Parler de
Badgewearer, c'est d'abord se souvenir des concerts de Badgewearer. C'était
en avril 96 et mars 97 à Rennes avec les Molecules, aux Tontons
Flingueurs plus une escapade à Nantes. C'était la fin de
carrière de Badgewearer et c'était aussi la meilleure période.
C'est surtout se souvenir d'une belle rencontre humaine avec quatre écossais
cocasses. Un bassiste (Tony Kennedy) sosie de Robert de Niro et seul membre
d'origine du groupe. Un guitariste (Neil Bateman) qui avait le sourire
de Shane MacGowan. Un chanteur (Jim Carstairs), clown triste très
attachant et volubile et un batteur (Leighton Crook), tête à
claque et seul anglais de la bande. Ils ne pouvaient pas avoir bon sur
toute la ligne. C'était aussi le souvenir d'un groupe annoncé
comme straight edge et qui ont fini couché sous les fûts
de bières et bouffant la viande encore crue. De la part d'Ecossais,
on aurait du se douter de quelquechose. Mais ce n'était rien, comparé
à Rood Arch, groupe du Havre qui les accompagnait en France, lors
de cette tournée mémorable de 96. Un groupe dont personne
n'a plus entendu parlé par la suite. Faut dire que le petit déjeuner
au gros rouge, ça ne pardonne pas. Et qu'arriver torcher pour les
balances n'aide pas non plus.
Nous
avons formé le groupe à Glasgow en 1990. C'est l'année
où Glasgow a été choisie pour être la capitale
culturelle de l'Ecosse. Il y avait des subventions provenant de diverses
organisations. Beaucoup de groupes à ce moment là copiaient
les groupes des années 60, ils avaient tous les cheveux longs.
Nous avions plus d'affinités avec des groupes comme Stretchheads
ou Dawson qui nous ont permis de faire nos premiers concerts et de
sortir nos premiers disques. Puis nous sommes partis en Hollande et
en Belgique où nous avons rencontrés Dog Faced Hermans
et The Ex. (Tony Kennedy) |
Badgewearer,
c'est effectivement l'héritage du son écossais et de l'esthétique
des Fire Engines, de Big Flame à la rencontre de The Ex et aussi
des Minutemen. Des morceaux vifs, amusants, poignants, piquants, disséminés
sur quatre albums et quantités de singles entre 1990 et 1997.
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En
juin 1990, sur Gruff Wit records, le label du guitariste de Dawson,
Badgewearer sort son premier 45 tours, This Bag is not a Toy.
Ce n'est sans doute pas leur meilleur enregistrement mais il contient
suffisamment de germes d'un punk-rock ludique et jacasseur pour défriser
la reine d'Angleterre. Six compos se tassent sur ces maigres sillons.
A l'intérieur de la copieuse pochette, on peut lire que Badgewearer
s'est formé en avril 89 avec une haine passionnée pour
le solo de guitare. Ne comptez donc pas en trouver sur ces morceaux
qui frétillent de rythmes tour à tour dansant, surfant
ou trépidant et de guitares férocement coupantes. Badgewearer
reprend à son compte le Death to trad rock des Membranes
et assied sa vision d'une musique singulière, bouillonnante
et convulsive, loin des canons de beauté de l'establishment
rock. Une vision qu'ils ne feront que magnifier au fur et à
mesure de leurs enregistrements.
Sur ce premier disque, la formation historique est composée
de Mitchel Hodge (guitare), Tony Kennedy (basse et percussion), David
Rankin (chant) et Ross Main (batterie) avec aussi Andy Norris pour
le saxophone sur You don't look at the fire when you're poking
the mantlepiece.
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Avec
ce même line-up, Badgewearer sort son premier album, F.T.Q.,
toujours sur Gruff Wit en 1991. Un album bourré jusqu'à
la glotte de quatorze morceaux. La production est digne de ce nom,
donnant à Badgewearer de l'ampleur à des compos speedées
et encore plus farouches. Les lignes de basse possèdent ce
groove et cette dureté qui donnent du coffre à Badgewearer,
un Tony Kennedy qui n'aura de cesse de démontrer par la suite
qu'il est l'un des meilleurs bassistes sous-estimé de cette
planète ! Le chanteur n'abdique jamais, se répand continuellement,
une logorrhée verbale qui bizarrement ne saoule pas, devenant
même la marque de fabrique de Badgewearer. Un sentiment d'anarchie
prédomine, de multiples changements de rythmes et de directions
qui leur ont souvent valu l'étiquette bâtarde de punk-jazzy.
