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Tombouctou
Ceiling Coast – LP
Carogna/Cheap Satanism/Atypeek records 2017

J’envie un peu les personnes qui vont faire la connaissance de Tombouctou avec ce premier disque. Et je sais qu’il devrait y avoir beaucoup de convertis. Obligé. Mais aussi, je pense à toutes celles et tous ceux qui vont avoir entre les mains un exemplaire de Ceiling Coast, vont découvrir son artwork, le soin apporté à la présentation de l’album, avant de pouvoir écouter la musique du groupe. Impossible d’abord de rester insensible au travail de l’illustratrice Gaëlle Loth, ses crayons de couleur, ses feutres, sa peinture délicate et son univers subtilement déplacé, avec ce sens de l’à côté qui fait qu’au contraire cela tombe au bon endroit, que si il y a un malaise ou une tension, c’est parce que Gaëlle Loth possède ce regard, et qu’il est différent, simplement. Le recto de la pochette nous montre donc une maison (un château ?) en flammes… Il n’y aurait pas ces traces noires et destructrices on pourrait presque croire à un livre de contes de fées. Il était une fois, tralala lalalala. Et, justement, les flammes sont imprimées sur un calque transparent lui-même collé sur la pochette en plastique qui d’ordinaire ne sert qu’à protéger la pochette cartonnée du disque. La trouvaille de la surpochette imprimée n’est pas nouvelle – un de mes disques favoris l’utilisant est un single d’A Minor Forrest – mais ici il y a comme une énigme impossible à contourner, celle du feu. Au verso de la pochette on voit trois enfants accroupis et jouant cette fois autour du cadavre d’un dauphin. Celui-ci a une plaie béante sur le dos, une plaie de laquelle s’échappent… des flammes crépitantes. Surréalisme d’une poésie cruelle. En général mes pochettes de disques préférées sont celles qui ne disent rien (ou pas grand-chose) de l’enregistrement qu’elles contiennent. Ce n’est pourtant pas tout à fait le cas de celle de Ceiling Coast, qui dévoile juste ce qu’il faut tout en entretenant une sorte de mystère pernicieux. Parce que Ceiling Coast c’est l’embrasement permanent.

Tombouctou est un trio lyonnais : une chanteuse, un guitariste et un batteur. Ces deux derniers prennent énormément de place, semblent se livrer une lutte sans merci qu’aucun des deux ne gagne réellement jamais. La batterie est intensément et presque constamment martelée et tordue par des frappes d’une violence inouïe et précise. La guitare – parfois doublée par des effets et des boucles – délivre des sensations noise comme on n’en entend désormais que trop rarement dans les milieux autorisés, des explosions dissonantes et des déchirures aigues, en héritage direct de la no-wave et des groupes qui s’en sont par la suite inspiré (les ultra-vénérables Liveskull, les premiers Sonic Youth ou, par extension, Heliogabale) et donc bien loin de la batardisation stoner et grassouillette qui fait des ravages chez trop de groupes de noiseux viandards et hépatiques. Ici la violence musicale ne s’apparente jamais à une démonstration de force impérialiste ni à une volonté d’annihilation sans rien derrière ; la guitare plus particulièrement n’a pas besoin d’être brandie en direction du ciel pour prendre feu, non la guitare chez Tombouctou est l’incandescence même, elle lacère les tissus, empêche les plaies de se refermer et rajoute une bonne dose d’acide igné pour marquer à jamais son territoire. Cette guitare, il faut quand même que je le dise, elle est tenue par Alex, l’un des deux guitaristes de Torticoli, autre groupe lyonnais adulé dans les colonnes de Perte Et Fracas. Avec Tombouctou, on sent qu’il se lâche, pas forcément encore plus que d’habitude mais d’une toute autre façon ; en écoutant les fils barbelés empoisonnés que cet homme-araignée lance dans toutes les directions possibles je devine presque son rictus malfaisant, jouisseur et libéré du musicien qui sait ce qu’il fait tout en essayant de tout oublier. Mais ce n’est pas lui le patron chez Tombouctou.

Non, le patron c’est la chanteuse. Au petit jeu du marquage à la culotte et du pousse-toi de là que je m’y mette, elle renvoie vite-fait bien-fait ses deux collègues bucherons-équarisseurs dans leurs platebandes. Elle vocifère, hurle, martèle (elle aussi) ses mots, change de registre avec une facilité aussi déconcertante que magnifique, elle met tout le monde à genoux mais ce n’est pas là l’essentiel, elle est déjà ailleurs, elle parle, vit intensément les paroles que – pour une fois – j’ai pris la peine de lire. Placé à la fin de la première face, Nail est profondément marquant. Bien que ce ne soit pas forcément le titre où le chant soit le plus frontalement impressionnant. Par contre il y est tellement intense, logorrhée de saillies, d’arrêtes, d’angles et de volées de bombes incendiaires qui vrillent dans les têtes. Mais avec Nail il s’agit également d’une composition où la musique se fait d’autant plus envoutante qu’elle s’aère subitement lors d’un long passage hypnotique et incroyablement dense, se libère peu à peu de son hystérie intrinsèque pour se placer sur le terrain de la lumière inquiétante et trouble des passions dévorantes. Si j’adore particulièrement ce titre c’est donc aussi parce qu’il ne contient pas que des promesses d’escalade au milieu d’incendies foudroyants (mode de fonctionnement qui convient pourtant parfaitement à Tombouctou, tout Ceiling Coast en est la preuve évidente) et qu’il laisse le chant s’étaler davantage et dominer, toujours un peu plus, uniquement pour lui-même et non pas que contre ; tout ici gagne une nouvelle intensité, une nouvelle profondeur effrayante mais irrésistible et cette voix, cette voix qui soudain n’a plus besoin de hurler ni de cracher, déverse toutes ces émotions contradictoires et tumultueuses, ce sang du cœur, plus que jamais reine d’un territoire aux confins à redéfinir sans cesse. Jusqu’à entrainer les autres avec elle.

Hazam (26/05/2017)