Brick Layer Cake

Brick Layer Cake n'a jamais été un amour de jeunesse mais est en passe de devenir un amour de vieillesse. Enfin, une amourette, ne nous emballons pas. Dans un lointain passé incertain, Brick Layer Cake ne m'avais jamais touché. Voir même un peu, beaucoup, certainement barbé. La seule chose qui avait fait ses disques échoir sur la platine, c'est que Todd Trainer, l'ex-batteur de Rifle Sport ou Breaking Circus et futur Shellac, était à la base de ce projet. La belle jambe. Un projet en solo, débuté et vécu en toute discrétion et en marge de son groupe phare qui lui prendra tout son temps. Enfin, un peu mois ces dernières années quand même. Et qui va surtout lui permettre de caser toutes les chansons qui l'a dans un coin de sa caboche et qu'il n'avait pu imposer à Rifle Sport ou à Shellac.
Pourtant, ça ne leur aurait pas fait de mal à Shellac parce qu'en quatre disques, Todd Trainer va montrer qu'il n'est pas qu'un brave type à la coupe de cheveux improbable juste bon à taper comme un sourd derrière sa batterie. Il résonne en lui une fibre de song-writter émérite. Todd Trainer, son chant plus parlé que chanté, traînant, monocorde, grave, sa musique qui va à deux à l'heure. Pas étonnant que le jeune fougueux que j'étais n'avait pas apprécier à sa juste valeur Brick Layer Cake. Une musique lente, puissamment lente, triste, désespérément triste, épuré et profonde. Il faut juste avoir le temps de prendre sa pleine mesure.




En 1990, juste avant Primo, le dernier album de Rifle Sport, Trainer à l'esprit vengeur et intitule son premier disque Eye for an Eye, Tooth for a Tooth sur Ruthless records, le label de The Effigies, puis de Steve Albini et devenu au fil du temps le label de Rifle Sport. Autant dire que Todd Trainer a sorti ça sur son propre label. Six titres uniquement, tournant en 45 tours, un tour de chauffe sur lequel la pochette est avare en information sur qui fait quoi, où et comment. A part les titres, rien n'a filtré. Il faut croire que Trainer fait tout, tout seul comme un grand (ce qui ne sera pas le cas des disques suivants). La guitare électrique et son chant bien sûr mais aussi un peu de batterie, de l'orgue, des samples d'un public applaudissant chaudement sur Curtains, une cloche sur Winterpark et quelques autres overdubs. Car si vous vous attendiez à un projet solo d'un type abattu, seul face au monde et à sa misère, avec sa guitare acoustique en bandoulière et son chant de bluesman prêt à se jeter d'un pont, c'est raté. Ce n'est pas pour ça que Eye for an Eye, Tooth for a Tooth est d'une folle gaieté. Ou respire le rock incandescent comme sur ses autres projets. Mais pour un projet solo enregistré sur un 4-pistes, les six compos possèdent une certaine puissance et ampleur derrière leurs structures squelettiques et la voix d'outre-tombe de Trainer. Une voix qui narre apparemment des paroles intelligentes et qui valent le détour à croire les commentaires lus à gauche et à droite et qui sont aussi importantes que la musique. Je perds sans doute beaucoup à ne pas les comprendre, je savais bien que j'aurais dû être plus assidu en cours mais on va faire sans et laisser l'imagination faire le reste.




En 1991, Brick Layer Cake sort un nouveau mini-LP, Call It A Day sur Touch and Go (la version CD comporte Eye for an Eye, Tooth for a Tooth). Les noms de Boissy et Flour (respectivement guitariste et bassiste de Rifle Sport) et Brian Paulson (le mec qui a enregistré le Spiderland de Slint, il a fait beaucoup d'autres choses mais pour moi, ça sera toujours le mec de Spiderland et uniquement ça) apparaissent au générique.
Le label qualité fait un sacré bond en avant. La production gagne de précieux points, ça sonne comme un vrai groupe et les cinq compositions, tout en restant minimalistes et traînantes, sont farouchement belles. Surtout les deux de la face B, pas loin d'être les deux meilleures du répertoire de Brick Layer Cake : Kiss of Death (sur le Sida) et les neuf minutes de Killer (sur le meurtre d'un ami d'enfance) ou comment réussir l'exploit de filer le frisson avec une guitare électrique aux accords épais, un chant à se pendre et un discret piano pour la mise en bière.




En 1994, Shellac sort At Action Park, agite la planète noise-rock et Brick Layer Cake sort son premier véritable album, Tragedy Tragedy, dans l'indifférence générale et toujours sur Touch And Go. Épaulé par Boissy et Paulson, Todd Trainer réalise son disque le plus dépouillé. Deux guitares au grain épais et excellent, un rythme de batterie parfois, la grosse voix rocailleuse de Trainer à murmurer ses sales histoires de mort et d'alcool et c'est tout. Ça semble encore plus désespérément lent que d'habitude, collant au bitume merdique de la vie, encore plus affligeant qu'un disque de Codeine. Les mélodies sont rudes. L'horizon est bouché. Noir de chez noir. On peut trouver ça beau et lunaire. On peut trouver ça aussi pénible. Tout dépend de votre humeur du jour.




Il faudra attendre 2002 pour la parution du second album de Brick Layer Cake, Whatchamacallit (Touch and Go records). La pochette n'a pas changé et reste d'une grande sobriété. Uniquement les titres des chansons et ce genre de gâteau ressemblant à une brique indigeste et une pauvre bougie dessus. Rien d'appétissant et telle est la musique de Brick Layer Cake. Monotone, allure d'escargot bavant son malheur, désespérante. Huit ans après son précédent disque, Todd Trainer ne va pas mieux et reprend les choses exactement là où il les avait laissées avec Tragedy Tragedy. Cette fois-ci, il ne semble pas avoir ses fidèles collègues pour l'aider. Une guitare, un peu de batterie qu'il matraque avec la vista qu'on lui connaît sur Once Upon a Skin, quelques bruitages supplémentaires et ses paroles auxquelles je ne pige quedal. Malgré l'austérité habituelle, Whatchamacallit est un peu plus enlevé et varié que son prédécesseur mais c'est tout de même un disque, comme tout le reste de la discographie de Brick Layer Cake, à ne pas conseiller à ceux et celles qui sont au fond du trou mais recèle en son sein de belles pièces de noirceur pour peu que vous ayez la patience de l'écouter.


SKX (23/12/2013)

Discographie :


Eye For An Eye, Tooth for a Tooth
LP - Ruthless 1990
Call It A Day LP - Touch And Go 1991
Tragedy Tragedy LP - Touch And Go 1994
Whatchamacallit CD - Touch And Go 2002