Mais c'est surtout rock et jubilatoire avec cet esprit frondeur et
ludique qui jamais ne les quitte.
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Trois
années de silence. On les imagine bien au bord de l'implosion
mais le groupe survit au départ du guitariste et du chanteur,
remplacé respectivement par Neil Bateman, transfuge de Archbishop
Kebab et par Jim Carstairs.
Sous cette nouvelle formation, ils reviennent en 1994 avec le single
This is not a Door sur le label londonien Guided Missile.
La pochette, comme à chaque fois pour leurs singles, est remarquable.
Savant pliage avec poster-photo décalé en mode verso,
carte postale et paroles à l'intérieur. La ligne musicale
ne change pas mais s'enrichit avec l'arrivée des deux nouveaux
membres. Le jeu de Bateman est iconoclaste, exotique, jazzy, virevoltant
sans avoir l'air d'y toucher, particulièrement sur le fabuleux
More Land Home. Si la voix de Carstairs garde cette caractéristique
du flot continu, elle apporte également plus de variétés.
Paroles incompréhensibles, bien qu'elles soient imprimées
sur la pochette, elles sont tour à tour chantées, mélodiques
ou en mode parlé, un panel de déclamations qui fait
de ce chant un instrument à part entière. La musique
raconte elle aussi une histoire. C'est plein de chausse-trapes, sinueux,
entraînant sans qu'on ne sache jamais où le morceau va
nous emmener. Tony Kennedy nous sort encore des lignes de basse à
tomber et le batteur ne semble jamais faire deux fois la même
chose. Trois ans de silence mais Badgewearer revient en très
grande forme et ces cinq titres lancent Badgewearer sur un chemin
qui jamais ne les verra faiblir.
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Badgewearer
enchaîne donc avec A Toy Gun in Safe Hands, un
deuxième album en 1995, toujours sur Guided Missile et, nouveauté
qui les accompagnera jusqu'à la fin, également sur Amanita
records, le label basque de Stephan Krieger, membre des Voodoo Muzak.
L'album est d'ailleurs enregistré chez lui, au pied des Pyrénées.
Nouveau mouvement de personnel également. Ross Main quitte
son tabouret de batteur et le laisse à Leighton Crook. Là
encore, ça explose à tous les étages, feu d'artifice
pétillant, bol d'oxygène pur. Rythmiques pétaradantes,
quinze titres acerbes, fantaisistes, saccadés et d'une limpidité
rare. Il faut avoir du génie pour rendre ce bouillonnement
aussi cohérent. Ou de la pure folie et ne s'apercevoir de rien.
Et tout en gardant cette énergie, Badgewearer arrive à
diversifier son propos. Les compositions gagnent en clarté,
certains morceaux sont moins féroces, versent dans le mélancolique
de haute volée (A Steep Hill) et alignent les tubes (Newton's
Cat, One two look at your view, Private Veranda,
etc
), le guitariste au jeu ultra inventif et au sourire édenté
oeuvrant énormément pour la richesse de l'album. Ce
qui est surtout remarquable, c'est que quinze ans plus tard, cet album
garde toute sa fraîcheur.
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Quand aux
paroles, c'est une énigme, même pour Tony Kennedy :
C'est
impossible pour moi d'expliquer ces textes, je ne les comprends même
pas. Il utilise les mots comme nous utilisons les notes. Il vaudrait
mieux lui demander car il ne nous donne jamais d'explications. C'est
assez particulier. Le titre de l'album A Toy Gun in Safe Hands est
une partie de phrase qui se trouve dans un des morceaux. Deux des
sujets dont Jim parle le plus dans ces textes sont les enfants et
la guerre, l'armée, les militaires. Il parle aussi de la première
guerre mondiale. C'est assez difficile à expliquer. |
Alors autant
demander au principal intéressé, Jim Carstairs, notamment
sur l'origine du titre de l'album :
L'idée
de A Toy Gun in Safe Hands m'est venu alors que je voyageais dans
un bus. Un homme avait un enfant dans les bras et celui-ci portait
un casque de gendarme, un ceinturon et un revolver en plastique. Le
revolver est tombé sans qu'ils s'en aperçoivent. Je
l'ai ramassé et en le redonnant, j'ai eu le réflexe
de tendre la crosse vers eux pour qu'ils ne croient pas que j'allais
m'en servir. J'ai soudain réalisé que cette précaution
était étrange pour un jouet en plastique. En retournant
à mon siège, j'ai entendu le déclic de la gâchette
mais je n'ai pas osé me retourner pour voir si l'enfant me
tirait dessus. |
Quant à
sa façon de chanter et la variété de sa diction,
il l'explique suite à une lecture publique d'un certain Stewart
Home :
J'ai
assisté une fois à une lecture de Stewart Home. Ces
idées étaient très intéressantes mais
c'est surtout la prononciation de sa lecture qui m'a été
bénéfique. J'ai réalisé que les mots avaient
une autre signification lorsqu'ils étaient prononcés,
alors qu'avant, je considérais mes propres écrits comme
étant intimes et sans intérêt pour d'autres personnes.
