WHITE TORNADO

L'histoire de White Tornado est avant tout une histoire de split. Pas la banane mais le format vinylique qui permet à deux groupes (ou plus si affinités) de graver pour l'éternité un moment de bonheur fugace et d'amitié virile entrevu lors d'une tournée commune dans la plupart des cas. Et le cas échéant, de permettre à un groupe moins connu d'attirer les lumières de la rampe grâce au voisin de l'autre face pour qui la lumière a déjà été généreuse.
Pour White Tornado, le voisin de luxe s'appelait Colossamite. C'était pas Broadway non plus, mais l'ex-Dazzling Killmen et les trois autres Gorge Trio jouissaient déjà de leur petite renommée et d'un premier disque sur Skin Graft. L'annonce de la sortie de ce split n'a pas fait un pli et ce vinyl sorti conjointement en 1998 par deux labels italiens (Freeland et Rock 86) a vite atterri sur la platine. C'est bien sur la face Colossamite qui a goûté en premier à la joie du saphir. Gusts of lead est un pur inédit de la bande à Nick Sakes et ils ne se sont pas foutus de la gueule de leurs hôtes. Ce n'est pas du fond de tiroir mais de la bonne came noise vrillée de l'intérieur avec trois guitares qui n'écoutent pas jouer ses copines, un batteur tout fou et les cordes vocales de Sakes qui se croient toujours chez Dazzling Killmen.
Je ne donnais pas cher des ritals sur l'autre face. White Tornado, un groupe originaire de la Sicile, inconnu au bataillon. Le split était forcément bancal. Perdu d'avance. Quatre minutes après et une décennie plus tard, c'est la face que j'ai le plus écoutée. Contrived est une pure balle dans le pied. Une perle noise-rock comme nombres de groupes américains ont tenté d'enfiler mais peu sont arrivés à un tel niveau. Une voix encore plus saturée que Unsane pour un résultat encore plus malsain. Pas de basse mais deux guitares chargées en électricité et bien grésillantes pour soutenir la comparaison avec la voix. White Tornado engage un bras de fer monumental avec Colossamite avec qui ils luttent dans la même catégorie noise. Enorme et on se demande d'un seul coup c'est quoi ce putain de groupe qui débarque de nul part.

Et là t'as pas fini d'en baver pour trouver des infos sur White Tornado. Un secret bien gardé. C'est un autre split qui vient à ton secours. Le disque le plus connu des Italiens puisque c'est Oxbow qui se colle sur l'autre face. Wallace records, label italien incontournable en matière de noise transalpine turgescente, sort le CD en 2000, soit deux ans après le split 7'' et White Tornado offre trois inédits. Je ne sais pas pourquoi mais dans mon souvenir, ces trois morceaux sentaient le sapin, la fin de carrière en eau de boudin. Alzheimer guette. Sans doute pas les meilleurs titres de leur répertoire (et dommage que la plupart des gens ne les connaissent que par le biais de ces titres) mais c'est quand même du très bon. Hog Butcher, Poem to the most affectionate lady et Bed room eyes n'ont pas l'éclat et l'allant de Contrived. Plus sinueux, plus rampant, l'impact n'est pas aussi immédiat - ça doit être ça le souvenir de la déception - mais huit ans plus tard, on se dit qu'on est bien con. White Tornado avait commencé à travailler ses compos au corps, densifier la bête et c'est tout simplement excellent et parfait de maîtrise.

Pour Oxbow, on passe rapidement. Deux compositions figurant déjà sur une compilation japonaise introuvable. On se dit que ça tombe bien mais la bande à Eugene ne s'est pas foulée. Un Pretty Bird passable ne donnant pas envie de gazouiller et un instrumental sous le nom de Pannonica facile sous sa chape bruitiste opaque malgré les quelques accords acoustiques de Werner. Soient deux titres Recorded by Jesus Christ, 33. HAHAHA, les boute-en-train. En tout cas, White Tornado crucifie sans problème les amerloques.


