Scratch Acid

Scratch Acid, le nom est une promesse de musique qui démange jusqu'au sang, pique, brûle et rend dingue. Scratch Acid, c'est le lien entre Birthday Party, le post-punk de Public Image Limited et toute la scène noise-rock/grunge qui éclatera fin 80-début 90. Scratch Acid, ce sont aussi des musiciens qui vont se faire un nom plus tard dans un groupe emblématique, The Jesus Lizard, avec David Yow au chant et David Wm. Sims à la basse, ce dernier jouant aussi avec le batteur Rey Washam dans les mythiques Rapeman avec Steve Albini.

Mais en 1982, à Austin, Texas, David Wm. Sims est à la guitare, David Yow à la basse, Brett Bradford est le second guitariste, Rey Washam à la batterie et Steve Anderson occupe la place du chanteur. Mais pas pour longtemps. Anderson (qui était le chanteur de Toxic Shock, groupe punk avec David Yow juste avant Scratch Acid) est remercié, Yow passe au chant, Sims à la basse et Scratch Acid sortira trois disques sous cette formation entre 1984 et 1987.







Scratch Acid a joué son premier concert le 20 janvier 1983 qui n'a duré que le temps de trois instrumentaux, le groupe ayant calé la date et viré Anderson juste avant sans lui dire. Le premier vrai concert dans la formation connue avec David Yow au chant a eu lieu le 10 mars 1983 au Skyline Club. Mais la formation n'est toujours pas encore parfaitement fixée. Peu de temps après, Washam quitte le groupe pour rejoindre Big Boys et est remplacé par Rich Malley. Mais la germe ne prend pas. Le groupe est en suspend. Il faut attendre le retour de Washam (qui se partage entre plusieurs groupes) fin 83 pour que Scratch Acid continue ses débuts chaotiques alors que Bradford était retourné vivre à Dallas pendant un court laps de temps. Finalement, tout ce joli petit monde se retrouve et entre en studio en juillet 84 pour enregistrer son (court) premier album qui sort sur Rabid Cat records la même année (publié en Europe par Fundamental en 86). La vie d'un groupe tient à très peu de chose. Il aurait été fortement dommage de se passer de Scratch Acid.
Un groupe décrit comme noisy, punk, chaotique mais le son de ce premier disque est plus incisif que brouillon et les morceaux sont travaillés. Le plus bel exemple est Owner's Lament avec le violoncelle de l'invité Shawn Sanders. Difficile d'imaginer tel instrument dans la panoplie de punks débraillés mais l'effet est saisissant et le morceau, poignant et élégamment intense, une des plus belles pièces du répertoire de Scratch Acid. Un groupe qui soigne ses compositions avec la basse de Sims qui fait déjà des ravages mais sans encore le son noise et distordu, la batterie intense de Washam qui était le musicien le plus chevronné du groupe à cette époque et la révélation au chant de David Yow, criant, éructant, se lâchant, se tordant pour emmener Scratch Acid à un niveau de dinguerie qui laisse des traces dans les tympans des kids américains qui vont tout de suite être séduits. Huit titres parfaits, mélodiques, mordants, convulsifs avec Cannibal qui bouffe la cervelle, le plus Cramps Greatest Gift, le classique She Said et le furieux et dense Lay Screaming pour ne citer qu'eux.







Une première partie de PiL plus tard en 1986, Scratch Acid enchaîne la même année avec Just Keep Eating sur Rabit Cat records (ou Fundamental et Wha's So Funny About pour l'Europe). Un album avec deux pochettes différentes. La classique avec la tête de gamin ou celle plus rare avec un truc qui ressemble à un hologramme et qui change de couleurs selon l'angle que vous la regardez.
Un album sur lequel l'avis est plus mitigé. Que ce soit le son qui manque d'impact et vieillit plus difficilement ou les compos pas toutes percutantes et essentielles, les onze morceaux de Just Keep Eating naviguent un cran en-dessous de ceux du premier disque. A titre d'exemple, on va reparler à nouveau du violoncelle (ou alors c'est un synthé qui l'imite ?) qui officie sur Albino Slug. Même instrument (ou presque) mais résultat pas identique. Un instrumental ne possédant pas la force et la beauté de Owner's Lament. Et des titres ou des passages qui sont pas mal, qui accrochent le tympan mais pas suffisamment, Just Keep Eating en comporte plusieurs. Amicus amusant sans plus, Cheese Plug funky et surprenant hélas, un instrumental de sortie sans titre et anecdotique, Unlike A Baptist écrit par un certain Simon Blooerjack (un pote à eux?) un peu bancal et les cuivres sur Damned For All
Time, une reprise des compositeurs anglais Andrew Lloyd Webber et Tim Rice , qui auraient pu être une bonne idée mais l'effet s'avère au final pas franchement transcendant. Scratch Acid, des punks qui n'avaient pas peur de sortir de leur zone de confort, s'ouvrir à d'autres instruments que le traditionnel guitare-basse-batterie et tenter des approches variées à une époque ou être punk signifiait encore innover et ne pas tenter de copier les voisins.
Just Keep Eating n'est pas toujours concluant mais l'album possède un charme général satisfaisant avec des compos comme Crazy Dan, Eyeball, Holes et Spit A Kiss méritant largement le détour avec un David Yow au chant qui prend de l'assurance, étoffe son registre et s'offre une belle prestation qui saura encore plus aboutie et dingue sur Berserker.









