Frodus

Frodus était une organisation subversive qui existait dans le cadre de la société d'entreprise américaine moderne afin de provoquer la subversion musicale sur la population dans le but de questionner les dirigeants. Son nom de code complet était The Frodus Conglomerate International.
Plus prosaïquement, Frodus était un groupe de Washington D.C. qui a existé entre 1993 et 1999 (mais qui n'a jamais rien sorti sur Dischord), se réactivant par hasard en 2009-2010 et n'a plus donné signe de vie depuis. Le noyau dur de Frodus était Shelby Cinca (chant, guitare) et Jason Hamacher (batterie). Pour la basse, c'était la valse. Huit bassistes se sont succédé. L'histoire retient surtout Howard Pyle et encore plus Nathan Burke présent sur les deux derniers albums.
Au final, Frodus, un énorme défouloir, un groupe punk par de très jeunes personnes (les membres du groupes avaient 17 et 18 ans en 93) sous des allures de concept, une société secrète obsédée par l'information qu'il n'est pas obligé de prendre au sérieux même si les paroles sur la société et le sens de la vie n'avaient rien d'une plaisanterie. Mais l'ironie n'était jamais loin.





Les premiers enregistrements de Frodus sont un single (Tzo Boy) et une cassette (Babe qui reprend dans son intégralité le single plus deux autres titres) en 1993 sur Gnome records.
En 1994, Frodus sort Molotov Cocktail Party, uniquement en cassette, toujours sur Gnome.
Mais commençons par le premier véritable album, le dénommé Fireflies en 1995 sur Level records. Deux personnes se partagent le poste du bassiste, Andy Duncan et Jim Cooper, les deux allant jusqu'à jouer sur un même morceau (Yoncopin) mais pas en même temps. Une collection de neuf morceaux qui ne resteront pas comme les plus mémorables de leur discographie. Un témoignage des (très) jeunes débuts du groupe qui aura eu pour mérite de qualifier le style de Frodus que Shelby Cinca aurait lui même inventé selon la légende : le spazzcore. Ça vient de spastic (spasmodique en français) pour parler d'une musique convulsive avec de multiples changements de rythmes et de directions. Bref, c'est jamais loin d'être le chaos mais tout est parfaitement en place. Sauf sur Fireflies donc, les jeunes chiens fous de Frodus se dispersant un peu trop dans tous les sens avec des cassures surprenantes et un chant parfois braillard qui peut fatiguer. Mais l'énergie est indéniablement présente. Et les germes de très bonnes compos aussi. Frodus a mis tout ce qui lui passait par la tête et il en résulte des riffs qui marquent, des ébauches de morceaux qui ont de la gueule mais deviennent branlants, des mélodies passant sur le fil du rasoir, un saxo fou sur le titre Fireflies, des cris à réveiller un mort et une section rythmique qui fait feu de tout bois avec un entrain général ne se démentant jamais. Frodus était lancé.







En 1996, Frodus réalise F-Letter sur Art Monk Construction et Lovitt records, le propre label de Shelby Cinca. Le CD est publié par Double Deuce records et sera réédité sous ce format uniquement en 2003 par Magic Bullet avec quatre titres bonus (dont trois inédits qui n'ont aucun intérêt...) et en vinyle en 2013 par Fan The Flames avec uniquement une version différente de Cha-Chi en titre bonus. Frodus commence à canaliser sa folle débauche d'énergie. Le chant prend de la consistance. Et le trio avec Howard Pyle à la basse prend soin d'écrire des morceaux ne s'éparpillant plus dans tous les recoins de leurs cerveaux surexcités. Frodus dégage toujours de quoi réchauffer naturellement toute la cote Est des Etats-Unis mais semble savoir où il va. Le spazzcore haute intensité de F-Letter taille des riffs brûlants à fond la caisse sans perdre le contrôle. Dès le morceau d'ouverture The Feelgood Song Of The Year, Frodus fait sentir qu'il a changé de dimension et élevé le niveau. Ce n'est pas encore la chanson de l'année, faut pas déconner, mais le riff reste dans la tête et donne le ton pour la suite. Un enchaînement inspiré, des titres solides qui surfent sur le bord du chaos et multiplient les accrochent sous le déluge. F-Letter, un très bon album pour aborder le monde sauvage et agité de Frodus.