Mais reprenons tout depuis le début. L'histoire de White Tornado commence en 1996 avec un CD 4 titres nommé Leg (le groupe avait sorti en 1995 un morceau, Lapilli, pour une compilation sur Indigena/Wide records). Le label Lollypop réalise l'objet mais ne cherchez pas le sucre et la petite douceur. D'entrée de jeu, Ninni Morgia (guitare), Massimo Sapienza (chant), Ivan Bonica (batterie) et Jeremy Evans (guitare) - cherchez l'intrus - imposent la javel pour les conduits auditifs. Attaque de guitares à la Big Black, voix mégaphonée étant pour beaucoup dans la dimension noise et agressive du groupe, frappe de batterie sèche, martelante, sans complexité inutile. Un sens affirmé de la compo envoyant ses flèches tranchantes. On aurait presque des relents de Dazzling Killmen sur I'm so tired. Pas étonnant que Nike Sakes ait craqué par la suite. Ils se permettent même de reprendre avec succès Nick Drake avec un One of these things first (de l'album Bryter Layter) méconnaissable. Bref, ce Leg, c'est le pied et la photo de cette jambe inconnue est dédicacée à Genesis P. Orridge.
Hélas, cet objet en forme de digipack dépliable en trois volets est quasi-introuvable à l'heure actuelle. Le label a disparu depuis belles lurettes. Je n'étais pas loin de déposer les armes alors qu'il suffisait tout simplement de le demander à Ninni Morgia. Il avait eu la bonne idée d'en amener dans ses valises lors de son déménagement à New-York où il vit toujours. Grazie mille Ninni !

Des Etats-Unis, il en est encore question avec le premier et unique album du groupe. From hand to mouth est enregistré au célèbre Inner Ear studios (place forte des groupes de Dischord) avec Don Zientara. Dans leurs bagages, un nouveau guitariste à la place de Evans du nom de Marcello Di Lorenzo. Disque incontournable qui aurait fait un tabac si Skin Graft ou Touch and Go s'étaient occupé de l'affaire mais c'est Freeland et son étrange boss (merci Gorge Trio pour les anecdotes) qui sortent l'affaire. Une promo et une distribution quasi-inexistantes feront de cet album une pièce inconnue, un must qui s'ignore dans les milieux noise-rock. Un beau gâchis, oui !
Vous connaissez le refrain si ce groupe avait été américain blablabla mais ça n'a jamais été aussi vrai avec White Tornado !
Ils font partie de la deuxième vague noise-rock, capitalise sur l'héritage des meilleurs (Big Black, Jesus Lizard, Big'n, Colossamite etc..) mais à leur manière et la réponse est cinglante. L'album est bourré jusqu'à la glotte de quatorze morceaux tendus, urgents, malsains et lumineux. On comprend d'un coup d'où vient toute la fulgurance de Contrived. L'écriture s'est resserrée. La production fait ressortir à merveille la dynamique des titres. La deuxième guitare sonne plus que jamais comme une basse pendant que celle de Morgia, celui qui signe la plupart des compos, distille merveilles d'arpèges et trouvailles mélodiques. La voix sent toujours le mégaphone (c'est leur coté Hems. J'entends même du Moller-Plesset dans le combat de guitares, c'est dire !), White Tornado aligne une ribambelle de tubes pendant 45 minutes, c'est presque indigne, jusqu'à la reprise de Big Black, Il Duce, hommage de Albini à ses racines italiennes, la boucle est bouclée. En fait non. Le titre suivant se nomme Steve Albini wanted a lot of money. Don Zientara n'était pas le premier nom sur la liste ? Vendetta de la part de White Tornado ? On n'en sait rien et ne compter pas sur les paroles pour en savoir plus, c'est un (court) instrumental nerveux. Mais Albini a joué un rôle important dans la genèse du groupe et sans doute que l'homme était pressenti aux manettes, une sorte d'aboutissement pour White Tornado qui n'aura jamais lieu. Mais les Italiens n'ont pas eu besoin d'Albini pour pondre un chef d'œuvre.
Dommage que From hand to mouth soit aussi introuvable que le maxi précédent. Le jour où j'ai trouvé cet album sur ebay chez un marchand hollandais pour cinq petits euros, je suis parti acheter des tulipes.

Sortiront ensuite les deux splits avec qui vous savez. Vous connaissez la fin de l'histoire de White Tornado est avant tout une histoire de…

SKX (09/02/2008)

PS : Ninni Morgia a sorti de nombreux disques en solo ou lors de collaborations, la première sous le nom de Conjura, juste avant le split avec Oxbow, tout comme son album solo, I am two, sur Etnagigante records en 1999.
Le chanteur Massimiliano Sapienza s'est quant à lui embarqué dans des projets electro…

Discographie ::

Leg - CDEP
Lollypop 1996




From Hand To Mouth - CD
Freeland records 1997






split 7'' with Colossamite
Freeland/Rock 86 records 1998



split with Oxbow- CD
Wallace records 2000





+ Lapilli (v/a Indigena/Wide records 1995)