1987 marque la publication de Berserker, l'ultime disque de Scratch Acid sur Touch And Go records (ou Fundamental pour l'Europe) et la fin du groupe. Après une année précédente éprouvante qui a vu Scratch Acid franchir l'Atlantique pour une tournée européenne ainsi que de nombreux concerts aux États-Unis, les quatre membres arrivent à un point de non-retour et finissent par ne plus se supporter après des hauts et des bas.
A Seattle, dans une salle archi-complète, la légende veut qu'un certain Kurt Cobain adolescent n'ait pas pu y entrer car plus aucun ticket n'était à vendre. D'autres futurs stars en devenir ont eu plus de chance comme le raconte David Yow : On m'a dit qu'un type voulait absolument rentrer et il m'a été demandé si on pouvait le mettre sur la guest-list. J'ai répondu, oui bien sûr et il s'est avéré que ce type était Mark Arm de Mudhoney.
Par contre, en Europe, ils apprennent qu'un de leurs roadies n'est autre que Simon Bonney, le chanteur de Crime And The City Solution qui a besoin d'argent et dont Scratch Acid, qui n'en revient pas, est fan. Toujours en Europe, le soir du réveillon de Noël, le groupe joue devant une seule personne complètement bourré et à Minneapolis, une grosse prise de tête a lieu sur scène entre Washam et Bradford, ce qui provoque le départ de Washam à la fin de la tournée. Le dernier concert a lieu le 5 mai 1987 à Austin.

Berserker, une sortie par la grande porte. Un mini-album six titres et maxi réussite. Dans la mythologie scandinave, les berserkers sont les guerriers d'Odin combattant dans un état de transe grâce à l'esprit animal du guerrier. Dans le langage Scratch Acid, ce sont des compositions sublimées par une fureur retrouvée, un souffle ardent qui balaie tout sur son passage, une avancée majeure dans les territoires rock. C'est sur Berserker que l'influence de Birthday Party se fait le plus ressentir. Et le lien manquant idéal avant la consécration de The Jesus Lizard. Le chaos contrôlé par un fil invisible, la dépravation avec une infinie classe, les spasmes confinant au génie noire. De Mary Had A Little Drug Problem au frénétique Flying Houses, Scratch Acid se lâche, s'intensifie, accélère, se densifie, casse la baraque et lance une des toutes premières pierres angulaires dans la mare noise-rock. Six titres, six explosions, six raisons d'écouter en boucle ce disque de grands guerriers fauves.








Ces disques sont hélas devenus des pièces rares se négociant à des prix indécents. Heureusement, Touch And Go a publié en 1991 un CD compilant ces trois disques (plus un inédit, The Scale Song). Son nom est The Greatest Gift et il se trouve encore très facilement à des prix soldés la plupart du temps.

En 2006, Scratch Acid s'est reformé pour les 25 ans de Touch And Go avec une tournée américaine à la clef. Rebelote en 2011 avec une incursion en Angleterre en décembre à l'ATP festival. En cherchant bien, vous trouverez de nombreuses vidéos retraçant ces moments épiques qui font regretter encore plus de ne pas les avoir vus en vrai.












SKX (14/01/2018)
(Merci au journal The Austin Chronicle de 2011 pour les anecdotes)


Discographie ::

s/t LP (Rabid Cat records 1984)
Just Keep Eating LP (Rabic Cat records 1986)
Berserker LP (Touch And Go records 1987)
The Greatest Gift CD (Touch And Go records 1991)