Venom P. Stinger

Cela faisait un moment que l'article sur Venom P. Stinger chauffait. Le problème était de trouver les disques manquant à l'appel pour avoir la discographie complète. Heureusement, Drag City est passé par là. Le label de Chicago a réédité en 2013 les deux premiers albums des Australiens de Venom P. Stinger (sur les trois + un live) ainsi que deux singles (sur trois).
Une bonne nouvelle pour les porte-monnaie (et encore, quand on trouvait les disques !). Venom P. Stinger, un nom qui en jette. Avec P comme Poisonous ? Je n'ai rien trouvé sur la signification de ce P. mystérieux mais Poisonous collerait bien avec Venom et Stinger pour définir un groupe à la musique toxique et piquante comme les tentacules d'une sale méduse hantant les mers australiennes. Venom P. Stinger, loin d'être le plus connu des groupes australiens. Ce n'est pas non plus le mystère le mieux gardé de l'hémisphère sud, la révélation absolue qui va donner envie de brûler tous vos autres disques de rock australien. Mick Turner (guitare) et Jim White (batterie) connaîtront même beaucoup plus de succès au sein de leur groupe suivant, Dirty Three, avec Warren Ellis. Mais Venom P. Stinger possède un charme brutal, une sale odeur de lose qui le rend attirant, un truc bien à lui qui n'a rien de très australien dans les gênes d'ailleurs, multitude d'épines s'insérant irrémédiablement dans votre épiderme comme autant de morceaux piquants et cruels s'enfonçant de plus en plus profondément dans votre chair pour ne plus jamais la quitter, accro à tout jamais.

Une caractéristique de la musique de Venom P. Stinger est le jeu de batterie. Jim White utilise une prise de baguettes dite traditionnelle, avec la main gauche tenant la baguette "par au-dessous", à la manière de nombreux jazzmen, donnant un rythme de marching bands/fanfare ou militaire avec beaucoup de roulements de caisse claire et une impression de frénésie constante. Il faut dire qu'il avait une idée très précise de la place que devait prendre son instrument : la batterie devait être dans l'ADN de la chanson, une manière de lutter contre l'hégémonie des cordes et des notes (Bomb Magazine, octobre 2013). Vous rajoutez le jeu de guitare très instinctif et punk de Mick Turner, l'organe grondant et unique, chargé en alcool et en drogue qui provoqueront la perte de Dugald McKenzie, la basse d'Alan Secher-Jensen assurant le job en retrait, à l'ancienne, loin de l'approche d'un Birthday Party, et Venom P. Stinger était fin prêt pour marquer les esprits avec leur punk-rock corrosif, revêche et fiévreux.

A force de rencontres et de scènes partagées au sein de leurs précédents groupes (Fungus Brains, The Moodist pour Mick Turner, Sick Thing pour McKenzie, People With Chairs Up Their Noses pour Jim White), les quatre gars de Melbourne créent Venom P. Stinger et sortent en 1986 leur premier album, Meet My Friend Venom, sur No Master's Voice (et réédité donc par Drag City en 2013).
Un album réalisé en deux jours. Enregistrement le samedi. Mixage le dimanche. Dire que ça s'entend ? Oui, sûrement. L'urgence est à ce prix. N'ont surtout pas eu le choix les pauvres bougres. Mais le peuple ne demande pas mieux. Un son rustre qui va comme un poing dans la gueule, un groupe au bord d'un chaos délimité par leur technique sauvage et leur esprit belliqueux. Et au milieu flotte une féroce noirceur. Des morceaux comme des chiens affamés sur un os rachitique. La première impression d'un disque trop monocorde et dominé par des rythmes sans cesse semblables se dissipe au profit de riffs ferrailleux et agités, d'une voix puissamment nihiliste vous mettant sous son joug, de lacérations abruptes et cinglantes et d'une rythmique qui fini par vous emporter dans sa frénésie. Les morceaux se dévoilent, impossible de s'en défaire comme le titre d'ouverture P.C.P. Crazy, Jaws dont un court riff intègre forcément un passage de la bande-son des Dents de la Mer, le tumultueux And Suddenly, l'encore plus chaotique et punk Going Nowhere qui pourrait tout droit venir de l'Angleterre en 1976, Flourish Wish avec des soupçons de mélodies, tout comme l'enlevé Untitled. Le quatuor s'offre une parenthèse surprenante avec l'expérimental Jaws II ou une plongée dans les entrailles de la bête avant de terminer avec le speed et direct Venom P. Stinger qui peut prétendre au meilleur titre de l'album. On comprend mieux pourquoi les Slug Guts leur vouent un culte.






