GARBAGE COLLECTOR

En écrivant un article en novembre 2007 sur cet obscur mais essentiel groupe français, j'étais loin de me douter qu'un an plus tard, un des membres de Garbage Collector allait contacter Perte & Fracas. Les miracles de la technologie moderne ! Divine surprise suivie d'un échange d'emails nourrit pour arriver rapidement à la conclusion qu'une interview s'imposait, histoire de connaître un peu mieux ce groupe et dévoiler un coin du mystère.
Questions/réponses avec Franck Dupont, guitariste et chanteur (la voix sur Tiny Killer, c'est lui) de Garbage Collector.

Pour commencer, une présentation du groupe par Franck :

La préfiguration de Garbage Collector qui s'appelait alors Rocksuckers s'est dessinée fin 1986, début 1987 dans le bassin de Longwy en Lorraine, vallée presque uniquement dédiée à la mono-industrie sidérurgique, un pays de métal, de bruit et de fureur et de chômage...
Stéphane A, Moh', Philippe T et un bassiste débutant (dont l'histoire a oublié le nom,) ont commencé à répéter avec comme seul but premier de produire de l'électricité répondant comme un écho à la queue de la comète industrielle environnante.
Les deux premiers décomplexés par les scènes bruitistes émergentes outre atlantique et par une écoute prolongée de la vague industrielle anglo-allemande ont initié ce collectif instrumental sans envisager de voix dans un premier temps.

Lorsque le besoin s'est fait sentir et que le premier bassiste a montré toutes ses limites, leur choix s'est porté sur moi pour les accompagner dans cette nouvelle aventure. Nous avions déjà sévi ensemble au sein d'une association "Musique Nouvelle" qui organisait des concerts post-punk ou cold wave dans la région mais nous nous étions un peu perdus de vue à la fin de ces activités ; chacun ayant suivi des voies universitaires différentes, Metz pour les deux premiers et Nancy pour moi. A noter que tout ce petit monde n'était même pas forcément majeur pendant ces activités associatives (nous utilisions des prête-noms pour les autorisations de location de salle et au début de GC, la moyenne d'age ne devait pas dépasser 19 ans...)

J'étais le seul à avoir déjà participé à des formations punko-cold-wave (mes premières amours ainsi que le hardcore us ou la scène anarcho punk anglaise de type Crass, Flux, Conflict, Subhumans, Amebix, Actifed puis un goût immodéré pour le punk arty en vieillissant ; à ce jour je suis resté très proche de Wire, Fall, Gang of Four, Pop Group...) très jeune. J'avais vendu ma première basse faute de trouver des alter ego ouverts sur les mutations musicales mondiales, la France ne m'enchantait guère. Moh' et Steph' sont venus me débaucher un après-midi terne (pléonasme à Longwy) et nous répétions dans l'heure....avec le matériel du premier bassiste racheté dans la foulée et un micro déjà en place !

J'amenais une voix à GC mais très vite nous avons décidé d'intégrer la polyphonie dans le groupe et donc de se partager les chants ou d'intervenir à l'unisson. Il manquait une voix féminine et nous avons naturellement proposé à Armelle (l'amie de Stéph') de se joindre à nous et à David un batteur-percussioniste de doubler la batterie ou d'inventer des percussions métalliques à partir d'éléments glanés la nuit dans les usines désaffectés. Tout ceci n'était ni calculé ni terriblement programmatique mais naturel : ils étaient là, des proches avec des désirs et des propositions artistiques.

