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 Bewitched, 
        c'est avant tout un homme et un seul. Bob Bert, un nom méconnu, 
        artiste de l'ombre dont le talent de batteur a servi à de nombreux 
        groupes. Son premier fait d'arme fut d'être le batteur d'un groupe 
        qui depuis a fait son trou mais qui l'a quitté avant : Sonic Youth. 
        Batteur sur les albums Confusion Is Sex (en partie) et (surtout) 
        Bad moon rising et une poignée de maxis, Bob Bert quitte 
        amicalement le groupe fin 1985, fatigué des tournées à 
        répétition dans des conditions de misère.
 Il n'en reste pas moins actif bien que son nouveau projet Bewitched débute 
        comme une blague. En 1986, Thurston Moore, jamais avare de conneries, 
        fait croire à une journaliste du Melody Maker lui demandant des 
        nouvelles de Bob Bert, que ce dernier a formé un nouveau groupe 
        avec Susanne Sasic, la fille qui s'occupe du merchandising de Sonic Youth. 
        Bob Bert prend son pote au mot et forme ainsi Bewitched.
 Un groupe sans aspirations particulières, un projet pour le fun 
        et voué à l'éphémère. Un éphémère 
        qui durera deux albums, un maxi, deux singles et plusieurs tournées... 
        Mais en 1986, il n'en sait encore rien !
 
 De batteur exécutant, Bob Bert devient instigateur et compositeur 
        principal, enrôle pratiquement de force Susanne Sasic pour pousser 
        quelques cris sur un premier disque où apparaît également 
        Mark Cunningham (ex-apôtre de la no-wave avec Mars et jouant à 
        l'époque au sein de son autre projet Don King) à la trompette. 
        Avec Dave Rick à la guitare, le groupe est au complet et rentre 
        au fameux studio Fun City de Wharton Tiers pour enregistrer le maxi deux 
        titres Chocolate Frenzy/Swamp Shoot. Bob Bert alterne entre 
        batterie, programmation de boite à rythme, sampling et chant. Il 
        en ressort un étrange magma sonore rapprochant Bewitched des ambiances 
        de Foetus. Ou plus exactement de Steroid Maximus, autre projet du tentaculaire 
        Jim Thirlwell.
 
 A cette époque, j'étais inspiré par les rythmes 
        africains et la no-wave. J'écoutais énormément Butthole 
        Surfers, Einsturzende Neubauten, DNA, Lydia Lunch et le single Drag racing 
        par Big Stick.
 
 On retrouve effectivement ces rythmes tribaux et des bruits étranges 
        élaborés à partir de samples décalés. 
        Un mélange d'ambiance urbaine chère à New-York, glauque, 
        froide et une enveloppe bigarrée fait du cri lointain de Sasic, 
        la trompette de Cunningham très très en retrait, un sample 
        continu de gazouillis d'oiseau pendant les neuf minutes d'un Swamp 
        Shoot au rythme plus martial avec effet transe assuré. Un morceau 
        jungle noise avec le mot jungle à prendre au sens strict du terme. 
        Un voodoo des villes mystérieux.
 On comprend mieux pourquoi Paul Smith, boss de Blast First, décide 
        finalement de ne pas sortir ce disque. Sans être rédhibitoire, 
        cette musique semble trop foutoir et obscure pour dépasser le stade 
        de la blague qui était à l'origine du groupe. Le maxi sort 
        tout de même sur Shovel record, le label de Pussy Galore, nouveau 
        projet des inconnus Jon Spencer et Julia Crafitz.
 