Après avoir vu Stewart Home, je suis rentré chez moi,
j'ai relu mes textes et j'ai réalisé qu'ils développaient
des idées différentes selon le ton employé pour
le dire. C'est à la personne qui lit de donner de l'importance
aux rythmes et aux silences et ainsi, donner un sens et une direction
personnelle à sa lecture. Par exemple, j'ai écouté
le texte d'Orange Mécanique lu par Anthony Hopkins. C'était
bien plus puissant que la lecture que j'en avais faite parce que là
encore, ce qui était visé par écrit prenait forme
à travers la voix humaine. L'art d'écrire, c'est savoir
laisser une interprétation ouverte. C'est pareil pour mes paroles.
Ca n'a pas d'importance qu'elles soient imprimées tant qu'elles
sont audibles grâce à la diction. C'est comment je raconte
qui est important et non pas ce que je raconte. |
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1996,
Badgewearer enchaine avec l'album Thank You for your Custom
(Guided Missile, Amanita records). Moins d'un an après A
Toy gun in safe hands. Badgewearer en pleine effervescence créatrice
avec 21 nouveaux morceaux (bien que seulement 19 soient indiqués
sur le verso de la pochette, London Distinct étant passé
à l'as et Bartrum/Tantrum constituant deux morceaux différents),
dont certains n'hésitent pas à franchir les quatre,
voir cinq minutes.
Lorsque
nous avons commencé, la musique était plus féroce,
avec un son de guitare plus grinçant. Les morceaux étaient
très courts et rapides, alors que maintenant, certains
de nos morceaux atteignent les cinq minutes. Ce que nous faisons
maintenant est beaucoup plus musical. Auparavant, notre musique
venait d'un style musical bien précis. Les nouveaux membres
du groupe ont apporté une part de leurs goûts et
de leur personnalité, ce qui n'était pas vraiment
le cas au départ. (Tony Kennedy) |
Badgewearer
n'en garde pas moins toute sa spontanéité. Ils continuent
d'explorer les voies de l'exotisme punk, d'insuffler bonne humeur
et mordant, d'aligner des arpèges improbables et les rythmes
acrobatiques, autant à l'aise dans l'expression courte que
les morceaux nouvellement plus longs, d'innover avec deux titres
guitare acoustique et voix uniquement. Un album dans la continuité
de A Toy gun in safe hands avec des tartines de paroles à
l'intérieur du livret que Jim Carstairs déclame avec
son accent écossais à couper au couteau, panache de
titres indémodables qui mettrait toujours le feu à
n'importe quelle piste de danse pour punks en goguettes. Testez
des morceaux comme Jum, irrésistible, Terminal
Headboy, More Land Home et sa guitare flamboyante, The
Magic of the Nightie ou Waterchute si vous voulez pleurez
un peu, Jewish Nazi avec son sample de Bill Clinton si vous
voulez réfléchir à la marche du monde ou Living
Remnant pour plus de gravité. Vraiment de la confiture
donnée à des cochons.
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1997,
Badgewearer sort son dernier album, Nowness (Guided
Missile, Amanita records), achevant sa triptyque d'une incroyable
productivité. Dix-huit titres, cinquante minutes, groupe
volubile mais qui ne parle pas pour ne rien dire. Sauf que le propos
de Nowness parait moins rapide qu'à l'accoutumée,
moins exubérant. L'album plonge dans une certaine gravité,
se fait narratif, devient éclaté, presque abstrait,
jazzy sur certains titres privilégiant plus l'atmosphère
que l'habituelle euphorie communicative. Peut-être l'influence
des Molecules avec qui ils ont tourné en 1997.
