US Maple

Après avoir narré la brève histoire Snailboy puis celle un peu plus conséquente de Shorty, passons à l'étape suivante, un érable américain du nom de U.S. Maple. Le point commun entre tous ces groupes : Al Johnson (chant) et Mark Shippy (guitare). 1994 voit la fin de l'aventure Shorty et en 1995, ils s'associent dans leur ville natale de Chicago à deux autres musiciens qui jouaient déjà ensemble au sein de Mercury Players : Todd Rittmann (guitare) et Pat Samson (batterie). Leur idée, déconstruire le rock, n'en garder que les éléments essentiels pour reconstruire une musique qui ne ressemble à rien d'autre. Ils ne sont pas loin d'avoir réussi. On appelle ça de l'avant-rock. J'ai toujours trouvé ce terme assez pompeux, surtout pour un groupe comme US Maple qui ne se prenait pas au sérieux mais en matière d'expérimentations et de volonté de repousser, réarranger le cadre habituel du rock, US Maple mérite largement cette étiquette. Un groupe à part, unique, qu'on adore ou qu'on déteste, qui amuse ou qui agace mais un groupe déterminant, un groupe emblématique de Skin Graft records, un groupe qui a laissé une trace indélébile dans le paysage rock.






Le premier disque de US Maple est le 45 tours Stuck sur Skin Graft en 1995. Vinyle transparent comme la musique est limpide pour toutes les personnes aimant le second degré et les embrouilles. Ce premier enregistrement n'est pourtant pas encore la totale annihilation du rock et de ses structures. Stuck est un morceau entraînant, sémillant, rebondissant avec ces deux guitares déjà en pleine forme et complémentaires entre la low guitare de Rittman et la high guitare de Shippy. Le jeu de batterie de Samson commence à titiller le free sur certains enchaînements et Johnson fait merveilleusement le clown et les chœurs qui font woooou sont parfaits. Première pépite. Contrairement à Stuck qui ne figure sur aucun autres disques de US Maple, l'autre face When A Man Says OW ! se retrouvera sur le premier album Long Hair In Three Stages dans une version légèrement différente. Les deux guitares suivent par contre un chemin plus aléatoire, montrent des dissonances accrues, la structure fait preuve d'élasticité, le rock tangue, vit mais on danse avec US Maple qui signe une entrée en matière fort alléchante.







La deuxième sortie, toujours en 1995, est Sin City, une reprise d'AC/DC pour le premier volume intitulé Sides 1-4 que Skin Graft (en compagnie du label allemand Gasoline Boost) va dédier au groupe australien. Sur ce volume, figure également au générique Shellac, Big'n (et son fameux T.N.T.) et Brise-Glace. Que du lourd pour ce qui sera le meilleur volume de cette série qui se termine en 2008 par Sides 11-14. Et les deux gratteux de US Maple qui font du Angus Young et Al Johnson dans le rôle de Bon Scott, ça donne quoi ? Un titre qui se fond dans le moule US Maple. Rittman prend clairement le rôle de la basse, Shippy s'amuse et démontre tout son doigté incomparable sans le jeu de jambes et les poses de rockers, ce à quoi répond Johnson par un chant qui mettrait à cran tous les fans d'AC/DC. L'art du décalage selon US Maple, une relecture d'un de symboles du rock par un groupe qui cherche à le dynamiter de l'intérieur, il fallait oser et US Maple ne s'est pas dégonflé.















