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UT. Deux
lettre majuscules. Aussi mystérieuses que anonymes. UT, sensuel
et primaire. UT, deux lettres pour trois membres féminins. UT,
symbole d'un groupe en constante recherche et création musicale.
Rien de plus normal quand on est issu du mouvement no-wave où tout
était possible. Un patronyme qui tire son origine du dictionnaire. Paye ton mystère. Comme des milliers de groupe, les trois filles cherchent l'inspiration dans le dico et tombe sur le mot UT. Ce qui les inspire tout de suite car Ut, c'est une partie de Gut (tripe, ventre ou boyau en français) et ça colle parfaitement avec leur idée de faire de la gut music ! Quand elles découvrent plus tard que c'est aussi une clef musicale représentant le début et la fin, l'alpha et l'oméga, ce nom de groupe devient carrément cool ! Ce n'est pas le seul de ces sens et ça résume très bien l'esprit d'aventure et de recherche que les trois filles tentent d'instaurer avec leur projet. Un all girl
band qui s'est fait tout seul, sans aucune volonté féministe.
UT se caractérise également par le fait qu'aucune des trois filles n'a de poste attitré. Elles jouent toutes de la guitare. Elles jouent toutes de la basse. Elles jouent toutes de la batterie. Et celle qui écrit les paroles se colle au chant. Un groupe démocratique où personne ne capte la lumière des feux de la rampe plus qu'une autre. Ce qui donne des concerts chaotiques, chacune s'échangeant les instruments régulièrement et qui fera dire au chroniqueur Mark Sinker : elles extraient la beauté du désastre. Une phrase qui résume bien ce sentiment de corde raide sur laquelle semble évoluer la musique de UT. Cet équilibre précaire entre chute inexorable dans le ravin et compositions fiévreuses. En regardant de plus près les notes de pochettes, on s'aperçoit tout de même que chacune a un poste de prédilection. Nina Canal pour la batterie et les deux autres se partageant la guitare, la basse et le chant. Si UT s'est
formé en 1978, il faudra attendre 1984 pour la sortie de leur premier
disque. Un trio parti de zéro et qui a de plus, entre temps, déménagé
à Londres. Un faisceau de raisons qui les poussent à revenir
Ce premier disque est un 12'' quatre titres qui paraîtra sur leur propre label, Out records, et distribué par Rough Trade. Sham Shack débute par une ligne de basse que Of Cabbages and Kings a sûrement écouté. Ce groove typiquement urbain et sombre. La lourdeur en moins. On est qu'en 1984. L'inspiration no-wave est indéniablement là. Dans cette façon de lutter contre les structures classiques d'un morceau. Mais ils citent également le Velvet Underground, Captain Beefheart, The Contortions de James Chance, Pere Ubu, DNA, Mars, PIL, Joy Division, Little Johnny Jewel, le premier 45 de Television et plus tard The Fall et Birthay Party. Impressionnante liste. Les quatre morceaux de cet EP agissent comme par vague, sans crête et sans creux. Une rythmique décharnée. Une guitare tout en sons clairs, une trame mélodique qui vient, disparaît, puis repart dans les affres de cordes qui semblent désaccordées. On pense forcément au son du early Sonic Youth. UT est un groupe new-yorkais, ya pas à sourciller. Un disque entre fragilité et malaise. Aiguisé et harmonieux. La touche UT est en route. Le premier
album de UT, Conviction, s'ouvre par le saut dans le vide de Yves
Klein, photo réalisé par l'artiste français en 1960
(le saut est vrai mais la photo est truquée puisque une bâche
était tendue sur la rue et a été effacé lors
du montage). Et d'espace, il est beaucoup question dans la musique de
UT. Elles n'ont pas peur de se jeter dans le vide. On pense toujours à
cette phrase de Sinker, du chaos qui guette qu'elles évitent à
la dernière seconde en retombant sur leurs pattes, cette façon
de sauver le morceau qui semblait leur échapper. On ne sait jamais
où elles vont vous emmener. Tout est possible. Un paquet d'années
et quelques albums de US Maple plus tard, les ponts sont jetés.
