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This Heat
s/t – LP
Modern Classics Recordings 1979
/2016

Le label de Seattle Light In The Attic, via sa branche réédition Modern Classics Recordings, ressort au grand jour les deux albums d'un groupe qui a donné ses lettres de noblesse au mot culte. Une carrière très courte entre 1976 et 1981, pour un groupe confidentiel de son vivant mais dont l'aura et l'influence de leur musique n'auront cesse de grandir sur des générations de groupes à venir au point de devenir une référence incontournable. Les albums des Anglais de This Heat n'avaient jamais été réédités, sauf en CD, sauf dans des versions non-officielles ou plus ou moins bâclées. Modern Classics Recordings a fait les choses en grand. Première réédition officielle avec la collaboration des deux membres de This Heat, Charles Hayward et Charles Bullen, le troisième, Gareth Williams, étant décédé en 2001. Remastérisation à partir des bandes originelles, pressage sur un beau et lourd disque de 180 grs, pochette gatefold avec livret intérieur, des notes/commentaires de Hayward et des photos d'archives. Un bon moyen donc pour éviter de claquer une fortune dans les vinyles originaux car This Heat n'est pas tombé dans les oubliettes. La spéculation sur leur dos n'a jamais faibli.

This Heat, un groupe punk par essence. Pas seulement parce qu'ils sont apparus en pleine apogée du mouvement punk mais surtout par leur approche même de la conception d'un groupe. Comme déclara Hayward par la suite : Nous (Hayward et Bullen) avons rencontré Gareth alors que celui-ci ne savait pas jouer. Ça semblait être une bonne raison pour ce que nous voulions faire : ne pas penser à la technique mais se concentrer uniquement sur le feeling. Et il aurait pu rajouter (ce qu'il a fait dans d'autres interviews), surtout ne pas faire la même musique que les autres groupes, chercher sa propre voie. La définition même du mouvement punk, une définition trop souvent bafouée.

Après deux excellentes Peel Sessions en 77 (qui ont été publiées en 96 par These records) qui amènent la presse et le public à s'intéresser à This Heat avec des articles élogieux dans le Sounds, NME ou Melody Maker, il faudra hélas attendre deux années de gestation dans les méandres de Brixton pour voir le premier album de This Heat sortir sur Piano records en 1979. Largement le temps de voir le buzz s'éteindre. Un album self-titled mais souvent appelé l'album Blue & Yellow avec une pochette à la double entrée, sans recto, sans verso. Et sans repère connu à l'époque. Nous n'avons jamais été sûrs de connaître les règles du jeu, ça nous a donc permis de faire ce que nous avons fait, a récemment déclaré Hayward. A partir de larges parties improvisées, le trio crée une atmosphère étrange, tour à tour douce, onirique ou tendue, décalée, flottante ou bruitiste. De ce groupe dont on dit qu'il préfigure le post-rock, il est avant tout question d'écrire une suite de notes qui colle le frisson à travers un champ expérimental.
La manipulation de bandes, des cuivres, keyboards, violoncelle et autres ustensiles indéterminés s'intègrent aux percussions hétéroclites de Hayward, la guitare de Bullen et la basse de Williams pour construire une musique unique et fortement intrigante. Elle déstabilise au début, elle ne se laisse pas apprivoiser facilement, mérite de l'attention, toute votre attention pour que son empreinte grandisse dans votre cortex sensitif.

L'étrange beauté de cette musique naît d'un contraste entre l'approche volontairement avant-gardiste et les mélodies, la mélancolie qu'elle dégage. Des vagues de bruits incertains, de la freeture s'effacent devant le chant fragile de Hayward sur l'introspectif Not Waving où les fantômes du Velvet Underground rôdent avec le consentement de Brian Eno. The Fall Of Saigon est également un très beau titre avec un rythme shamanique, la beauté traînante du chant à plusieurs voix, le solo de guitare apparaissant sur la fin qui ne fera que monter en tension et tout un tas d'arrangements dans l'arrière décor qui rendent cette composition hypnotisante. Et quand les structures deviennent plus abstraites, This Heat arrive à nous emmener avec eux dans ces atmosphères obsédantes, à tisser des canevas prenants, intensifier les rythmes, laisser libre cours à leur créativité débordante pour nous mettre sur le carreau de compositions étonnantes comme sur le faussement tribal, aérien et splendide Twilight Furniture qui arracherait presque une larme ou le plus rythmique, ensorcelant et electro 24 Track Loop. La musique industrielle, des balbutiements de musique électronique, le psychédélisme, le rock, le free-jazz, la pop et son contre-pied au service d'une poésie nouvelle. Un disque OVNI qui n'a rien perdu de sa pertinence et de son attractivité.

SKX (03/07/2016)


(de gauche à droite : Bullen, Williams, Hayward)