1995, c'est surtout l'année du premier album de US Maple qui va les révéler au grand jour, le début de l'aventure qui fera d'eux un groupe qui compte dans le paysage. Long Hair In Three Stages sort sur Skin Graft et il fait d'abord parler de lui par sa pochette. Elle est en métal, en relief, c'est rigide, c'est original, avec un livret encoché dedans et un poster à l'intérieur. Un album pressé à 1000 exemplaires numérotés. Je me souviens l'avoir acheté (le n° 334) 100 francs à l'époque. Il faut mettre (au minimum) aujourd'hui le même chiffre pour l'acheter d'occasion mais en euros. Il a été repressé et remastérisé en 2013 avec une pochette en aluminium et un design légèrement différent et là encore, l'achat n'est pas donné. Existe aussi dans une version vinyle avec pochette classique et prix abordable. Ou en CD mais avec un titre en moins, Found A Place To Have My Kittens, uniquement présent sur les différentes versions vinyles. La vie n'est vraiment pas simple.
A part ça, il est aussi question de musique. L'album qui ''rock'' selon les propres dires de US Maple. Ils ne seront pas contredits. Enregistré par Jim O'Rourke, Long Hair In Three Stages est l'album le plus abordable de leur discographie, l'album idéal pour faire connaissance en douceur du monde particulier de US Maple. Il est dans la lignée du morceau Stuck. Alerte, pétillant, des tubes en puissance comme Letter to ZZ Top ou The State Is Bad, des morceaux qui donnent envie de se déhancher de façon oblique, des convulsions lumineuses, l'acide heureux et la dissonance fringante. Shippy et Rittmann rivalisent d'éclairs de génie à la guitare, écrivant des parties fines et des bouts de mélodies épiques, tordant les cordes avec malice et une totale osmose. Vous avez l'impression d'une cacophonie, vous ne comprenez rien alors que tout est parfaitement en place, écrit, sans improvisation. US Maple retombe toujours sur ses pattes. Avec le chant abstrait et étrangement marrant d'Al Johnson et le rythme titubant, j'ai presque envie de considérer Long Hair In Three Stages comme un disque de pop. Une pop biscornue, ludique, qui pique, sans réel refrain et couplet mais dont les morceaux deviennent vite familiers et sont rapidement accrocheurs. US Maple marque en tout cas son territoire avec ce premier album, s’inspirant vaguement des préceptes du Captain Beefheart pour trouver son propre graal dans une anarchie organisée avec beaucoup de fun et un sens de l'échec très personnel, comme sûrs d'aller droit dans le mur avec une telle approche mais y aller fièrement, jusqu'au bout de leurs idées.






L'année suivante, en 1996, US Maple sort le maxi The Wanderer/Whoa Complains sur Rococo records pour le vinyle gravé que d'un seul coté et Sonic Bubblegum pour la version CD. Johnson, Shippy et Rittmann dans un halo de fumée comme des autistes acculés dans le coin d'une salle d'où a disparu le batteur. Ça laisse présager du pire et effectivement, US Maple a franchi un palier supplémentaire dans la folie. The Wanderer est une reprise d'un certain Ernie Maresca qui avait écrit ce morceau pour Dion (aucun rapport avec Céline, Dion DiMucci de son nom complet) en 1961. On ne vous en voudra donc pas si vous ne connaissez pas. La version US Maple est bien moins swinguante et rock'n'roll malgré l'apport de deux saxophonistes et d'un synthé. La reprise de US Maple est chloroformée, aussi groovante d'un étal de boucher, les saxos agonisent et malgré quelques sursauts du batteur qui est finalement présent, la vie va bientôt les quitter. Bref, rien n'a voir avec l'original mais tout à voir avec un US Maple qui prend la tangente avec le commun des mortels. Whoa Complains est produit par Tom Zaluckyj, le bassiste de Tar, pour un retour à la surface de la terre et un US Maple retrouvant de la consistance dans la bizarrerie et un titre élastique qui aurait pu avoir sa place sur Long Hair In Three Stages.

Entre temps, US Maple aura eu l'occasion de rendre visite aux Européens lors d'une tournée commune avec les Japonais(es) de Melt-Banana et une date légendaire aux Tontons Flingueurs de Rennes. Deux ans après la venue de Shorty, le plaisir de retrouver Johnson et Shippy était immense et ils n'avaient déçu personne, juste interloqué une partie du public qui se demande encore de nos jours comment ce genre de musique peut exister et si les personnes qu'ils avaient vues sur scène ce soir là n'étaient pas ivres.





