Rifle Sport
était un groupe américain, originaire de Minneapolis, actif
de 1981 à 1991, bien que le groupe n'ait jamais officiellement splitté,
ils ont juste arrêter de jouer ensemble comme ils se plaisent à
le dire. Ce qui est en parti faux. Episodiquement, Rifle Sport donne encore
quelques concerts aux Etats-Unis. Et à en croire les commentaires,
présents et passés, Rifle Sport a toujours été
plus réputé pour ses concerts que pour ses disques. Trois
albums studios, un album live, un maxi et deux singles. Une discographie
n'ayant pas laissé une trace indélébile dans l'histoire
du rock indé US, ce qui ne va pas nous empêcher d'en parler.
Mais si on retient encore le nom de Rifle Sport, c'est aussi pour son batteur,
Todd Trainer, dont le coup de baguette fait désormais fureur avec
Shellac.
En 1981,
il n'est pourtant pas encore question de Todd Trainer. J. Christopher
(chant), Gerard Boissy (guitare) et Pete Flower Conway (basse) qui fera
une carrière solo sous le nom de Flour après la fin de Rifle
Sport, se contente d'une Electro-Harmonix drum box. Et quand ils laissent
tomber la boite à rythme, c'est pour engager un batteur débutant
qui lui aussi fera fureur quelques années après en devenant
le boss de Amphetamine Reptile. En attendant, Tom Hazelmyer n'est pas
gardé longtemps (un batteur horrible selon les dires de Boissy)
et n'aura même pas l'occasion de faire un seul concert avec Rifle
Sport. Le second batteur, un certain Reggie est lui aussi renvoyé
ou plutôt mis derrière les barreaux après avoir mis
sur la tronche d'un flic et Karen Masanz, engagée pour jouer du
farfisa, est également prié de rentrer chez elle pour alcoolisme
aggravé et évanouissement sur scène. Finalement,
la formation se stabilise avec l'arrivée du batteur Jimmy Petroski.
Les quatre membres enregistrent leur premier album, Voice of Reason,
en 1983 pour le compte de Reflex records, le label co-fondé par
Terry Katzman et Hüsker Dü.
Mission of Burma a souvent été évoqué pour
parler de Rifle Sport. Ainsi que Volcano
Suns, évidemment. Une certaine idée commune d'un rock
indé naissant, puisant sa source dans le punk, surfant sur le post-punk
et s'inspirant du hardcore pour une version moins dure et intransigeante.
Voice of Reason fait en tout cas bien son âge. Ca sent les
années 80 mais les compos alertes et allant droit à l'essentiel
permettent de passer cet obstacle. Rifle Sport n'est pas dans la vitesse
et la rage comme leurs potes de Hüsker Dü, privilégie
la mélodie, des structures simples tout en restant près
de l'os, une tension inhérente à chacun des treize titres,
de la propulsion sous un capot à la mécanique légère.
La section rythmique ne tergiverse pas, les gimmicks et riffs de guitare
sont souvent judicieux bien que Boissy sorte parfois des choses limites
et des soli douteux. Au final, un album attachant avec une poignée
de bons titres comme Words of reason, Angel Tears, Run
& Hide, Hollow Men, le plus speed No Money et ses
paroles redoutables (No money, no job, no club, no fun) alors que
sur Meet, Rifle Sport a dû écouter un peu trop les
Clash. La pochette est signée par Brian Paulson, futur producteur
de nombreuses pointures indé US au début des années
90 dont le Spiderland de Slint.
1984 est
une année bordélique pour Rifle Sport. Gerard Boissy et
Jimmy Petroski quittent le groupe. Un certain Joe White arrive à
la guitare et Todd Trainer débarque derrière les fûts.
Mais comme le nouveau guitariste ne fait pas l'affaire, les trois autres
demandent un an plus tard à Boissy de revenir. Le line-up est enfin
stabilisé et ne changera plus.
Pour étrenner cette nouvelle amitié retrouvée et
formation consolidée, Rifle Sport s'offre un tour de chauffe avec
le maxi Complex sur Ruthless records en 1985. Un label crée
par The Effigies, repris plus ou moins par Steve Albini et qui finira,
à la fin des années 80, dans les mains de Rifle Sport
!