Walking About, c'est l'hymne de Venom P. Stinger, un morceau accroché aux basques du groupe, un titre figurant dans de nombreux top 10 des meilleurs titres de rock australiens sur des blogs et autres classements qui ont vu la Lumière. Ce morceau existe uniquement sur un single paru en 1988 sur Aberrant records (et judicieusement réédité par Drag City en 2013). Tout réside dans ce rythme encore plus trépidant que d'habitude, l'urgence suintante de la guitare montrant un groupe sur le fil du rasoir, cette intrication implacable qui conduit à la folie pour une chanson dont toute la philosophie est résumé dans l'aliénation des paroles de MacKenzie : They've got my car / They've got my house / They've got my keys to my door / I can’t get out. Et c'est vrai qu'il est super bon ce morceau, en version télévisée ici ou plus sauvage par .
Face B, 26 mg parle d'addiction et n'a pas franchement à souffrir de la comparaison avec Walking About. Un morceau que vous ne trouverez également que sur ce single, ce qui en fait un must have de leur discographie.




Deux ans plus tard, en 1990, Venom P. Stinger réalise What's Yours Is Mine, un deuxième album toujours sur Aberrant et toujours réédité en 2013 par Drag City (les photos que vous voyez sont celles de la version originale, même si Drag City s'est attaché à tout rééditer exactement de la même façon, le logo du label d'origine en moins).
Le fusil ne change pas d'épaule, crache un venin et des ingrédients fielleux à l'identique mais le groupe a mis plus de deux jours pour l'enregistrer. Et encore plus pour le composer. Le résultat monte ainsi d'un bon degré dans l'échelle du convaincant. Venom P. Stinger a semé plus de germes mélodiques, de variétés d'approche et les quatorze titres – oui quatorze – dégage un doux parfum de grenaille trempée dans l'arsenic et balancée par des mecs hagards qui n'ont pu rien à perdre. Ce qui est à toi est à moi. Venom P. Stinger s'approprie les racines du punk australien (The Saints) pour les transformer en une matière post-punk aigre et sifflante, angles extrêmement coupants et neurones agités à l'intérieur. Enchaînement de titres percutants, d'un Mick Turner aux lignes de guitare incisives, d'une basse remontée d'un niveau, morceaux emportés par un tourbillon de rythmes. Je pourrais citer tous les titres, plus je l'écoute et plus il me rend dingue ce disque mais on peut tout de même extraire des compos qui ont de bonnes têtes de vainqueurs comme Before You Open My Eyes, My Hole, The Quiet One, Dear God, Unused et Those Snakes. Sous son allure de chat sauvage et débraillé, Venom P. Stinger possède une putain de belle dégaine et What's Yours is Mine est un classique qui s'ignore.






1991 marque un tournant pour Venom P. Stinger. Waiting Room est le dernier disque avec le chanteur Dugald McKenzie. Un EP 4 titres uniquement réalisé en CD à l'époque sur Augogo records et réédité en vinyle par Drag City en 2013. Les quatre Australiens continuent de surfer sur la vague What's Yours Is Mine. Morceaux acérés qui laissent passer des bouts de mélodies grinçantes. McKenzie se bat avec ses démons (I Try, I Really Try) alors que les trois autres compos (Inside the Waiting Room, Turning Green et In Love) auraient toutes eues leur place sur What's Yours Is Mine.

La suite, c'est Mick Turner qui la raconte :

En 1991, VPS existait depuis quelques années et on était dans une impasse. J'avais envie d'aventures, tout comme Jim. Jim était parti aux USA voir sa petite amie qui y vivait depuis quelques mois. J'avais été là-bas brièvement en 1984 avec The Moodists et je voulais y retourner. La musique aux USA m'a toujours plus attiré que la musique en Europe. J'étais donc prêt quand Jim m'a suggéré d'y aller et tenter de faire quelques concerts aux USA. Dugald était dans une très mauvaise passe, nous n'avions plus de relations sociales avec lui. Je crois qu'il traînait avec les mauvaises personnes et avait quelques problèmes personnels en cours. Moi, Jim et Al lui avons dit : Nous allons aux USA faire quelques concerts. Tu te démerdes avec tes problèmes, tu prends un passeport et tu viens. On t'achèteras un ticket. On lui a donné une date limite mais il n'est jamais venu. Je ne sais pas pourquoi. Il était dans un état où nous ne pouvions plus rien faire. Je l'ai juste vu une ou deux fois par la suite, quand il est venu nous voir jouer avec Nick Palmer, le nouveau chanteur, et je ne lui ai pas vraiment parlé. Très triste. Quand il est mort, ça faisait bien dix ans que je ne l'avais pas vu. Nous sommes arrivés aux USA avec une poignée de concerts de prévus mais pas de chanteur. Nick était un fan du groupe, un mec de Melbourne en vacances à New-York. Il connaissait toutes les paroles des morceaux (Bomb Magazine, octobre 2013).