C'est en tenue militaire et une pochette camouflage que US Maple revient en 1997 avec le second album Sang Phat Editor, toujours sur Skin Graft et toujours produit par Jim O'Rourke.
J'espère que vous en avez bien profité avec Long Hair In Three Stages, que vous compris les fondements de US Maple parce que maintenant, le groupe de Chicago va passer à l'étape suivante de la déconstruction du rock afin de le remonter suivant ses propres règles qui peuvent un brin déboussoler. Sang Phat Editor pousse le bouchon un peu plus loin, jusqu'où êtes vous capables de le suivre ? On n'est plus très sûr du début de la composition, de quand elle finit, si US Maple est déjà passé à la suivante. Ce que vous entendez est incertain, US Maple flotte dans le non-dit, les structures impressionnistes qui se défont et explosent par surprise. Les bouts de mélodies sont plus que jamais minimalistes, la rythmique appartient à une mouvance free-rock et Al Johnson donne plus que jamais le sentiment qu'il a un problème aux poumons, qu'il a dû mal à expulser l'air. Fredrick Lonberg-Holm et Julie Pomerteau apportent leur contribution avec respectivement un violoncelle et violon sur La Click. The Flying Luttenbachers est crédité sur Mountain Top. Ceci pourrait continuer à embrouiller l'esprit mais ce disque est pourtant magnifique de fluidité, léger, subtil, singulier et irréel. Vous pouvez rester à la porte de ce disque mais il peut également vous embarquer très haut avec ces fragments de beauté et cette poésie de l'absurde tranchante sur les cotés. Seulement huit titres, même pas une demi-heure mais suffisant pour amener US Maple dans des sphères que eux seuls pénétreront.








En 1998, US Maple quitte amicalement Skin Graft pour rejoindre Drag City, un plus gros label plus à même de les soutenir dans la conquête du monde, tant bien même celui-ci est sourd ou apeuré face aux turpitudes célestes de US Maple. Al Johnson et sa bande sortent en 1999 Talker, un album tout noir comme l'âme de Michael Gira, le leader des Swans qui remplace Jim O'Rourke à la production et avec Martin Bisi à l'enregistrement. Un choix surprenant qui n'a cependant pas transformé ni le son ni l'approche de US Maple. Le quatuor continue d'évoluer dans un free-rock-noise démantelé et fuyant les cadres classiques. Cependant, Talker a repris de la consistance dans l'abstraction, de la solidité dans les structures malléables et étirables à l'infini. Tout en épurant encore plus le propos faisant de Talker un disque lunaire, sombre et étrangement calme. US Maple est sans égal pour raconter et délier un morceau dont les parties s'imbriquent et s'enchaînent de façon mystérieuse, maîtrise de plus en plus son sujet même s'il peut paraître ardu à appréhender. US Maple démontre ainsi toujours une belle propension à attiser le feu de mélodies vaporeuses, envoûtantes par le biais de deux guitares au jeu inventif et unique. Running From Kabob, Go To Bruises ou More Horror, ce sont d'exquises compositions que US Maple complexifie tout en gardant une décontraction incroyable. Idem avec Apollo, Don't You Crust ? et son tapis de rythmes doucement tribal et un riff en sous-main qui n'est pas loin d'être la parodie d'un autre plus connu. US Maple a définitivement décollé du monde des terriens et Talker possède une infinie classe.









