La vie de
Bastard Kestrel tient sur deux années. De 1988 à 1989, ce
groupe londonien a réalisé deux albums et deux singles.
Et comme beaucoup de groupes anglais pratiquant une musique loin des sentiers
battus, Bastard Kestrel doit énormément à John Peel
pour qui ils ont enregistré deux sessions
en 1988. Les petits protégés du gourou des ondes avaient
débuté leur courte uvre discographique par le single
Cor Trance EP sur Goldhanger records, le label du bassiste-chanteur,
Keith, alias Keith Goldhanger, patronyme qui lui servira de signature
sur tous les disques de Bastard Kestrel ainsi que pour son groupe suivant,
Headbutt.
Cependant, ce n'est pas son coup d'essai puisque qu'il a sévi dans
une précédente formation goth-punk répondant au doux
nom de I'm Dead avec un single à leur actif en 1983, Second
Identity/The Sentence, déjà réalisé à
l'époque sur Goldhanger records. La première référence
d'un label 100% DIY. Deux morceaux bien ancrés dans leur temps.
Sonorités new-wave, effluves gothiques, presque lyriques mais déjà
le sens du combat rapproché et l'amour du rythme qui ne traîne
pas en route. Avec un chant bien marrant quand on sait ce dont il a été
capable quelques années plus tard. I'm Dead a sorti également
un split flexi (support d'un autre âge) avec Epidemic, disque qui
fut également la première référence d'un label
anglais naissant, Fourth
Dimension records.
Une uvre
de jeunesse qui ne présage pas l'anarchie à venir. Revenons
à Cor Trance. A l'instar de la pochette représentant
des collages bordéliques (avec Lady Di en string et la famille
royale en générale en pole position), les trois titres sont
joyeusement foutraque, méchamment punk et inversement. Tar Dive
sur la face A n'arrête pas d'aller et venir, d'arrêter puis
repartir, les cris multiples se répercutent sur les larsens, la
batterie part dans tous les sens et la guitare ne semble pas contrôler
grand chose. Tout est à l'arrache comme la production qui n'est
vilain mot ici et c'est pour ça que c'est bon. Face B, Drinking
suicidal et Throat Grip confirment cette bile rampante et cette
joie de vivre dans le bordel.
Quelques mois plus tard, Bastard Kestrel sort son premier (mini) album
sur un autre label naissant, Wiiija records et devient la deuxième
référence du label londonien dont le nom reviendra sans
cesse fin 80/début 90, signant la majeure partie des groupes anglais
intéressants de l'époque, tous ceux regroupés sous
la bannière d'un punk-rock brut et cradingue, l'attitude punk qui
va avec, l'anarchie du bruit (Silverfish, Sun Carriage, Loveblobs, Terminal
Cheesecake, Therapy), prêt à enfoncer les manches à
balais dans les fondements des The Smiths et consorts. Raserai
est de cet acabit. Huit titres qui tournent en 45 tours par minute pour
un petit total d'un quart d'heure. Une reprise des Shangri-Las (Past,
Present & Future) qui ne donne pas envie d'écouter l'original
parce que la reprise est suffisamment bandante pour s'en contenter. Quelques
années plus tard et de l'autre coté de l'Atlantique, on
aurait parlé de hardcore chaotique. Sauf qu'on est chez les rosbifs
et ça la joue plus fine. Un poil plus fine. Et surtout décontracté
avec cette distance et ce léger décalage so british. Ca
déboule, ça éructe dans tous les sens avec son lot
de morceaux cultes comme Harryhausen et Hooligan VD qui
vous donne envie d'avoir le comportement typique d'un supporter de foot.
La pochette est comme Cor Trance sauf qu'elle est passée
en couleurs, avec des fourchettes dans les nibards, la reine mère
qui fait les gros yeux et Pluto tirant la langue pas loin d'une poupée
gonflable. Sous leurs airs goguenards et leurs manières de sales
hooligans, Bastard Kestrel ne fait pas n'importe quoi et Raserai
passera en boucles chez le père Peel. Et il avait encore une fois
tout compris le bougre.
En 1989, Bastard Kestrel enchaîne avec Oh Splendid Mushroom,
toujours sur Wiiija. En si peu de temps, Bastard Kestrel n'a pas eu le
temps de se calmer. On peut même dire que c'est pire. Le trio a
sans doute eu plus de temps et de moyens pour l'enregistrement. L'attaque
sonore est devenue encore plus percutante. La guitare prend de l'ampleur,
l'effet scie circulaire étant accentué. Tout y est plus
noise, plus virulent, ces chants/hurlements à plusieurs, réinventant
la notion de chants en canon, pour mieux t'allumer mon enfant, font du
harcèlement (Tharn), un matraquage en règle de rythmes
qui n'hésitent pas à un tchak poum tchak poum basique en
mode rafale tout en diversifiant l'offre de la violence. Un peu de violoncelle,
un peu de piano tapé comme une brute. Toujours foutraque mais avec
noblesse, s'acquittant de ses droits auprès de ses aînés.
Une reprise de The Lurkers (Love Story) et une de Sonic Youth,
groupe auquel on les a souvent et très abusivement comparé,
Bastard Kestrel les dépassant largement en violence auditive et
pour le coté arty, on repassera. Ils reprennent Schizophrenia
(sur l'album Sister) rebaptisé Skitzersister, Skitz étant
phonétiquement proche de Blitz car c'est l'éclair et le
grand n'importe quoi. Entre morceaux courts, véritables hymnes
bruitistes (Ten, Motofry), surf d'un autre genre (Surf
punk baby) et l'épique et répétitif Bruising
de sept minutes, Oh Splendid Mushroom est une bombe à fragmentation
pour un dégât maximal. Salement punk, salement bruyant, toute
la philosophie de Bastard Kestrel.
Une dernière galette sept pouces, Stench EP et sa pochette
d'une sobriété exemplaire sort quelques temps après,
à nouveau sur le label de Keith Goldhanger. Trois inédits
dont Stench, titre principal. Un dernier appel à l'anarchie
et aux cocktails Molotov et un saxo fou maltraité par un certain
Cabaret. Ca s'invente pas un truc comme ça. Les deux morceaux de
la face B n'ont pas de nom, juste des numéros. #2 et #3
inscrits au feutre sur le rond central comme des malpropres d'un single
qui sent bon la photocopie couleur, derniers soubresauts d'une carrière
inscrite dans l'urgence et qui ne pouvait raisonnablement pas durer plus
longtemps sous peine de perdre tout crédit.
Si on ne
sait pas ce que sont devenus Dik le guitariste et Chris M. le batteur,
Keith le bassiste a poursuivi son entreprise de démolition avec
Headbutt.
SKX (09/10/2008)
Discographie
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