L'anarchie qui semble régner, une improvisation qui n'en ait pas
une, le calme au milieu du cyclone et la beauté, la mélancolie
émergeant de ces huit compositions. Deux ans plus tard, en 1987, UT réalise In Gut's house, son deuxième album consistant en un double disque dont chacune des quatre faces tourne en 45. C'est avec un Evangelist presque guilleret que l'album débute. Une mélodie alerte, un brin d'espoir, un brin de folie. Morceau entraînant pour un des classiques du répertoire de UT. Puis l'envoûtant et long I.D., toujours cette impression de vagues qui charrient des émotions brutes et chancelantes que Swallow, déstructuré en diable confirme. UT aime toujours autant le désordre mais y apporte une touche de liant ainsi qu'un son plus consistant. Face 2, Big Wing et Hotel continuent d'assembler des structures rythmiques complexes avec des harmonies vocales qui se croisent tout en gardant ce jeu de guitare proche d'un Sonic Youth, voir d'un Come pour la coté mélancolique. Thalia Zedek, contemporaine de UT, n'a surtout pas été insensible à ce trio, tant pour la musique que par leur approche singulière de la musique et leur recherche perpétuelle d'une voie personnelle où UT confronte l'intensité du rock, l'expérimentation de la no-wave et quelque chose de plus subtil et profond. Cette touche plus subtile, on l'a sur la face 3 avec deux morceaux à tendance atmosphérique, Homebled et Shut Fog. Des morceaux sans batterie, excepté des percussions de Paul K. alias Paul Kendall, le producteur de cet album. Nina Canal et Jacqui Ham se mettent tour à tour au violon pour deux titres qui vous emmènent planer haut. La face 4 est indéniablement la plus démembrée. Trois morceaux où les parties s'entrechoquent, glissent, dessinent des contours fluides puis totalement free sans que UT n'en perde son latin. Et le latin de UT, en ce milieu des années 80, n'est pas une langue morte mais est à part, dépassant aisément ses influences, ce qui ne renforce pas leur succès. Un groupe qui restera toujours à la marge des tendances et qui a tout du groupe culte défricheur. La même
année sort Early live life. Comme son nom l'indique, un
album live. Un bootleg à l'origine vite devenu un disque officiel
réalisé par Blast First. Des morceaux enregistrés
dans huit, neuf endroits divers sur la période 1979 - 1985 avec
seulement trois morceaux figurant sur d'autres disques de UT : Ampheta
speak (sur une compilation Hits $ Corruption du label du même
nom et aux cotés de The Ex, Sonic Youth, Bogshed, etc
.),
Mouse sleep (Conviction LP) et This Bliss sur le 1er EP
en 84. Un live qui débute par Fire in Philadelphia (morceau
que l'on retrouve en 89 sur la compilation de Blast First, Nothing short
of a total war, sous le nom de Fire in Philly) et qui augure d'un
album primaire et sans fioriture. Aucuns applaudissements (sans doute
coupés au montage mais allez savoir), juste quelques discussions
en fond sonore sur certains morceaux et une exécution très
no-wave, sec comme un coup de trique, voir rigide, qui en ce début
d'années 80, devait laisser le public de marbre comme les premiers
concerts de Sonic Youth, le volume sonore en moins. Dans le lot, un inédit
à la tension montante qui vaut le détour (Sharp's loose)
et les onze minutes d'un final, Limbo, qui pèle les nerfs
dans le bon sens du terme. UT pouvait être très crispant,
acide et bruyant. Ils feront de nombreuses tournées en Europe dont
quelques dates en France et une autre tournée derrière le
rideau de fer avant qu'il ne tombe. Parmi ses fans, UT compte un Steve Albini déjà omniprésent en 1989. C'est le célèbre binoclard de Chicago qui enregistre le troisième et dernier album du trio : Griller. Forcément, le son gagne immédiatement en impact sans dénaturer le semblant de fragilité et l'originalité du groupe. Le son prend surtout de l'ampleur avec l'arrivée d'un quatrième membre, Charlie D., qui joue de la batterie sur sept des neuf titres. Ce n'est pas la 1ère fois qu'une quatrième personne ne vient leur donner un coup de main à la batterie puisque qu'une certaine Alison Phillips était présente sur l'enregistrement de Conviction. Ce quatrième membre permet d'avoir sur la plupart des morceaux deux guitares au lieu d'une pour une approche moins minimaliste. UT quitte encore un peu plus sa démarche chaotique et offre de magnifiques parties de guitares, toujours aussi enlevées, ténues avec un souci de la mélodie plus évident. Le répertoire devient plus carré mais laisse toujours suffisamment d'espace et de non-dit pour créer une atmosphère trouble et prenante comme les affectionne UT. Les vagues se fracassent avec plus d'énergie, UT tend vers un rock sombre et mélancolique comme on le retrouvera plus tard chez Come avec des morceaux incontournables (Safe Burning, How it goes, Posse Necks et son violon qui vous vrille les neurones) mais en fait on pourrait tous les citer ! Grand album à conseiller si vous voulez entrer dans l'univers de UT même si l'âme de ces dames restera éternellement présent sur In Gut's House UT a sorti également un single en 1985, Confidential EP avec deux morceaux de Conviction (Confidential et Bedouin) + un inédit Tell it. De nombreux morceaux sont aussi dispersés sur des compilations (on en compte cinq). Après Griller, les trois se séparent à l'amiable et sans animosité pour un groupe continuellement resté dans l'ombre mais dont l'intérêt et l'apport musical sont importants. Nina Canal
: C'est autre chose se traduit pour Nina Canal par la peinture et la création vestimentaire. Vous pouvez même visiter son magasin à Paris ici !! On note juste quelques collaborations dont la plus notable avec son vieux pote Rhys Chatham pour son projet 100 Hundred Guitars. Sally Young a formé un groupe nommé Parachute et surtout Quint qui a connu sa petite heure de gloire éphémère suite à un album enregistré par Albini et sorti sur Egypt records, Time wounds all heals en 1998. Elle chante désormais dans des groupes de jazz et de blues de Soho à Londres. C'est Jacqui Ham qui s'en sort le mieux, musicalement parlant, avec un obscur groupe nommé Dial mais fortement intéressant. Ne comptez pas sur elle pour se calmer. Encore plus bruyant, plus extrême et sans concession, Dial est composé de Rob Smith (ex-God, guitares et drum machine), Dom Weeks (ex-Furious Pig) à la basse et synthés et Lou Ciccotelli (ex-Eardrum) à la batterie. C'est du rock-noise sous psychotropes, aliénant, répétitif, rempli de larsens, de stridences et de cauchemars et le pire, c'est que c'est vraiment pas dégueulasse. Dial a sorti deux albums (Infraction en 1997 et Distance Runner en 2002 sur leur propre label Cede records). Un groupe toujours d'actualité puisque qu'ils viennent juste de sortir un nouvel album intitulé 168K, toujours sur Cede. SKX (14/10/2007)
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