pour expliquer
la mort d'un groupe, avec d'un coté, des aspirations punk-rock
et de l'autre des désirs vers une musique plus arty, auront raison
du groupe. Les deux albums seront réédités en 1997
par Dexter's Cigar et Drag City.
En 1989, le fanzine The Pope édite un single de Squirrel Bait avec
Motorola Cloudburst et Spoken word (a tribute to Bob Mould)
enregistré en 1987. Vous pouvez entendre un morceau ici.
C'est la dernière trace vinylique de Squirrel Bait. Depuis, David
Grubbs a été le membre le plus prolifique en fondant Bastro,
Bitch Magnet, Gastr Del Sol puis une carrière solo. L'autre groupe
très connu issu de Squirrel Bait est bien sûr Slint, figure
emblématique de la scène de Louisville, Brian McMahan poursuivant
ensuite avec The For Carnation. De ces groupes découlent par la
suite une multitude de formations comme Tortoise, Palace, Red Krayola,
Evergreen, etc
Pete Searcy a formé Big Wheel mais ce n'est
pas la meilleure idée qu'il ait eue
et un album solo en 2000.
Ben Daughtrey rejoindra le groupe de Los Angeles Love Jones. Dernièrement,
David Grubbs a rejeté toute idée de reformation de Squirrel
Bait mais par les temps qui court
Au final,
Squirrel Bait n'est qu'un groupe de rock alternatif jouant d'honnêtes
compos pop-punk mais leur approche et les prémices de leur musique
encore mal exploitée et qui n'a pas eu le temps de donner sa pleine
mesure marquent un tournant dans l'histoire du rock indépendant
américain que de nombreux groupes par la suite seront tirer vers
le haut.
SKX (05/02/06)
Discographie
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s/t
Homestead Records (1985)
Dexter's Cigar/Drag City records 1997
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Skag
Heaven
Homestead Records (1986)
Dexter's Cigar/Drag City records 1997
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+
Kid
Dynamite 7" Homestead 1986
Motorola Cloudburst 7" Ajax 1989 |
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