A.H. Kraken
Tatiana - LP
Down Boy/Gaffer 2009

Gaffer et Down Boy exhument des cassettes enfouies dans les méandres de la Lorraine (qui saigne). Sur la très sobre feuille volante à l'intérieur de la pochette, A.H. Kraken s'est amusé à brouiller les pistes et joue les rigolos de service. Seul le lieu de l'enregistrement est bon (et encore, va savoir), l'église d'Oron dans le 57590. Les autres chiffres, ceux des dates d'enregistrement (juillet 1987), le mixage (novembre 1988) et la sortie de l'objet (mars 1989) sont des leurres. A cette époque, je sais même pas si ils avaient le droit de monter sur des mobylettes et le goût de la kro leur était inconnu. Mais je m'avance parce qu'on a là de jeunes gens précoces. On les sent capable de tout, des pires horreurs comme du meilleur. Ca peut paraître bizarre de ressortir ces vieilles bandes qui datent de 2002 (pour de vrai), après un premier album excellent en 2008, comme si tout ça était trop parfait et qu'ils préféraient se tirer une balle dans le pied en montrant leur brouillon de jeunesse. Mais brouillon ne veut pas dire erreur de jeunesse et c'est là que ça devient intéressant. Six ans avant ce 1er album (c'est qu'ils ont mis du temps avant de passer à l'acte), A.H. Kraken avait déjà de la belle merde entre les doigts, tout était déjà (presque) là. L'esprit dérangé, pervers, le bruit blanc en leitmotiv, Sonic Youth/Sonic Death en ligne de mire, les paroles qui font mal. Manquait plus qu'à mettre un peu d'ordre (et c'est important l'ordre, tout comme la discipline), à peaufiner les accroches bien souvent ici à l'état embryonnaire et rendre tout ça un poil plus audible. Parce que si l'album est du genre primaire dans le son, cet enregistrement est bien pire. C'est pas du son haute-fidélité que t'as là mais du brut de décoffrage avec une belle couche de crasse et les moyens du bord en guise de technique de pointe. Limite cacophonie. Et c'est justement ça qui est bon, ce bordel nihiliste, cette classe à l'état noire et originel d'un groupe en devenir qui avait déjà tout pour plaire. On comprend mieux ainsi l'intérêt de la chose d'avoir porté ce vinyl uniface à un plus grand nombre que les 49, selon l'insert, 21 selon la police, exemplaires de la cassette d'origine dont les heureux possesseurs ne mesuraient pas toute la chance à l'époque. Bien plus qu'un fond de tiroir dépoussiéré, un album à part entière qui sort à contretemps et ce désordre est en soi insupportable.

SKX (25/05/09)