Cet article sur Spavid aurait pu tourner très court. Un seul 45 tours à se mettre sous la dent, c'est peu. Vite fait, bien fait et le tour était joué. Mais voilà que je viens de me prendre treize années dans la tronche. Un retour en arrière, un détour de l'histoire qui se rappelle à votre bon souvenir, des inédits qui déboulent presque par surprise et c'est Noël qui arrive avec deux mois d'avance. Parce que ces bouts de vinyles et ces groupes dont tout le monde s'en fout représentent un peu plus que de la simple musique gravée anonymement sur de maigres sillons.

A l'origine, Spavid est un trio originaire de Buffalo et n'a sorti qu'un seul petit single trois titres sur Cash Cow records en 1993, avec ce drôle de type sur la pochette qui s'accroche à un bout de planche pour ne pas sombrer. Et pourtant, le groupe ne s'en relèvera pas. Reste l'héritage de cette musique parfaitement ancrée dans son époque. L'après Spiderland dans un registre plus virulent. Largement. Tendance Table et Bitch Magnet. Balance de voix parlée et de chant intensifié par une rythmique superbe et tout en nerf, et ce qu'il faut d'accroches mélodiques et de complexité. Itchy, Jarneck Chump et Slept. La messe était dite en trois morceaux. Voilà, cette chronique aurait pu s'arrêter là.
Mais poussé par je ne sais quel démon, voilà ti pas que je me prends il y a un mois à peine à rechercher ce que ce putain de groupe a pu sortir d'autres. J'avais fait de même treize années auparavant. Mais à cette époque, Internet était un monde obscur réservé à de binoclards informaticiens. Cette fois-ci, les lunettes volent, l'as des réseaux, le Sherlock Holmes du monde virtuel, c'est moi. Je rentre en contact avec un groupe, Elemae, dont un des membres est super pote avec le beau-frère de la tante du voisin de Mike Scully, chanteur-guitariste de Spavid. Un mec qui met dans sa playlist de tous les temps un cdr de morceaux de Spavid. Crise d'excitement aiguë. Une semaine plus tard et après un échanges nourris et croisés de messages électroniques, l'album posthume de Spavid qui n'est jamais sorti, coincé à tout jamais dans le format ingrat du mp3 est en ma possession. Douce sensation. Treize années s'effacent en quelques clics.

Cet album devait sortir sur Humble records, le label qui s'était déjà manifesté en réalisant l'album de Table. Mais le groupe a splitté à la fin de l'enregistrement et ces bandes n'ont jamais été gravées. Un single était également prévu sur Simple Machine records.
Le batteur, Jason Kourkounis, est parti manier les baguettes avec Mule, Delta 72, Hot Snakes et quelques autres projets dont celui de Joe Lally (Fugazi). Le bassiste, Bruce Reckhan, a également collaboré à Delta 72 et The Goats tandis que Mike Scully se contente de jouer dans Night Was Black, sans prétention, prétexte à écluser quelques bières entre potes le weekend.

Alors cet album ? Tout simplement la grande classe. Exactement du même calibre que le single. Nul doute que s'il avait vu le jour, ce disque serait devenu un album angulaire, aux cotés des Table, Johnboy et autres classiques du genre. Dix morceaux au caractère bien trempé, naviguant avec doigté entre fièvre noise-rock, caisse claire taquinée avec agilité, tension insidieuse, des compositions suivant un fil faussement complexe, la motricité interne restant des plus fluide. L'héritage Slint est ici parfaitement digéré pour mieux le dynamiter de l'intérieur. C'est de la haute volée. Un album qui saute allègrement le temps, qui ne renie pas son age mais qui conserve toute sa saveur. Et je peux m'empêcher de penser au gâchis que cet album n'ait pas eu sa chance à cette époque…

Dans sa grande bonté, Mike Scully m'a également envoyé des morceaux de l'avant Spavid. Un groupe nommé One Eyed Jack. Quatre morceaux en tout repartis sur deux singles. Un trois titres réalisé par Happy Go Lucky records et un split 45 avec Shonen Knife où on peut entendre la voix saoule d'un de leur pote sur le morceau Legwhip. Rien à dire. Tout est déjà là. Ces morceaux pourraient faire parti du répertoire de Spavid. D'ailleurs, après avoir viré le chanteur et engagé un nouveau bassiste, Spavid donnera son premier concert moins d'une semaine plus tard après ce split.

Il ne me reste plus qu'à remercier vivement Craig et Chris du groupe Elemae et bien sûr Mike Scully. C'est dingue comment le bonheur peut prendre des contours tout simple !
Et si jamais quelqu'un se prend l'envie de donner une seconde vie à ces morceaux sur un format officiel, Mike Scully serait le premier partant. A bon entendeur…

SKX (29/10/2006)
www.elemae.com

Discographie ::

Itchy/Jarneck Chump/Slept 7'' Cash Cow records 1993