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Chevignon
Déchirance – LP
Amour Et Tétanos/Et Mon Cul C’est Du Tofu ?/Gabu Asso/Ignominie/Kerwax/Les Potagers Natures/Poutch Militaire/Reafforests 2017

Tout le monde à poil. Toi. Moi. Eux. Nous. Mais pas pour faire un concours de la plus grosse bite ou des tchoutches les plus finement siliconées (voire les deux en même temps). Non. Déchirance remue la merde, parle crument, dégueule des ignominies totales, pointe et désigne sans lancer d’anathème. Facilité du propos ? Posture héroïque du juge-pénitent ? Lâcheté du second – troisième – degré ? Non plus. Chevignon déverse des torrents de vitriol et de rage mais le dessein du groupe est bien plus affiné et subtil que ce qu’il n’y parait au premier abord et surtout je ne vois absolument pas comment Chevignon aurait pu faire autrement. La violence, seule, contre la violence. Chevignon c’est donc l’absence totale de complaisance et l’absence totale de dédouanement. Les choses sont désignées telles qu’elles sont. Et puisque j’ai parlé de violence, je peux rajouter tout ce qui va avec : contrainte, sévices, brutalité, torture, sauvagerie, destruction et barbarie. Viol. Tourments et désolation. Déchirance parle de tout ça et en parle de cette façon là. Déchirance en parle au delà de la provocation – malgré une photo de pochette assez facile et qui fera surtout rire toutes celles et tous ceux qui reconnaitront les deux protagonistes – mais également d’une manière tellement étrange (Job d’Été et Déchirance, soit les deux titres composant la deuxième face du disque, apportant tout son relief à la première puis à tout l’album qui gagne en complexité et en significations à chaque nouvelle écoute).

Chevignon ce sont donc des textes. Et pas n’importe lesquels. Ceux chantés et hurlés par Raphael Defour que l’on connait déjà pour sa participation à Cougar Discipline, Immortel ou Amour Fou (sans oublier ses pièces de théâtre et ses mises en scène). Autant de projets avec à chaque fois ses textes en première ligne. Mais Chevignon est un groupe bien plus ancien que tous ceux précités. Environ une quinzaine d’années au compteur, non ? Avec comme premier jalon un split 10'' avec les Mary Poppers (chez S.K. records en 2005). Puis un silence discographique jusqu'à un nouveau split, cette fois-ci en compagnie de Torticoli (Bigoût records, Maquillage & Crustacés, Tandori et quelques autres en 2013). Une activité parcellaire. Des concerts aussi rares qu’intenses – je me rappelle en particulier d’un où la fosse s’est brutalement transformée en ring et où la sono a été débranchée par des mécontentes et des mécontents. La grosse ambiance. L’apocalypse des mots, la destruction des tabous. Montrer la haine comme jamais. Jusqu’à ce qu’elle s’annihile d’elle-même, au risque pour Chevignon de s’exploser en même temps – encore une fois ce n’est pas un faux exercice périlleux et ce n’est pas exercice tout court.

A la violence des mots correspond la violence de la musique. Chevignon c’est deux guitares magnifiques et un batteur époustouflant. Anto (auparavant dans Fat32) a remplacé Andrew Duracell derrière la batterie il y a quelques années déjà et la puissance imaginative de son jeu convient parfaitement à la folie des deux guitares. Lorsque Chevignon s’attaque à un genre précis (il y a un peu de surf music sur Créteil, du Dead Kennedys et un soupçon de thrash sur Jamais Non, du black metal sur Cowboy de l’Amour, du funeral doom – mouhaha – sur Déchirance) c’est toujours d’une façon dévoyée, corrompue. Mais aussi le plus sérieusement du monde. Tout comme lorsque le groupe joue avec les codes du blues tout en fricotant avec la noise – ce qui, en dehors du nom des deux groupes, fait un deuxième point commun entre Chevignon et Oxbow grande époque. Et, croyez moi, toute cette rage musicale et toute cette défonce sonique étaient plus que nécessaires pour tenir le coup face aux textes (oui, encore une fois), pour leur faire le plus beau des écrins vénéneux. Déchirance est bien cet album d’une cohérence totale plongeant au milieu d’un chaos boueux à la recherche d’une lumière trop blanche pour ne pas être sale. Et il fallait au moins ça.

Vous l’aurez compris, Déchirance est en fait le premier album de Chevignon. Après tellement d’années d’existence. Il a été enregistré deux ans avant sa parution aux studios Kerwax par le wizard Christophe Chavanon (et qui, il y a longtemps, jouait dans les Mary Poppers…). Il a donc mis du temps à sortir cet album, beaucoup de labels ont été sollicités, beaucoup ont répondu mais comme cela ne suffisait pas, des amies et amis ont mis la main à la poche. Un cas désespéré. Souvent je me dis que Déchirance sera peut-être aussi le seul et unique véritable album de Chevignon. Ou qu’il faudra attendre encore une dizaine d’années pour se reprendre une telle giclée d’acide dans la gueule et dans les boyaux – le cœur. Mais qu’importe que Déchirance soit le seul disque de toute la vie du groupe, un hurlement persistant dans un cauchemar, une ultime explosion après la toute fin : Déchirance n’est pas qu’un grand disque, Déchirance est à la hauteur de toute sa démesure. Ultime et sans concession.

Hazam (28/08/2017)