Le premier disque avec le nouveau chanteur est un live sorti sur Anopheles records en 1992 et enregistré dans les studios de la radio KDVS à Davis en Californie en août 91. Pas d'applaudissement, pas de version différente ou si infime, juste un peu de sauvagerie en plus et d'une batterie plus frénétique que jamais et s'apercevoir que le nouveau chanteur est bien un fan qui connaît le job, la différence ne sautant pas aux oreilles. Quatre morceaux du premier album, quatre autres de What's Yours Is Mine, l'incontournable Walking About ainsi que 26 mg et deux titres de Waiting Room. On peut s'interroger sur l'utilité d'un tel disque n'offrant aucun inédit, rien de croustillant sous la dent mais il faut sans doute le voir comme un album qui permettait à Venom P. Stinger d'être correctement distribué aux USA et ainsi de mieux se faire connaître.


Mais la suite de leurs aventures va tourner court. Encore un single en 94, un dernier album en 96, soit quatre longues années après leur arrivée au pays de l'Oncle Sam et Venom P. Stinger signe sa fin dans l'indifférence générale.



Le single sort sur Death Valley records. Deux titres, Thickskin et Tearbucketer, des paroles écrites par le bassiste et un groupe continuant de piétiner les mêmes plates-bandes. Pourtant, sur Thickskin, la batterie se fait plus classique, sortant pour une fois de son rythme militaire avec un bon riff de guitare pour un morceau terminant bizarrement comme si Venom P. Stinger n'avait pas su comment se dépêtrer avec la fin. Sur l'autre face, Tearbucketer retrouve son rythme légendaire, un surplus de hargne pour un morceau plus convaincant. Le nouveau chanteur Nick Palmer s'en tire bien, sa voix possédant un grain graveleux similaire à McKenzie, quelques éclats noirs et de fêlures en moins dans les cordes vocales. Un bon single dont le seul problème est que ces deux titres se retrouveront sur le troisième et dernier album, Tearbucketer, qui sort en 96 sur Siltbreeze records et uniquement en CD.






De prime abord, le monde de Venom P. Stinger ne semble pas avoir changé. Pourtant, à écouter de plus près, Tearbucketer est un album subtilement différent. A commencer par le premier titre, Full Circle, qui va taper au-delà des six minutes. Un développement inhabituel, tout comme les changements de rythmes, une force de frappe qui s'étire dans un punk-rock-bluesy cradingue. Et cette façon nouvelle de battre le rythme entrevue sur Thickskin fait à nouveau son apparition (Own Device, Straight to it, Painstaker), la caisse claire n'est plus systématiquement martelée, donnant une coloration plus classique à Venom P. Stinger, sans perdre sa dissonance et son pouvoir de nuisance, faisant plus d'une fois penser à une version australe des Scratch Acid qui n'a pas oublié ses racines malgré l'enregistrement aux USA. Un punk-rock-noisy au vitriol d'un groupe gardant tout son sel et son sens de la compo qui gratte et interpelle comme cette instrumentale de sortie, Wide Mouth Frog. Mais en 1996, Jim White et Mick Turner était déjà très occupé avec les Dirty Three qui sortait son troisième album. Venom P. Stinger est enterré en toute discrétion.





Comme tous les groupes, Venom P. Stinger va aller de sa reformation en 2010. Turner et White sont les seuls membres d'origine, Alan Secher-Jensen ayant décliné l'invitation et remplacé par le bassiste Shahzad Ismaily. Nick Palmer n'est pas de l'affiche (Dugald McKenzie encore moins puisqu'il mange les pissenlits par la racine depuis 2004) et c'est Tim Evans (ex-Bird Blobs) qui se colle au micro pour une série de concerts aux USA et l'ATP de Pavement à Londres.
Si l'essentiel de la carrière de White et Turner s'est faite au sein de Dirty Three, Jim White a participé à de nombreux projets derrière sa fidèle batterie alors que Mick Turner a signé cinq albums solo sur Drag City.
Quant à Secher-Jensen et Palmer, ils formeront l'obscur Deep Where All Drown avec un double CD en guise de seul testament.
Drag City s'est aussi fendu d'une compilation en 2013. Un double CD intitulé 1986-1991 regroupant les deux premiers albums, le single Walking About et le EP Waiting Room.

SKX (19/09/2014)

Discographie :

Meet My Friend Venom LP No Master's Voice 1986
Walking About/26 Milligrams 7" Aberrant 1988
What's Yours Is Mine LP Aberrant 1990
Waiting Room CDEP Au Go Go 1991
Live LP Anopheles Records 1992
Thickskin/Tearbucketer 7" Death Valley Records 1994
Tearbucketer CD Siltbreeze 1996