L'année suivante, Frodus publie un disque plus anecdotique, 22-D10, sur le label suédois No Looking Back. Le contenu à l'identique est sorti la même année chez un autre suédois, Carcrash records mais avec une pochette différente. Ne me demandez pas pourquoi. 22-D10 est une compilation et un live. 22-D10 (le morceau), Factory Six sont sur l'album précédent et King Kab et Formula figurait sur un single de Lovitt et Shute records en 95. Très bons titres mais ça sent la redite. Quant au live, il a été enregistré le 8 mai 1996 à la radio WMUC située à College Park dans le Maryland. Six titres tous issus de F-Letter sauf Honest Praise The Great Motivator qui était sur Fireflies. Et qui n'apportent rien de plus par rapport aux versions studio. L'impression que c'est même exécuté un poil moins speed que sur disque. Par contre, Shelby Cinca beugle toujours comme un âne.









En 1997, Frodus publie son troisième véritable album, Conglomerate International. Un album qui a fait parler de lui à l'époque pour de mauvaises raisons. La cause, Tooth & Nail records. Un label chrétien avec pratiquement que des groupes de bigots dessus, qui font du rock en chantant des louanges à Jésus et toute sa clique. Forcément, de nombreuses personnes ont pensé que Frodus faisait partie de cette bande alors qu'il n'en était rien. Tooth & Nail signait des groupes païens également. Mais cette étiquette de groupe chrétien leur a souvent été associé par des personnes qui n'ont jamais essayé d'aller voir plus loin. Non, le sacerdoce de Frodus reste la subversion, se jouer des codes du capitalisme, de l'image des multinationales pour mieux dénoncer leurs agissements. Musicalement, Frodus continue sa mue. La vitalité naturelle du trio ne déborde plus de partout sans que le groupe ne perde de sa force. Au contraire, Frodus a l’œil perçant, déterminé et écrit des morceaux encore plus marquants. Impact redoutable. Un nouveau bassiste débarque en la personne de Nathan Burke. Les spasmes du spazzcore de Frodus ne sont plus de l'ordre des montagnes russes et forment une ligne plus continue avec des morceaux terriblement accrocheurs, puissants, bien charpentés, à peine perturbés par des samples, des interludes mystérieux et des sonneries de téléphones. Même la voix de Cinca a gagné en fermeté. Conglomerate International était mon album préféré de Frodus. Après toutes ces années, ça n'a pas changé. (Vinyle réédité en 2009 par Gilead Media sous la forme d'un double-album).









Le dernier album de Frodus, And We Washed Our Weapons In The Sea, a failli ne jamais voir le jour. Ecrit alors que le groupe était sur la fin, MIA records qui devait le réaliser a mis la clef sous la porte. L'album ne sortira aux Etats-Unis qu'en 2001 sur Fueled By Ramen alors que Frodus n'existe plus. Les Européens auront attendu moins longtemps puisque le label tchèque Day After l'a publié en 2000 en vinyle (et le label polonais Szczesciarz Rundfunk Group en cassette dès 1999 !). Pour les retardataires, Lovitt records a ressorti ce disque en 2015 en version améliorée. Un single deux titres bonus dans le 33 tours avec deux titres (ce single peut s'acheter aussi séparément), Tzo Boy repris par Nathan Burke avant qu'il ne rejoigne Frodus et une version démo de There Will Be No Scum.
Pour cet ultime album, vous pouvez par contre enterrez définitivement l'étiquette spazzcore. Frodus s'est grandement calmé, posé et diversifié. Si le trio est encore capable d'écrire des morceaux nerveux et tapageurs, l'esthétique générale va vers plus de mélodies, de sensibilités, des structures encore plus lisibles. Il arrive même à Cinca de chanter. De vraiment chanter. Souvent. D'être compréhensible et harmonieux (The Earth Isn't Humming, 6/99, Out-circuit The Ending, le court et anecdotique Chiriacho Summit). Perturbant. Comme sont perturbants ces morceaux à tendance emo quand le batteur ne tape plus comme un grand fou, que la lenteur s'insinue dans le hardcore du trio. Pour le mitigé et pour le meilleur sur le tendu Year Of The Hex. Ou ces instrumentaux bizarres et expérimentaux (Belgian Congo, Hull Crush Depth, Title Track). La chronique de l'époque avait été plus élogieuse. And We Washed Our Weapons In The Sea est souvent présenté comme l'album de la consécration pour Frodus. S'il comporte indéniablement de très bons morceaux, il est aussi très bancal avec des coups de mou et des évolutions qui me font dire que le trio a bien fait d'arrêter sur ce disque.








