polymorphie
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Polymorphie
Cellule – CD
Grolektif 2015

Lors d’une précédente chronique je vous parlais de Ka Nis Za, merveilleux troisième album des Lunatic Toys. La transition est toute trouvée (et vraiment trop facile mais, que voulez-vous, je suis intensément fatigué ces derniers temps) puisque Clément Edouard, altiste chez les Lunatic Toys, occupe ce même poste au sein de Polymorphie. Mais les points communs s’arrêtent là. Polymorphie est un collectif à géométrie variable et surtout la créature de Romain Dugelay – ici également au saxophone alto – que l’on connait et apprécie tellement pour être le saxophoniste baryton des terribles Kouma ainsi que de Pixvae, nouveau projet très intrigant dont on reparlera à l’occasion (notons que Damien Cluzel, guitare baryton, et Léo Dumont, batterie, tous deux habituels compagnons de Romain dans ces deux groupes, sont également de la partie ici). Le reste du line-up est composé de Lucas Garnier aux claviers (mais aussi à l’enregistrement) ainsi que de Marine Pellegrini, sa camarade de jeux au sein d’Erotic Market, à la voix et à la narration. Et cette dernière à une place très importante au sein de Polymorphie puisque elle est littéralement la porte-parole – j’allais écrire porte-voix – du groupe : Polymorphie aime les « concepts » puisque on se rappelle très bien que le premier album était partiellement centré autour de textes de Nick Cave et, pour Cellule, le concept tourne cette fois autour de textes relatifs à la prison, à l’incarcération et à l’enfermement.

On croise ainsi des textes d’Oscar Wilde (emprisonné pour cause d’« immoralité » et d’homosexualité dans l’Angleterre si puritaine du 19ème siècle), Jean Zay (membre du gouvernement sous le Front Populaire, victime d’une campagne antisémite abominable, emprisonné pour « trahison » par le régime de Vichy et finalement assassiné par la Milice en 1944 lors d’un sordide traquenard), Albertine Sarrazin (insoumise parmi les insoumises, délinquante, voleuse, prostituée pour survivre et surtout auteure de nombreux poèmes et romans dont l’autobiographique L’Astragale, un livre que, fut un temps, les professeurs de français et de littérature osaient faire lire à leurs élèves), Paul Verlaine (emprisonné comme chacun sait pour avoir tiré sur son amant Arthur Rimbaud) et Xavier, seul anonyme du lot – et c’est là l’un des deux seuls regrets que j’exprimerais au sujet de Cellule : pourquoi ne pas avoir mis plus de textes de détenus inconnus ? Peut-être pour des histoires de confidentialité, de droit et d’autorisations (à noter que le texte de Xavier est extrait de Paroles De Détenus aux éditions J’ai Lu/Librio).

Cellule est-il pour autant un disque militant ? Par sa thématique, oui, assurément. Puisque le monde carcéral, cela semble une évidence mais pas pour tout le monde, ne résout absolument pas les problèmes d’une société normative et centrée sur elle-même mais exacerbe l’exclusion et la mise à l’index ; la prison, solution punitive « nécessaire » telle que nous la connaissons ici, n’est que le miroir teinté d’un système démocratique hypocrite et de son mode de fonctionnement basé sur l’inégalité sociale, économique, sexuelle ou religieuse. Vous me direz qu’il y a peut-être des sujets plus importants mais en fait, non, je ne le crois pas. Lorsque, après les évènements du 13 novembre 2015, on vit dans un pays capable, sous le coup d’une colère émotionnellement légitime et donc compréhensible mais par contre avec une incompréhension décidemment aveugle de sa propre putréfaction sociale mais aussi totalement amnésique de l’Histoire, de laisser instaurer un « état d’urgence » militaire et sécuritaire pour le bien de tous, cela fait froid dans le dos. Puisque cela revient, une nouvelle fois, à enfermer tout le monde dans une même prison, mais une prison qui ne résoudra malheureusement rien parce que reproduisant à l’identique les mêmes schémas de peur, les mêmes réflexes d’auto-défense calibrés et, donc, un apartheid humain généralisé ou chacun est l’ennemi potentiel voire putatif de l’autre.

Mais je m’égare, encore une fois. Ou plutôt : Polymorphie ne va pas aussi loin avec Cellule en ne proposant, finalement, que des écrits et des textes qui sont autant de reflets terribles voire terrifiants d’expériences individuelles. A chacune et à chacun d’y réfléchir, après. Par contre, là où Polymorphie va vraiment très loin, c’est avec sa musique. Si Voix, le premier album du groupe, était déjà une réussite, Cellule s’impose de lui-même par sa fougue, sa richesse, sa détermination et sa vitalité. Les compositions de Romain Dugelay sont lumineuses, débordant de cette énergie électrique – oui, j’aime l’électricité – qui transcende les genres (jazz / noise-rock / électro) en un maelstrom impétueux et irrésistible. Aux moments de pure bravoure sonique succèdent des accalmies qui malgré tout gardent toujours en eux la tension qui parcoure l’ensemble du disque. Et au dessus surnage la voix de Marine Pellegrini, fil conducteur d’une émotion permanente, que ce soit dans le registre de la colère et de la violence que dans celui de l’apaisement triste ou même de la fausse douceur, tout en évitant systématiquement toute emphase. D’ailleurs cette voix est de moins en moins narrative et s’essaie de plus en plus au chant, prenant même parfois la place d’un sixième instrument au sein de Polymorphie.

Mais, s’il y a autre chose que je regrette au sujet de Cellule, c’est que le disque soit finalement si court. A peine trente trois minutes… Je me console comme je peux en me disant que l’intensité et la force poignante de Cellule compensent largement et que finalement, rien ne m’empêche de l’écouter deux (trois…) fois de suite. Et c’est, après tout, sans doute une bonne chose car voilà véritablement un disque qui supporte les écoutes successives tant il se révèle riche et envoutant. Et puisque Cellule existe en vinyle (les photos ci-contre sont celles d’un pauvre CD promo sans allure), je crois bien que je vais ajouter ce LP à ma liste de cadeau pour noël – oui, je sais, encore une « fête » hypocrite et pseudo religieuse, une prison de bonheur pour tous.

Hazam (28/11/2015)