Brian Paulson passe de l'artwork à l'enregistrement et le moins
qu'on puisse dire sur Complex, le titre phare, c'est que le post-punk
de Rifle Sport s'est sérieusement endurci. La basse de Flour en
met plein la tronche, esquissant ce que seront quelques années
plus tard le son et l'approche de la basse chez de nombreux groupes noise-rock.
D'ailleurs, c'est toute la section rythmique qui se fait remarquer et
propulse cet excellent morceau dans les méandres du noise-rock
naissant. Bizarrement, l'impression ne dure pas sur le second titre de
la face A, Bedroom Full of Ice. Sans doute parce que c'est la guitare
qui est mise en avant et le son de Boissy n'a pas la hargne et la modernité
de la paire Trainer/Flour, tout comme le chant un peu trop à la
traîne de J. Christopher. Sur la face B, Box of Dirt, ce
même JC se fait violence, force les cordes vocales mais n'est pas
aidé par un riff trop rock'n'roll et un solo qui pue de Boissy
pendant que la section rythmique assure le minimum. La tonalité
générale est tout de même au durcissement. Le Rifle
Sport se cherche.
En 1987, Rifle Sport sort deux disques. Le single Plan 39 (Ruthless
records) et le deuxième album White, sous-titré Made
in France, toujours sur Ruthless.
Pour le single, l'enregistrement date de 1985 avec Joe White crédité
à la guitare au lieu de Boissy. Deux morceaux qui datent donc d'avant
le 12'' Complex et ça s'entend. Rifle Sport se consume encore
sur les cendres chaudes de Voice of Reason. Joe White n'a peut-être
pas fait l'affaire mais sur disque, Rifle Sport ne perd pas au change,
le guitariste de passage en faisant moins que Boissy. Face B, Itself
Sideways montre que Flour a tout compris et sa ligne de basse sauve
les meubles d'un titre qui sonne comme un remix et qui pourtant n'en ai
pas un. Ce titre, comme Plan 39 et les trois autres du maxi Complex
sont inédits et ne figurent sur aucun des albums de Rifle Sport.
Le vinyle de White est blanc immaculé avec un rond
central turquoise et vert de l'autre coté. La raison du sous-titre
Made in France reste un mystère. C'est à la Chicago
recording company, par Ian Burgess, bien avant son installation dans la
campagne angevine (un signe prémonitoire ?), que cet album est
réalisé. Rifle Sport confirme sa tendance vers un son plus
dure, grandement facilité par l'idéale paire rythmique Trainer
et Flour. Dès le morceau d'ouverture, le saignant Green Cans,
Todd Trainer montre qu'il est déjà une machine à
taper et avec son compère Flour, donne le ton d'un Rifle Sport
plus mordant et actuel. Comme Boissy a épuré son jeu (excepté
sur deux, trois titres comme Mad World), Rifle Sport gagne en impact.
La comparaison avec Mission of Burma est plus que jamais d'actualité.
Compos nerveuses, mélodiques juste ce qu'il faut et plus rentre-dedans
pour un album de belle tenue, encore inégale mais révélant
de très bons titres comme Green Cans donc, Experience
The Pain, Certain Situations et l'amusant King of Trash.
White se révélera le meilleur album de Rifle Sport,
surtout quand la section rythmique prend les devants. D'ailleurs, signe
d'une certaine dichotomie au sein du groupe, Trainer et Pete Conway alias
Flour jouent également à la même époque au
sein de Breaking Circus avec Steve Bjorklund (qui avait produit avec Brian
Paulson le 7'' Plan 39), la paire rythmique pouvant libérer un
peu plus les chevaux dans ce projet encore plus précurseur de ce
qu'allait devenir le noise-rock.
La réputation
scénique de Rifle Sport étant très bonne, on va pouvoir
juger sur pièce avec l'album Live at the Entry, Dead at the
Exit (Ruthless 1989). Mais comme personnellement, j'ai toujours eu
un problème avec les albums live, celui-ci n'échappe pas
à la règle. Rien de telle que la chaleur d'une salle et
la douce transpiration de corps collés à vous pour voir
ce que vaut un groupe. Mais à moins de se transposer 25 ans en
arrière, il faudra se contenter de ce live.
La Entry side a été enregistrée à Minneapolis
au Seventh Street Entry le 9 décembre 1988. La Exit side
à Chicago le 18 décembre 1988 at The Exit (avec sur la photo
de la pochette verso des cordes de pendus accrochées à des
câbles, ça avait l'air sympa la déco chez The Exit).