En dehors de ces albums et des deux premiers singles (Tzo Boy et Sound Laboratories) dont les titres se retrouvent sur les longs formats, Frodus a publié plusieurs singles digne d'intérêt avec des inédits dont une série de trois split singles.
Le premier avec The Trans Megetti sur Art Monk Construction records en 1996. L'inédit se nomme Suspicion Breeds Confidence avec Howard Pyle à la basse. C'est l'époque F-Letter et ce titre s'inscrit dans le ton de ce deuxième album. Agité du bocal comme il faut mais qui sait se tenir avec une inspiration Washington DC/Dischord se faisant agréablement sentir. Je gardais un vague souvenir de Trans Megetti et il n'était pas franchement bon. A l'écoute de leur titre Brakes, il faudrait reconsidérer la question. Un hardcore-emo-noisy de très bonne facture qui n'a rien à envier à Frodus question vigueur et influencé également par l'école Dischord records.






Le second split avec Roadside Monument sort en 97 sur Tooth & Nail. Frodus propose deux inédits, Lights On For Safety et 45 Revolutions (sur un disque qui tourne en 33 tours...). Russ Mason fait un court passage à la basse. Ces deux titres sont particulièrement saignants, notamment 45 Revolutions avec Shelby Cinca donnant l'impression de bouffer le micro et toutes les personnes qui vont l'écouter. C'est le Frodus comme on l'aime. Furieux, carré, conquérant. Roadside Monument, c'est comme pour The Trans Megetti, un très vague souvenir de ce groupe de Seattle et pas pour le meilleur. Trois albums entre 96 et 98 sur Tooth & Nail. Le trio évolue là également dans une sphère proche des groupes de Dischord mais leurs deux morceaux (Nothing Short Of A Comfortable Situation et Tired Of Living), très marqués par l'époque emo-hardcore ne donnent pas trop envie d'en savoir plus...









Le dernier split en 1999 est le meilleur. Frodus reprend un titre de Atomic Fireball et les Japonais reprennent Swingset (sur F-Letter). Il a déjà été question de ce disque dans The Art of Losing. Téléchargez le à volonté, c'est de la bombe. Au propre comme au figuré. Surtout la face japonaise dont vous profiterez pour aller écouter leurs autres disques.








Entre temps, Frodus a sorti Explosions en 1997, un single deux titres chez les Tchèques de Day After records. Explosions déjà présent sur Conglomerate International est une reprise de Devo que Frodus se réapproprie et personnifie de main de maître. Face B, l'inédit Dec. 21, 2012 est le dernier titre écrit en compagnie du bassiste Howard Pyle avant l'arrivé de Mason qui ne restera qu'une petite année en 97. Un morceau en forme d'instrumental sympathique, mesuré et remplissant parfaitement son rôle de face B.




Après la fin de Frodus, Cinca et Hamacher ont multiplié les expériences, séparément ou ensemble au sein de The Black Sea avec le bassiste de Fugazi Joe Lally. Dans ces projets, on citera Decahedron, Combatwoundedveteran, Frantic Mantis (projet suédois de Cinca) ou The Cassettes. Et en 2009, comme tant d'autres, Frodus se réactive avec un nouveau bassiste, Liam Wilson (The Dillinger Escape Plan) puis Jake Brown pour une poignée de concerts, un nouveau single, Soundlab 1 chroniqué ici et qui n'aura été qu'un feu de paille puisque Frodus tire définitivement sa révérence en 2010.
Vous pouvez écouter, télécharger (la plupart gratuitement) une grande partie de ces disques sur le bandcamp de Frodus et lire encore plus d'infos, la discographie exhaustive, articles, interviews, sur leur site. A vous de jouer.

SKX (02/10/2018)