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Deux ans après la fin de Squirrel Bait, David Grubbs reforme un groupe sous le nom de Bastro. La guitare toujours mais aussi désormais le chant pour Grubbs, Clark Johnson à la basse (très peu de temps après le tout premier bassiste, un certain Dan Treado) et un troisième membre répondant au nom de boite à rythmes. Leur premier 12'' Rode Hard And Put Up Wet en 1988 sur Homestead pose les bases d'une musique compacte, noise, directe avec cette indéniable touche Big Black. La boite à rythmes sans doute mais aussi cette ligne de basse sur l'instrumental Counterrev : Bhutan auquel il faut rajouter un sax comme sur les premiers Big Black. Mais il faudrait être complètement obtus pour ne voir en Bastro qu'un clone de Big Black. L'avenir leur donnera raison . C'est au cours d'une courte tournée aux Etats-Unis qu'ils rencontrent John Warsaw McEntire, batteur de My Dad is Dead, groupe avec qui Bastro partage plusieurs fois l'affiche. Peu de temps après, la boite à rythmes est vendu et McEntire devient le batteur de Bastro. Le premier album Diablo Guapo en 1989 bénéficie d'une longue tournée de préparation. Détail d'importance dans la vie d'un groupe qui ne fonctionne pas comme un groupe uni puisque Grubbs vie à Washington DC, Johnson à Chicago et McEntire à Oberlin. Diablo Guapo est enregistré par Brian Paulson, l'homme de Spiderland. Cet album est un monstre de condensé noise-rock, une pierre angulaire du son Chicago tel qu'on l'entend avec Big Black, Jesus Lizard, Rapeman/Shellac et des tas d'autres groupes produits par Albini ou pas. Brutal et ramassé, cette boule de nerf qu'est Diablo Guapo ne laisse aucun répit. La section rythmique fustige et castagne à tout va. Le chant crie son venin pendant que la guitare broie menu-menu. Et malgré la densité de l'affaire, Bastro arrive à distiller quelques aérations. Il est possible d'entendre dans le son et dans quelques passages ce qui a pu inspirer Slint et son Spiderland . A la fin de l'album, on retrouve Shoot Me A Deer, titre sorti en single un peu plus tôt ainsi que la présence de Britt Walford (batteur de Slint) sur un morceau. 1990, les choses ne traînent pas et Bastro enregistre son deuxième album Sing The Troubled Beast. Toujours Paulson aux manettes (avec comme pour le premier l'aide de Steve Albini sous le pseudo de Howie Gano) et toujours enregistré le jour de l'anniversaire de la prise de la Bastille comme pour le premier album l'année du 200ème anniversaire. Les Amerloques n'ont jamais été fort en histoire étrangère mais ce détail m'échappe. On reprend donc les mêmes. La formule Bastro fait ses preuves. Ecriture au cordeau, rythmes soutenus mais sur la durée, Bastro rallonge sensiblement le tir de ses compos, les travaille, les malaxe, les laisse reprendre souffle et vitalité, se permet même une quasi ballade (I Come From A Long Line Of Shipbuilders) avant de les recogner à point nommé derrière la cafetière, tout en privilégiant les mélodies. Loin d'être aussi complexe qu'il est permis de penser, la musique de Bastro est avant tout directe et naturelle mais parfaitement agencée. Après deux albums parfaits (réédité en 2005 par Drag City sur un même CD) et une très longue tournée, John McEntire est rincée. Clark Johnson a été remplacé par Buddy K. Brown. De plus, Bastro sent qu'il a tout dit et est fatigué de cette formule en trio noise-rock qui leur apparaît trop étriquée. Grubbs et Brown commencent à travailler pourtant sur de nouvelles compositions mais dans un registre totalement différent. Même si McEntire les retrouve pour l'enregistrement de ces nouveaux titres, Bastro a fini d'exister et c'est sous le nom de Gastr Del Sol et pour l'album The Serpentine Similar que la majeure partie de ces titres verront le jour. Grubbs reste la tête pensante et McEntire et Brown préfèrent former leur propre groupe, Tortoise. Deux splits 45 sortiront en 90 et 91. Le premier avec My Dad Is Dead et l'autre avec Codeine. Une reprise anecdotique de A l'Ombre De Nous de Pierre Barouh pour la bande-son de Un Homme et une femme de Lelouch. Des références qui tuent. Et puis surprise, en 2005, sort un nouveau Bastro intitulé Antlers : Live 1991. Comme son nom l'indique, ce n'est pas un album studio. C'est Blue Chopsticks, label de Chicago qui a déjà sorti plusieurs enregistrements de Grubbs, avec Mats Gustafsson ou non, ainsi que Noël Akchoté qui s'occupe de l'affaire. Un live qui permet de capter sur scène des compos qui trouveront une nouvelle vie au sein de Gastr Del Sol, de sentir la transition s'opérer et l'occasion de réinterpréter des vieux morceaux de Bastro de la part d'un groupe qui cherchait à sortir du carcan dans lequel il s'était foutu lui-même, improviser autour d'un thème connu, ne pas se limiter au rigide deux minutes chronos. Je n'ai jamais été grand fan des lives. La chair humaine est bien plus tendre à regarder. Néanmoins, le son est de qualité malgré que tout ça soit tiré d'enregistrements cassettes directement dans le public bras tendu et aisselles en sueur. Un live qui apparaît du coup bien vivant sans qu'un petit malin d'ingénieur à lunette vienne nettoyer par derrière. Sept morceaux instrumentaux qui mêlent des parties de guitares généreuses, de la maîtrise et le bois sec qui sont envoyés à la face d'un public qui a bien eu de la chance de les voir. Ultime témoignage avec 20 minutes de vidéos à l'appui lors de leur tournée en Allemagne et Hollande pour un groupe incontournable et dans lequel de nombreuses formations ont pu par la suite puiser l'inspiration pour faire avancer cette grande roue rock'n'roll et machiavélique qui se nourrit d'elle-même. SKX (05/02/06)
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