L'album White squatte une bonne moitié des treize titres,
plus deux de Voice of Reason, deux autres de Primo, le troisième
album à venir, une compo (Head in a Vice) qui n'apparaît
sur aucun disque du groupe et une reprise très dispensable de Marseilles,
morceau de The Angels, obscur groupe australien pendant lequel Boissy
montre toute sa dextérité à la guitare Pour
le reste, rien à dire de spécial. Les versions live sont
fidèles aux originaux, exécutées de main de maitre,
Todd Trainer s'amuse et tape comme un jeune chien fou mais on ne peut
pas dire que ce live apporte de l'eau au moulin de Rifle Sport.
Le damier
ne va pas avec tout. Il faut savoir le porter. Primo ne le fera
qu'à moitié bien, comme si les carrés noirs et les
carrés blancs étaient annonciateurs d'un album à
deux vitesses. Un coup bon, un coup moins bon. On est en 1990. Big Money
Inc. est un nouveau label de Minneapolis (co-jointement avec Ruthless).
Ian Burgess est aux manettes. Et en ce début de décennie
où le mot grunge apparaît sur tous les écrans radars
du bon goût, que Amphetamine Reptile, autre label de Minneapolis,
commence à distribuer les torgnoles, que les guitares sont à
la mode, hurlent, crissent et récurrent les tympans, le Primo
de Rifle Sport a quelquechose de suranné, déjà anachronique
à sa sortie. Encore dans les années 80, une touche new-wave/post-punk
et ça, forcément, ça le faisait déjà
moyen à l'époque et le poids des ans n'arrange pas le cas
de Primo. Alors, on va être un peu complaisant avec ce disque,
ne pas se soucier de l'âge du Monsieur et écouter une poignée
de morceaux plaisants. Exploding Man, Jobs, Clouds,
quand la section rythmique toujours irréprochable de Trainer/Flour
et les arpèges tranchants de Boissy étaient au diapason,
Rifle Sport accouchait de compos savoureuses. Mais ce même son de
guitare et l'inspiration de son propriétaire pouvaient gâcher
l'écoute (Positions, 24 Doors), remettre abruptement
Rifle Sport cinq ans en arrière, devenir à moitié
guitar hero et le chant de J. Christopher, qui ne fait pas dans la discrétion,
n'aidait pas à faire passer la pilule. Mais je dois avouer, au
final, que ce disque comporte plus de carrés blancs que noirs.
Dernier baroude
d'honneur en 1991, toujours sur Big Money Inc., avec le 45 tours tout
rouge et son gros rond central vert, Little Drummer Boy, un Single
Christmas Special. Une célèbre chanson de Noël,
connue aussi sous le nom de Carol of the Drum et que Rifle Sport
reprend à une sauce inédite, pour mieux nous donner des
regrets, Boissy se mettant enfin au diapason de l'époque, épaississant
le son de sa gratte pour une version noise de ce classique. Vous pouvez
préféré la version Nana
Mouskouri. Face B, Shanghaied est une autre curiosité.
Le chant de J. Christopher, la batterie de Todd Trainer et puis c'est
tout. Sans doute encore une reprise, genre chanson de marins jamais rentré
au port. Et ça vaut mieux pour tout le monde.
Ce n'est pas un hasard si seule la section rythmique à persévérer
dans la musique. Alors que Breaking Circus avait déjà mis
la clef sous la porte depuis 1989, Peter Conway a publié quatre
albums pour le compte de Touch and Go entre 1988 (déjà !)
et 1994 sous le nom de son pseudo, Flour. Todd Trainer a lui aussi monté
son projet solo, Brick Layer Cake, sortant plusieurs albums entre 1990
et 2002, en parallèle de son autre projet, les obscurs Shellac.
Quand à J. Christopher et Gerard-Jean Boissy, c'est le désert,
à moins que Kontrol Panel, un projet de Boissy avec Chris Bjorklund
des Effigies, ne vous dise quelquechose .
SKX (23/02/2013)
Discographie :
Voice of Reason LP - Reflex 1983
White Made in France LP - Ruthless 1987
Live at the Entry, Dead at the Exit LP - Ruthless 1989
Primo LP - Big Money Inc. / Ruthless 1990
Complex 12'' - Ruthless 1985
Plan 39 7'' - Ruthless 1987
Little Drummer Boy 7'' - Big Money Inc. 1991