Les influences étaient dès l'origine très hétérogènes au sein de GC : Stéph' (guitare, voix) était le seul à avoir suivi une formation classique il appréciait les expériences sonores, bruitistes, ambiantes ou contemporaines et était très méfiant vis à vis du "rock'n'roll"; Moh' (guitare, voix) était un non musicien très conceptuel capable de tout avec une guitare ou tout autre instrument en main ; Philippe T (batteur) était un taiseux qui ne s'exprimait guère que par son seul instrument ; Armelle (voix) était plus intéressée par Kate Bush que par nos élucubrations sonores mais se délectait de cette position (Armelle et les garçons ;-)) ; David (batterie, percussions) avait un faible pour toutes les formes de rythme ou pour la pop des années 70 (punk y compris) ; j'endossais(voix basse) naturellement le rôle du punkoïde (ou punk mutant comme dit la bio)...
Mais nous étions tous conscient des mutations engendrées par Swans, Sonic Youth... alors que notre pays s'engluait dans un mouvement alternatif qui ne concernait que lui. Les influences d'une foultitude de disciplines artistiques ont été également dès le départ bien assumées. Certains étudiaient le cinéma, les arts plastiques, d'autres l'informatique ou la recherche industrielle mais nous étions tous en permanence en train de débattre sur une expérience filmique, plastique ou littéraire et sur ses effets et sa pertinence. GC était définitivement un collectif de passionnés plutôt qu'un simple combo rock.

En 1989, Philippe T a décidé d'arrêter, fatigué par nos luttes incessantes (d'idée ou littérale face à l'adversité hexagonale...), David s'est exilé vers Montpellier (où nous avions quelques fans par l'intermédiaire du fanzine et émission de radio Les Envahisseurs) et Moh' a disparu progressivement dans la nébuleuses parisienne.
Fabrice R. (guitare), un proche du groupe, a appris la six cordes en sa compagnie et Philippe S. (batterie), frère de David, nous a également rejoint....sans casting, naturellement.
C'est la formation du CD enregistré en 90 (+ compilation Out of Nowhere...) et la finale.



Les 4 titres du CD ont été enregistrés en 1990, mixé en 1992, pourquoi autant de temps ?

En fait, le EP est sorti à titre posthume après que le groupe ait splitté juste après l'enregistrement. Permis de construire/Semantic, chez qui nous avions signé après State of mind, souhaitait le remixer avant de le sortir et c'est ce qu'a fait Stéphane au studio CCAM de Vandoeuvre. Richard Franoux (boss de PDCD) avait bien tenté de nous un rapprocher de nouveau mais la séparation était inéluctable.

Personne n'a songé continuer après ? Personne n'a refait de groupes par la suite ?
Non, continuer GC était tout simplement impossible. Personne ne pouvait en revendiquer la paternité exclusive et le groupe n'avait pas été conçu dans cet esprit. Nous n'avions plus du tout les mêmes aspirations. Trois membres de la formation originelle étaient déjà partis (et ont même disparu de la circulation).
Stéphane avait déjà la tête à Grill (Un album sur Permis de construire Deutschland) à la fin de GC. Et j'ai mis en chantier Pulse, la préfiguration de Tuscaloosa (Un EP chez Lithium...), avec David le premier batteur et percussionniste. Il m'a juste fallu attendre qu'il daigne revenir en Lorraine près avoir passé quelques années à Montpellier.
Nous avons toujours fonctionné sur des rencontres comme éléments déclencheurs et pas sur une ligne programmatique.

Sur Intro et Deconstruction, on sent comme des éléments de rap dans ces morceaux. C'est moi qui délire ou il y avait vraiment une volonté de votre part de faire surgir dans vos compos cette influence ?
Non, ce n'est pas une hallucination. J'étais assez influencé par le rap US émergeant ainsi que Moh' le guitariste. Public Enemy n°1 est évidemment un hommage au groupe du même nom, Intro est une improvisation en studio (tout le titre a d'ailleurs été conçu au feeling, il n'existait pas avant l'enregistrement, autour de percussions électroniques, d'un sample de Captain Beefheart et d'un hommage au hip hop et la disco italienne) tandis que Deconstruction était un titre plus conceptuel influencé par Derrida et balayant dix ans de musique (les années 80) pour mieux les clore. Le rap émergeait, avant de dominer l'industrie musicale aujourd'hui, et était assez excitant.