Dans la liste des remerciements, on note les groupes qui constituent
leur famille musicale : The Ex, De Kift, Fugazi, Dawson, Archbishop
Kebab, Donkey, etc
On aurait pu rajouter Minutemen si ils
avaient encore existé, The Fall qui existera éternellement
et pourquoi pas un Shub national qui n'existait pas encore. Certains
morceaux de Shub, une rythmique, un plan de guitare, cet angle rock
indéfinissable, cette ingénuité un brin mélancolique
m'ont souvent fait penser à Badgewearer, pas spécialement
sur Nowness mais sur les deux albums précédents.
Un album qui se consomme plus lentement, approche plus complexe
mais se révélant sur la longueur.
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Mais
Badgewearer n'a pas encore tout dit. 1997 est aussi une année
à singles. Badgewearer en sort deux.
Criterion Adjournments Secret Cowboy Agenda (Amanita,
Guided Missile) reste dans la tradition des pochettes finement élaborées
et des titres abscons. Mais ça sent déjà la fin.
Leighton Crook est bien noté dans les crédits mais entre
parenthèse, au lieu d'être indiqué drums, il est
écrit absent. C'est Neil Bateman qui se colle derrière
la batterie, panoplie à laquelle il ajoute le saxophone présent
sur les trois titres du single. Tony Kennedy, en plus de sa fidèle
basse, gratte un peu aussi la six cordes tandis que Jim Carstairs
reste inamovible derrière le micro et les paroles. Répartition
des rôles et expérimentation musicale. Le rythme est
forcément changeant et moins inventif que d'habitude, Neil
Bateman n'ayant pas la même vista avec des baguettes. Ca donne
trois titres plus glissant avec des mélodies de charmeur de
serpents où le rythme devient moins important au profit d'une
humeur plus évanescente. Dis comme ça, ça pas
l'air terrible mais ce disque est pourtant un bon cru.
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Par
contre, avec l'ultime single The Tashman Dadguy Olfactory
(Amanita et Black Halo, un label anglais), Badgewearer marque clairement
un coup de mou. Pas dans le sens nullité du disque mais l'humeur
est à la fin et une profonde mélancolie s'est emparée
de Badgewearer. Un nouveau batteur (Richard Cameron) a été
enrôlé pour l'occasion. C'est du Badgewearer mais les
cinq titres n'ont pas le mordant habituel, ça manque de souffle,
ça déroule peinard et sans être mauvais, loin
de là, on sent bien que le groupe est arrivé au bout
de ce qu'il avait à dire et que la formule est achevée.
54 titres en trois ans, plus les singles, on a le droit d'être
épuisé.
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Si ma mémoire
ne défaille pas, le groupe a continué un temps en version
instrumentale mais jamais rien n'a été gravé sur
le vinyle. On retrouve Tony Kennedy, puis plus tard Neil Bateman, au sein
The
Sandals of Majesty, avec un autre (ou deux ?) français, groupe
partagé entre l'Ecosse et Marseille où Tony Kennedy a semble-t-il
établi ces bases et n'a, semble-t-il, jamais sorti de disques.
Ca fait beaucoup d'incertitudes certes mais une chose est sûre,
c'est que vous en avez déjà assez avec Badgewearer et leur
discographie conséquente dont les titres sur les compilations et
les Peel sessions vous ont été épargnés.
SKX (21/04/2011)
Tous les extraits d'interview sont tirés du fanzine Sonik/n°8/1996.
Discographie :
. This Bag Is Not A Toy 7'' - Gruff
Wit records 1990
. F.T.Q. LP - Gruff Wit records 1991
. This Is Not A Door 7'' - Guided
Missile records 1994
. A Toy Gun In Safe Hands LP - Guided
Missile/Amanita records 1995
. Thank You For Your Custom CD - Guided
Missile/Amanita records 1996
. Nowness CD - Guided Missile/Amanita
records 1997
. Criterion Adjournments Secret Cowboy
Agenda 7'' - Guided Missile/Amanita records 1997
. The Tashman Dadguy Olfactory 7''
- Amanita records/Black Halo 1997
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