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A.H.
Kraken
Elle avait peut-être 19 ans mais pour moi elle en aura toujours
12 - LP + CD
In The Red 2008
Ça
commence par l'histoire d'une pochette et elle tue. Imaginez tomber par
hasard sur cette pochette lors de vos emplettes chez votre disquaire préféré.
OK, j'ai dix ans de retard. Désormais, t'as le bonheur au bout
du clic. N'empêche. Imaginez un instant. Cette pauvre fille avec
ce regard de bovin. L'accoutrement pas possible qui sent le saccage de
cimetière juif et les croix renversées le samedi soir entre
potes désoeuvrés. Cette tapisserie, ce décor si on
peut appeler ça un décor, qui pue le dimanche après-midi
pourri. Cette photo glauque, suintant le suicide, dégueulasse et
pixélisé à mort. Ce truc où aucun nom apparait.
Vous tombez dessus et soit vous passez vite fait au disque suivant, sûr
de se taper une daube même pas marrante. Soit vous soulevez l'objet,
piqué au vif, vous le retournez et apparait alors un nom de groupe
mystérieux, A.H. Kraken. Un titre d'album pour pédophile,
laissant perplexe. Des titres de chansons à la con (Cette Fille
est à Genoux, Kevin Costner est un Acteur Américain),
un papillon bleu et une croix de Lorraine avec marqué en dessous
Gtaie. Mais c'est quoi ce putain de disque ??!!
Il faut une certaine dose de courage pour aller au bout de ces intentions.
Je ne parle pas de l'auditeur potentiel mais du groupe. Du courage ou
de l'inconscience, ce qui est à peu près pareil.
A.H. Kraken, groupe de Metz. Déjà, c'est mal barré.
Et si vous vous fiez au t-shirt Slipknot version beaufs, c'est encore
plus mal barré. A.H. Kraken, c'est du minimalisme bruyant, du névrosé
dansant, du punk maladif. Ce sont de brèves et intenses descentes
de guitares estampillées Sonic Youth, particulièrement évident
sur Allan Müller et sur De type Caucasien. Des descentes
d'organes à la Arab on Radar qui donnent envie de vomir sur la
piste de danse. Des relents de no-wave, cet extrême purulent et
aliénant (qui fait même plus peur, soit dit en passant.)
Et puis surtout, des morceaux allant droit au but, qui ne s'emballent
pas dans des développements hasardeux. Une idée de riff,
un rythme, un seul truc à la fois et je te le balance à
la tronche dans le plus simple appareil. Et ces cons, ils ont le riff
simple mais bon. Le rythme sec mais entrainant. Une idée et ils
te l'essorent, jouent sur la répétition, confinant à
l'hystérie (Ahmed). Deux guitares qui vous percent la peau,
pèlent les nerfs. A.H. Kraken a le sens de la photo choc et de
l'accroche, de la mélodie perverse. L'addiction à ces onze
morceaux est immédiate.
Voilà qui pourrait être la fin de la chronique d'un excellent
album. Musicallement plaisant, qui met la trique juste comme il faut,
quasi irréprochable malgré les influences évidentes.
Mais ce qui fait qu'on y reviendra, le (gros) plus qui donne de l'épaisseur,
c'est l'humeur poisseuse qui s'en dégage, les paroles en français
donnant une autre dimension à leur musique tournée vers
l'ouest, au-delà de l'Atlantique. A.H. Kraken a les deux pieds
bien plantés dans le terroir de l'est français. Cinglant.
Noir. Vulgaire. Brut de brut. Après le choc de la photo, le poids
des mots.
T'as la même tête que ta mère qui trainait déjà
dans de sales histoires.
Toutes les chiennes sont violées dans les cabines téléphoniques.
Des phrases souvent incompréhensibles, noyées dans le
bruit. C'est mieux pour notre hygiène morale. Des bribes de mots
saisies à la volée. L'imagination fertile fait le reste
quand il s'agit d'histoires sordides, de racisme ordinaire et de petites
véroles. Ma préféré reste Les Murs des
Bunkers. Une lumineuse inspiration d'un texte répertoriant
laconiquement les graffitis jetés sur des murs de bunkers mais
ça pourrait être des pissotières, c'est le même
combat.
Mort aux arabes, mort aux juifs, mort aux pédés.
Franck B. est un sale enculé.
Frederica suce des bites pour 10 francs.
Oh Jessica, je t'aimerais jusqu'à la mort.
Accompagnement
musical judicieusement rachitique. Ligne de basse minimale, froide et
détachée. Ce morceau est une merde de chien collée
à votre semelle dont l'odeur vous poursuivra pendant longtemps.
A.H. Kraken ne truquent pas, ne se déguisent pas. Ils sont tout
entier dans ce qu'ils donnent. Et ça ne se pardonne pas ça.
Ça se prend tel quel et ça va laisser des traces.
SKX (05/12/2008)
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