En 1988, ça représentait quoi de faire du GC dans la scène musicale français ? Est-ce que vous vous sentiez très isolés ou avez-vous réussi à développer des liens avec d'autres groupes français ? ou étrangers ?
On sent à travers tes propos de ta présentation que le climat en France était très pesant pour vous… Tu peux détailler, donner des exemples ?
Nous étions très isolés. Comme l'a dit Moh' dans une interview pour Out of Nowhere, nous suscitions deux types de réaction : soit un rejet brutal doublé de jalousie et de haine (y compris chez des compagnons de route qui ne supportaient pas que nous ayons enregistré et joué sur scène très vite, à peine six mois entre les premières répétitions et les concerts puis la signature chez State of mind, label monté pour nous produire par un sympathisant de Permis de construire) - soit une passion un peu exacerbée des circuits franco-belges et du monde des musiques nouvelles parce que le rock en France en 1988 n'était pas très ouvert, doux euphémisme, à ce type d'expérience sonore...
D'ailleurs, les articles nous concernant s'intitulaient souvent "entre haine et passion" etc...
Je me souviens du retour d'une démo pour jouer dans un club à Metz où le boss nous trouvait trop violents et sans nuances.
Par contre nous étions assez soutenu par la presse étrangère. En Belgique c'était assez dithyrambique et en Angleterre l'hebdo Sounds par l'intermédiaire de John Robb nous plébiscitait. En France, les fanzines les plus pointus étaient assez réceptifs voire mécènes (Out of nowhere nous a fait figurer sur sa compilation) mais la presse nationale spécialisée nous a boudé, à l'exception de Guitare et claviers pour qui "nous sonnions les années 90" !
Plus tard, le magazine Best a sondé la rock-critique anglaise sur les groupes français et nous avons été cités dans une très petite liste !
Peu après, j'ai été interviewée par la journaliste responsable de l'article (qui avait reçu le LP mais l'avait boudé un an auparavant) alors que j'étais en villégiature aux Transmusicales de Rennes pour voir Einsturzende Neubauten et les Beatnigs (devenus Disposable Heroes of Hiphoprisy) un super groupe US qui nous avait placé dans ses playlists dans la presse anglaise.
Quant à nos rapports avec d'autres groupes... La scène nancéienne ne nous portait pas vraiment dans son coeur à l'exception des Wroomble Experience avec qui nous avions partagé l'affiche et qui, à leurs débuts, comportait une guitariste amie à l'allure très Die Haut ou Crime & the city solution.

Je crois que l'amateurisme que nous cultivions en termes de technique pour conserver une certaine fraîcheur énervait certains groupes en santiags, des professionnels de la profession rock (c'étaient les années de Monsieur rock au Ministère de la culture...!) et nous étions pour des formations dites alternatives des "petits cons arrogants qui ne savaient pas jouer, pas rock'n roll". Inutile de préciser que nous avons fini par consolider ce background et en jouer salement...

Toujours dans le même ordre d'idée que la question précédente, est-ce que vous avez fait beaucoup de concerts ou tournées en France ? A l'étranger ?
Non assez peu. Nous n'avons quasiment joué que dans le Grand-est de la France bien qu'une mini-tournée ait été programmée en Belgique. Nous avons aussi annulé des dates à Paris. Deux raisons à cela : - l'aversion pour la scène et les circuits rock de certains membres du groupe et le caractère incontrôlable du groupe dans sa globalité (6 personnes avec d'autres activités à rassembler, c'est complexe...). Le bien-fondé d'une date ou de n'importe quelle représentation (publique, médiatique) donnait souvent lieu à un débat, contradictoire.
Des sessions photo ont aussi mal tourné...Nous partagions inconsciemment beaucoup de traits de caractère communs avec les Beastie Boys des débuts. Pierre de State of mind a probablement beaucoup souffert avec nous.
En fait, la situation globale du paysage musicale français et notre désir de contrôle total (médias, discours...) nous incitait souvent à la méfiance.