Deux ans plus tard, en 2001, US Maple sort son quatrième album Acre Thrills, le deuxième pour Drag City. US Maple confie la production cette fois-ci à Brian James Paulson dont le moment de gloire avait été de mettre en boite le Spiderland de Slint. Un album qui est pour de nombreuses personnes le meilleur album d'US Maple. Je devais pas être loin de le penser à l'époque. Mais à se refaire l'intégrale de leur discographie seize ans plus tard, c'est moins évident. Qu'importe. D'apparence générale plus mélodique et plus rythmé, Acre Thrills est un disque suave, élégant, construisant une nouvelle forme de blues, redéfinissant les standards du rock avec des riffs non-conventionnels et un chant cabalistique. US Maple disperse de nombreuses germes mélodiques pour mieux les détourner du chemin normal, les amenant sur d'autres sentiers surprenants et selon une cadence aléatoire. Mais elles sont là et elles étincellent. Deux guitares avec un son claire, sans distorsion mais continuant de tordre le cou à la réalité. US Maple, c'est avant tout un groupe de guitaristes. Shippy et Rittmann élèvent l'art de leurs instruments à un niveau rarement égalé, tout en finesse, avec une fertile imagination et de l'or dans les mains. US Maple, c'est aussi l'art de la tension, faire croire que le morceau va partir, va exploser mais l'attente n'est jamais comblée. Acre Thrills est un condensé de ce phrasé qui ne va jamais où vous voulez ou vous pensez qu'il va aller. C'est l'art du contre-pied, jamais très sûr de ce que vous allez entendre. Un jeu perpétuel entre quatre musiciens toujours sur le bord du chaos mais qui n'improvisent pas, qui savent pertinemment bien où ils vont et qui rock, à leur façon, comme ils l'expliquent dans ce documentaire qui avait été fait sur l'enregistrement d'Acre Thrills.







Le cinquième et dernier album d'US Maple s'appelle Purple On Time et a été publié par Drag City en 2003 (à noter que le label parisien Ruminance avait aussi sorti une version CD pour l'Europe). Comme d'habitude, un musicien de renom s'occupe de l'enregistrement. Un rôle dédié à John McEntire (Bastro, Gastr Del Sol, Tortoise). Par contre, Pat Samson démissionne de son poste de batteur et est remplacé par Adam Vida. Ce qui ne change pas foncièrement la donne. Bien qu'un léger doute subsiste. Jamais US Maple n'avait sonné aussi doux et triste. Et de fait, accessible même si ce mot est toujours à manier avec précaution chez US Maple. Comme cela avait été écrit en 2003, Purple On Time glisse tout seul. Devient plus humain. Comme ce chant magnifique d'un Al Johnson qui ne s'était jamais autant dénudé sur le très beau Oh Below. Et des moments de retenue, de mélancolie élégante, de beauté étrange, Purple On Time en compte beaucoup, à commencer par la géniale reprise de Bob Dylan, Lay Lady Lay, Dumb In The Wingz ou Touch Me Judge. Le jeu de US Maple reste erratique mais il est aussi esthétiquement plus coulant et carré toutes proportions gardées, le groupe se laissant aller à des mélodies qu'il ne va pas essayer de tout de suite détruire. Peut-être que le groupe savait que c'était la fin mais il règne sur Purple On Time comme une atmosphère d'abattement. Mais c'est surtout un disque emprunt d'une très grande qualité qui clôt une discographie absolument sans faute.




Après US Maple, Todd Rittmann va créer Singer puis Dead Rider. Mark Shippy va jouer dans Miracle Condition puis Indivisible Things avant de très récemment intégrer le super groupe Hidden Rifles. Quant à Al Johnson, il a laissé de coté la musique pour mener une vie dont lui seul a le secret et continue parfois (de tenter) d'amuser le public.

SKX (12/11/2017)

Discographie ::

Stuck 7'' (Skin Graft records 1995)
AC-DC Tribute Sides 1-4 2x7'' (Skin Graft records 1994)
Long Hair In Three Stages LP (Skin Graft records 1995)
The Wanderer/Whoa Complains 12'' (Rococo/Sonic Bubblegum records 1996)
Sang Phat Editor LP (Skin Graft records 1997)
Talker LP (Drag City records 1999)
Acre Thrills LP (Drag City records 2001)
Purple On Time LP (Drag City records 2003)