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This Heat
Deceit – LP
Modern Classics Recordings 1981
/2016

Deuxième album réédité par Modern Classics Recordings dans des conditions de confort identiques à Blue & Yellow, Deceit est paru à l'origine en 1981 sur Rough Trade records. Alors que le premier album est souvent vu comme un disque plus expérimental et Deceit comme un disque plus rock et structuré, il n'est pourtant que le prolongement de leur vision, une évolution naturelle où l'originalité, l'expérimentation et les structures du rock s'entrecroisent dans des morceaux qui ne ressemblaient toujours à rien de connu en pleine période post-punk. En ce début d'années 80, l'époque était à la guerre froide, les menaces nucléaires planaient au-dessus des têtes occidentales. Deceit en est le témoignage, le catalyseur des inquiétudes d'une époque qui semble bien lointaine. Mais à chaque décennie ses périls. La tension, la colère, la dureté sont donc des sentiments plus palpables sur Deceit. Pour un disque il est vrai plus rationalisé et appréhendable. Moins de poésie, plus d'urgence.

Pour autant, la conception de Deceit reste étonnante. La parole à Hayward :
Fred Frith est venu un jour assister à une répétition de This Heat pendant trois heures. Nous n'avons fait que parler, échanger sur nos morceaux, comment ils devaient évoluer, quelles parties devaient disparaître au profit d'autres, qu'un rythme n'était pas approprié etc etc. Nous n'avons pas joué une seule note. Frith nous a dit que ça, c'était une vrai répétition. Ce à quoi je lui ai répondu que non, ce n'était pas vraiment une répétition. Mais nous avons continué ainsi pendant six semaines, cinq à six jours par semaine, d'environ deux heures de l'après-midi à 8, 9 heures du soir. Sans jamais jouer une seule note ! Juste argumenter. Mais à la fin, nous savions où nous allions, nous avions les idées et après six semaines, le second album prenait forme.

Deceit est donc plus centré sur le guitare-basse-batterie et A New Kind Of Water pourrait en être l'étendard. Le morceau le plus évident, abordable, à la magnifique ligne de chant (et les seules paroles écrites par Bullen pour This Heat), à la rythmique toujours aussi inventive et alerte, un morceau dont on ne soupçonnait pas This Heat capable suite à leur premier album. Cela n'empêche pas This Heat d'élaborer des compos expérimentales à partir de bandes triturées comme sur Radio Prague et son sample d'émission tchèque, Hi Baku Shyo (qui signifie Suffer Bomb Disease) enregistré à partir de sons pris hors studio, retravaillés ensuite et sensés d'écrire la bande-son du monde après le chaos nucléaire, sans oublier les triturations ludiques de Triumph accompagné d'un chant et de chœurs décalés. Le trio de Brixton continue d'utiliser toutes sortes d'instruments (synthés, cuivres et beaucoup de tapes manipulation) mais s'accordent à évoluer dans un cadre général plus précis, bien qu'on reste encore éloigné de l'idée que le commun des mortels a d'un morceau carré. Les structures possèdent leur dose d'élasticité, de bizarreries, d'absurde et de variations de tonalités. Des morceaux qui s’enchaînent logiquement, un fil rouge invisible mais une grande diversité d'ambiances, une explosion de créativité pour un album comportant ses farouches défenseurs le classant parmi les plus grands disques de tous les temps. Paper Hats, SPQR, Makeshift Swahill, compositions incomparables et singulières, entre le jeu de batterie/percussions virevoltant de Hayward, ces mélodies étranges et touchantes, l'oppression, la schizophrénie d'atmosphères tendues et aériennes, les cassures et les envolées inquiétantes d'un disque qui n'en finit jamais de surprendre et inusable. Tant de choses à dire sur ce disque et ce groupe. Alors autant donner le mot de la fin sous forme de belle métaphore à Hayward qui déclarait récemment :
Je pense que nous avons fait une musique pour durer et pas seulement pour les personnes qui étaient là à cette époque. Quand j'étais gosse, j'avais enterré une boite de mes jouets dans le jardin comme ça, dans des centaines d'années, un enfant la trouverait et s'amuserait avec.

40 ans après leur premier album, This Heat reste un trésor qui n'a pas délivré tous ces secrets. Et c'est bien mieux comme ça. On ne comprend pas tout mais le frisson est omniprésent. Personne n'est capable de dater cette musique. Elle pourrait sortir aujourd'hui, on y verrait que du feu. Et celui de This Heat brille d'une façon unique et pour longtemps encore.

SKX (04/07/2016)

P.S.: Modern Classics recordings a également réédité le EP Health And Efficiency.