 Et du Pussy Galore, Bob Bert va en bouffer pendant quatre ans, devenant 
        le batteur à temps plein, enchaînant les kilomètres 
        et les tournées qu'il ne voulait plus avec Sonic Youth. Une période 
        pendant laquelle Bewitched est tellement en hibernation qu'on peut dire 
        que c'est un projet mort-né.
 Mais en 1989, alors que Pussy Galore commence à battre de l'aile, 
        Bob Bert continue son chemin dans l'ombre et relance la machine Bewitched.
 Changement de personnel. Jim Fu (guitare), Chris Ward (basse) et un pote 
        de ce dernier, Dave P. aux platines. Premier concert en première 
        partie d'un Spacemen 3 qui ne viendra jamais et remplacé à 
        la dernière minute par le fugace all-star girl band STP avec, encore 
        une fois, Crafitz et Sally Barry des Honeymoon Killers. Suffisant pour 
        que Terry Tolkin, un mec bossant chez Rough Trade, leur propose un album 
        sur son propre label N°6 records.
 Brain 
        Eraser sort en 1990. Les mauvaises langues disent que c'est le meilleur 
        album que Sonic Youth n'ait jamais fait. Il ne faudrait pas exagérer 
        non plus mais ce disque est sûrement un des albums les plus injustement 
        méconnu que la Grosse Pomme ait engendré. Ou un des meilleurs 
        tout simplement. Ca commence par LE tube de Bewitched, Neon Angel. 
        Un rythme typique de Bob Bert, toujours tourné vers le coté 
        tribal de la pulsation, jouant quasi exclusivement sur les toms basses. 
        Bob Bert se colle également au chant puisque personne d'autres 
        ne veut le faire. Voix monocorde, distante sur laquelle s'inscrit une 
        bonne grosse ligne de basse mélodique et magnifique de Chris Ward, 
        devenant un élément déterminant qui manquait au maxi 
        précédent. Le ciment est là. C'est à cause 
        de morceaux comme ça qu'on en devient à dire que c'est le 
        meilleur album de Sonic Youth car Neon Angel aurait trouvé à 
        l'aise sa place sur Evol. Au même titre que le morceau Mold.Brain Eraser, c'est aussi une guitare n'essayant pas de sortir 
        des riffs conventionnels. Ca couine, ça grésille, ça 
        larde pendant que les samples ne prennent plus le devant de la scène, 
        se contentant de servir les compos. Avec des morceaux comme Sky Slag, 
        il ne saurait pas non plus étonnant de voir Bewitched comme un 
        des groupes influents de Slug tant les attaques de basse et la dynamique 
        générale sont parfois proche. Une sonnerie de téléphone 
        sonnant désespérément occupée (renvoyant au 
        Disconnected 666 de Cop Shoot Cop 4 ans plus tard) sur I dunno 
        what to do. Une boite à rythme suppléant la batterie 
        quand Bob Bert se concentre sur le chant. Des instrumentaux où 
        les samples se font plus présents mais avec une assise rythmique 
        toujours flamboyante, Bewitched ne se diluant plus en route. Des pièces 
        de métaux rajoutées à une batterie non conventionnelle 
        (qui a dit encore comme Cop Shoot Cop ?), cinq minutes de descente de 
        bad trip avec Drain et un violon crissant rappelant un Velvet Underground 
        (voir un morceau des Stooges mais je ne sais plus lequel
 We will 
        fall sans doute), un climat oppressant sur la longueur, avec en point 
        d'orgue 2 shots, morceau de clôture aliénant avec 
        son sample de cri féminin et cette rythmique martelante qui finit 
        par vous rentrer toute la folie de New-York dans les veines. Un grand 
        album, très mésestimé et LE disque de Bewitched qu'il 
        faut absolument posséder, la suite n'atteignant jamais ce golgotha 
        noise. Et comme la pochette réalisée par le dessinateur 
        Kaz vaut également le détour, Brain Eraser est le 
        genre d'ovni dont vous ne pouvez passer à coté.
 
 Après une tournée en compagnie de STP en première 
        partie de Sonic Youth pour la sortie de Goo et qui se finit plus 
        vite que prévue - Bewitched se fait jeter au profit d'un petit 
        groupe qui monte, Nirvana - N°6 records sort un single connu sous 
        le nom de 409. Un chiffre symbolisant le titre principal. Bewitched 
        prend des allures de groupe rap avec un scratch typique du genre, un rythme 
        aride, rompant avec la tradition tribale, un sample de sirène, 
        un riff de guitare un poil velu et la voix de Bert plus menaçante 
        que d'habitude. Un morceau étrange qui s'affranchit de Brain 
        Eraser. Face B, Junket's theme est un instrumental où 
        le rythme se fait à nouveau plus entraînant et une ambiance 
        rappelant la dimension onirique d'un Pain Teens. C'est loin d'être 
        le meilleur morceau de Bewitched même si pour Bob Bert, ce titre 
        résume parfaitement le son qu'il recherchait pour Bewitched.
 
