yowie
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Yowie
Taking Umbrage – LP
Skin Graft records 2025

Yowie a toujours mis beaucoup de temps à enchaîner les disques. Taking Umbrage est le quatrième album du groupe américain en vingt ans. Et le premier sans son guitariste originel Jeremiah Wonsewitz. Par contre, Shawn O’Connor, alias Defenestrator, psychologue clinicien dans le civil et psychopathe de la batterie la nuit venue, désormais seul pilier historique du groupe, tient solidement les rênes pour que Yowie reste Yowie et que le cahier des charges soit scrupuleusement respecté. Christopher Trull, l’autre guitariste de ce groupe sans basse, présent sur le précédent album Synchromysticism, est lui aussi parti. Les deux nouveaux prétendants aux souffrances les plus extrêmes concernant leurs phalanges sont Daniel Ephraim Kennedy et Jack Tickner. Car Taking Umbrage est une nouvelle démonstration de complexité à rendre dingue, de structures défiant les lois de la gravité et de l’entendement, un vortex monstrueux dont l’œil va vous avaler tout cru.
Alors qu’en fait, non, c’est du miel. La clef, c’est de vivre cette musique comme une expérience physique plus que cérébrale, déconnecter son cerveau, ne pas chercher à analyser, lâcher prise, se laisser embarquer par ce tourbillon infernal, danser comme un pantin désarticulé, Yowie se charge de l’intellect. Et quelle conception. La musique de Yowie est le contraire d’improvisation. Chaque note, chaque harmonie, chaque plan ont été minutieusement débattus, examinés, choisis, répétés et retravaillés jusqu'à obtenir le résultat parfait. Une légère erreur de timing et c'est un effondrement complet de la structure, un échec total. Des structures que seuls les trois membres peuvent décrypter. Ils poussent les rythmes dans les derniers retranchements, une superposition complexe qui ne se chevauchent pas, des guitares qui dialoguent, luttent, prennent des chemins opposés, s’amusent comme sur Throckmorton, deviennent élastiques avec des sons clairs leur conférant encore plus de puissance, l’une optant pour des sonorités plus graves afin de palier l’absence de basse tout en offrant plus de possibilités de jeux et de dissonances intrépides et ne se souciant jamais des mélodies.
Et pourtant, comme par enchantement, Yowie arrive à être miraculeusement accrocheur. Des compositions sans cesse en mouvement, progressant beaucoup plus qu’elles ne se répètent (c’est un leurre), rendant l’ensemble étonnement fluide. L’impression que c’est le chaos là-dedans alors que c’est le total opposé. Les secousses et les acrobaties sont nombreuses et énormes mais tout coule de source, retombe sur ses pieds, l’équilibre au-dessus d’un trou vertigineux. Une sensation de groove perpétuel alors que tout semble fait pour le casser. Un sentiment de frénésie et d’intensité rock alors que tout semble horriblement enchevêtré. Ça vous donne des moments épiques et urgents, des branlées monumentales, une tornade aussi furieuse que jubilatoire, réfléchie et drôle. On arrive même à entendre des bouts de mélodies qui pendouillent ou illuminent, des notes qui sonnent joliment, des rafales de batterie qui clouent au mur par leur soudaine simplicité. Yowie, une escouade rare et intransigeante publiant avec Taking Umbrage une folie radicale qui n’a jamais été aussi séduisante.

SKX (03/11/2025)