Est-ce que tu as suivi l'évolution de la scène française au début des années 90, l'arrivée de groupes comme Deity Guns puis Bästard, Sister Iodine, les Hems, un groupe de Metz également, Condense, Kill The Thrill, le développement de label comme Black & noir ? Est-ce que vous n'avez pas l'impression d'être des précurseurs ?
J'en ai écouté certains. On a croisé les Davy Jones Locker arrivés un peu plus tard mais nous n'avons jamais joué ensemble.
J'ai réalisé un clip pour les Hems, un excellent groupe météore assez incontrôlable, très proche de notre histoire. Bästard est devenu une balise incontournable même si je les ai vraiment aimé avec Radiant... Il y a eu des choses intéressantes sur Black & Noir mais plus que les groupes (j'avais un faible pour Les Thugs, un modèle punk rock, do it yourself), c'est la capacité à créer un réseau, à tisser des liens que je retiens.
Je crois qu'à défaut d'être des précurseurs nous avons un peu essuyé les plâtres pour d'autres. Mais j'ai tendance à minimiser le rayonnement des portes qui se sont (entre-) ouvertes car notre démarche était trop singulière ou isolée pour faire école. Elle n'était pas calculée non plus et pas forcément transférable. Cependant, au vu des retours près de 20 ans après (des amis finissent par admettre qu'ils aimaient nos disques et notre attitude mais qu'ils ne pouvaient pas l'avouer sans se marginaliser eux-mêmes), j'ai le sentiment que notre coté incorruptible mais lucide dans le détournement de l'univers rock" (je rappelle que notre premier nom était Rocksuckers, finalement abandonné car trop typé, mais conservé comme pseudo de producteurs, cf les disques) s'est un peu essaimé dans notre sillage direct.

Est-ce que tu suis toujours l'actualité musicale, notamment à Metz avec des groupes comme A.H. Kraken ?
Je n'ai jamais cessé d'écouter de la musique, actuelle ou passée, mais le spectre balayé par ma discothèque s'est considérablement élargi.
Je ne connais pas les A.H. Kraken.

Depuis 1988, tu as eu le temps de voir le monde musical pas mal évoluer, notamment avec l'avènement d'internet ? est ce que tu penses qu'il aurait été beaucoup plus facile pour GC d'exister maintenant ? quel regard portes tu sur toute cette évolution ?
Bien que le mouvement inéluctable ait été préparé (montée en puissance aux Usa des musiques et des labels noisy ou de traverse et écho grandissant en Europe), j'ai été très surpris quand Sonic Youth a signé chez Geffen et dans la foulée Nirvana sur les conseils de Thurston Moore. Même les Swans ont paraphé un contrat avec EMI !
A 20 ans, je ne pensais pas une seule seconde que ces musiques qui me bouleversaient puissent devenir mainstream ou séduire commercialement le plus grand nombre. Et je connaissais pourtant un peu l'histoire de l'art et des cultures populaires, dont le rock.
Nous fonctionnions avec GC comme des apprenti-Warhol coincés entre les Situ et Dada et fascinés à la fois par la marge la plus extrême et par le sucre ; notre expérience ne pouvait qu'en contaminer d'autres ou se saborder d'elle-même. C'était une question de montage, en termes cinématographiques, ou de cut-up improbables.
Nous avons opté - volontairement ou involontairement, je ne sais pas - pour la seconde solution, engendrant ainsi un très jeune et joli cadavre.
Peut-être qu'aujourd'hui nous aurions fait d'autres choix ou d'autres expériences en envisageant une internationale GC via l'internet.
Ceci dit, j'ai toujours de l'affection pour la Jeunesse (!) Sonique ou Michael Gira qui vieillissent assez bien en 33 tours ou en téléchargement mp3.

Les disques de GC sont introuvables désormais, mais un label va peut-être rééditer tout ça d'après ce que tu m'as dit dans un précédent mail ? tu peux en dire plus, les choses avancent ?
Il y a effectivement un projet pour créer un objet définitif (un joli mausolée) vinyl et cd avec le LP, le EP et des inédits (démos...). Un label était intéressé mais s'est rétracté.
Je ne renie rien mais je pense que les deux disques créés dans l'urgence et dans le cadre d'une esthétique de la pauvreté mériteraient aujourd'hui une seconde vie. Moins pour augmenter leur potentiel commercial que pour les rendre à la fois disponibles et sexy.

Depuis, d'autres news fraiches sont arrivées : On se dirige peut-être vers une réactivation du premier label (State of Mind) pour créer un nouvel objet assez polymorphe (un LP intégrant le cd un peu à la manière de Shellac avec gatefold sleeve et illustration par quelques amis dessinateurs etc...).

SKX (08/02/2009)