 En 1991, Bewitched réalise Harshing My Mellow, deuxième 
        album toujours sur N°6 records et enregistré par l'incontournable 
        Steve Albini. Jim Fu est remplacé par Art Reinitz au jeu de guitare 
        plus classique (Bob Bert dira lui-même qu'il préférait 
        l'approche plus malsaine de Jim Fu). Mais ce n'est pas la seule raison 
        qui rend ce disque plus décevant. C'est toute la musique de Bewitched 
        qui rentre dans le rang. Que ce soit le rythme plus rock et basique, toujours 
        secondé par une boite à rythme, les compos linéaires, 
        la basse qui s'efface au profit d'une guitare effectivement rock'n'roll 
        et pas avare de soli. On retrouve le titre 409, juste derrière 
        le morceau d'ouverture intitulé N°1, seule compo faisant 
        le lien et l'illusion avec Brain Eraser. La photo de la pochette 
        quelconque est signée Richard Kern, les illustrations à 
        l'intérieur du CD et au verso toujours par Kaz mais c'est un Bewitched 
        en panne d'inspiration. La fin est imminente.
 
 Après le départ de Dave P en tant que DJ du groupe, Sally 
        Barry arrive à la batterie, Bob Bert se consacre uniquement au 
        chant, confirmant Bewitched comme un groupe de rock à part entière, 
        ce qui était la dernière chose que je voulais que Bewitched 
        devienne. Le groupe se sépare à la fin de la tournée 
        en 1992.
 Le dernier 
        disque est une proposition de la part d'un label qui ne se refusait pas 
        à l'époque. Sub Pop leur demande d'inscrire leur nom à 
        la série du Single of the month. Bob Bert, seul maître 
        à bord, engage une certaine Donna Croughn et tous les deux enregistrent 
        Hey White Homey, un des meilleurs titres du répertoire de 
        Bewitched. Ils retrouvent toute la sève de Brain Eraser, 
        une ligne de basse qui fait à nouveau la différence, une 
        guitare qui ne la ramène pas, un violon strident juste ce qu'il 
        faut et ce jeu de batterie tout de suite identifiable de Bert. Bewitched 
        ne prend pas de risque mais que c'est bon de revenir à la maison 
        ! Sur l'autre face, le violon de Croughn se fait mélodique pour 
        un morceau plus tranquille qui vient titiller les plates-bandes d'un Nick 
        Cave en goguette avant que les choses ne s'accélèrent entre 
        personnes bien élevées.
 Bewitched enregistre un dernier morceau, Making out with Satan, 
        après une demande du groupe italien Meathead, des spécialistes 
        du genre (split avec Pain Teens, Cop Shoot Cop, Zeni Geva
). Bob 
        Bert l'enregistre avec les membres de Chrome Cranks, groupe new-yorkais 
        qui faisait à l'époque des pieds et des mains pour convaincre 
        Bob Bert de les rejoindre à la batterie. Ce qu'ils finiront pas 
        réussir. Un split que je n'ai jamais vu. Je me demande même 
        si il est vraiment sorti un jour ce disque
 Un morceau que l'on peut 
        en tout cas écouter sur une compilation que Bert vient de sortir 
        en 2007. The Worst Poetry of 1986-1993, c'est son nom, sorti par 
        ses propres moyens, Bewitched semblant tomber totalement dans l'oubli. 
        On y retrouve donc ce morceau à l'origine pour un split avec Meathead, 
        excellent titre digne d'un Brain Eraser en plus cradingue (Chrome 
        Cranks oblige), les deux titres du premier 12'', Hey White Homey, 
        409, une poignée de chaque album et bien sûr, l'incontournable 
        Neon Angel. Une compilation facile à commander si vous cliquez 
        sur ce lien.
 Par la suite, 
        Bob Bert a multiplié les projets. Un magazine tout d'abord, BB 
        Gun et des groupes. Chrome Cranks donc mais aussi Action Swingers, 
        International 
        Shades (ou Int'l Shades) avec Mark C du groupe mythique Live Skull, 
        Size Queens 
        et Five 
        Dollar Priest, seul projet intéressant du lot (avec deux membres 
        de Heroin Sheiks dont Norman Westberg, ex-Swans) mais loin, très 
        loin des affres de Brain Eraser. SKX (31/08/2008)
 Discographie 
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  Bewitched [Bob Bert, 3ème de g. à d.]
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