poundland
antigen


Pound Land
Mugged – LP
Antigen records 2025

Pound Land, c’est la vie au rabais, tout ce qui ne sert à rien et qu’on brade, le déchet du capitalisme, la surconsommation pour les fauchés et l’illusion du bonheur en solde. Tiré du nom d’une chaîne de magasins anglais où tout est à one pound, le groupe anglais originaire de Derby n’est pas du genre à dépenser des fortunes dans des enregistrements qui coûtent un bras et les graver sur de beaux vinyles multicolores. Depuis 2020, Adam Stone (chant) et Nick Harris (tout le reste) multiplient les sorties uniquement numériques ou en cassettes (principalement sur Cruel Nature) avec les moyens du bord et sans passer trois heures à peaufiner un son qui est mis en boite comme ça sort des amplis suivant l’humeur du jour. DIY dans la plus pure tradition du style. Renvoyant dans l’esprit à la toute la frange des groupes anglais noise/indus/expé/punk à la fin des années 80, début 90 comme Terminal Cheesecake, Headbutt ou Stretchhheads.
Pour Mugged, l’histoire est légèrement différente. A l’origine publié en cassette par Cruel Nature en avril 2024 puis à édition très limitée en format vinyle lathe-cut (gravure manuelle et individuelle avec une qualité moindre contrairement aux disques traditionnels pressés en masse grâce à des matrices métalliques), le sixième album de Pound Land s’est vu récemment remasterisé et retiré le portrait sur de vrais vinyles grâce à Antigen records pour une qualité supérieure et un confort optimum. Ce qui peut prêter à rire parce que même dans ce cas là, quand il s’agit de Pound Land, c’est encore loin de sonner comme si c’était Wayne Adams qui s’était occupé de l’enregistrement.
Mugged est leur sixième album mais le premier à avoir bénéficié d’un vrai studio. Ce qui ne saute pas aux oreilles. Toutes les aspérités, frictions et l’aura live brut de décoffrage persistent fortement aux diktats des technologies modernes ou d’un Pete Maher à la mastérisation, un gars qui a bossé avec Nine Inch Nails, Barry Adamson ou U2. Le compromis n’est pas encore pour aujourd’hui chez Pound Land. C’est à prendre avec la crasse et tous les défauts.
Mugged
constitue cependant une porte d’entrée idéale pour se familiariser avec le monde étrange et radical du duo anglais. Pound Land se retrouve pour la première fois sur un album dans la configuration qui assure habituellement les concerts. Le duo de base s’élargit ainsi à cinq membres avec un batteur (Steve Taylor), un bassiste (Rich Lamell), un préposé aux triturations électroniques (Jase Kester) et une saxophoniste (Jo Stone), soit ce qui se rapproche le plus d’une entité rock, solide, carrée avec la musique qui va avec. Car dans l’esprit aventureux, expérimentateur de Pound Land, c’est loin d’être toujours le cas. Avec Mugged, le groupe n’a jamais aussi bien sonné, n’a jamais été aussi percutant et intense tout en restant dur, intransigeant, dérangeant, foutrement âpre, sale dont l’esthétisme sonore n’est pas fait pour flatter les tympans. Ni la conduite des opérations d’ailleurs. Il faut s’attendre à prendre de longues errances bruitistes au psychédélisme malsain avec une basse qui résonne comme une tige de fer, un sax qui se lamente dans le fond et un chant en mode spoken-word (Power To The People (sur la Mediocre Side), neuf minutes aussi éreintantes que celles de Shish Donner (sur la Could Have Been Better Side)), sorte de Jason Williamson (Sleaford Mods) dressant un visage macabre de l’Angleterre.
Et Pound Land ne s’arrête pas là. Il cogne durement, psalmodie, fait crisser les cordes de la guitare, apporte du souffle aussi sombre soit-il à des compos plus incisives (Spawn Of Thatcher, Pistol Shrimp) ou hallucinées (Flies), perturbe les ondes, hante les territoires de la no-wave et du chaos, mélange spasmes industrielles et freeture débordante (l’haletant Broken In Two) avec un gros doigt (le majeur de préférence) de scum rock obtus et nihiliste (Paralyzer).
Vous voilà prévenus. Pound Land est une expérience singulière et exigeante d’un groupe totalement libre de ses mouvements et paroles, se moquant complètement des conventions pour foutre un bordel se révélant brutalement jouissif et salement hypnotisant. Et n’hésitez à vous faire encore plus de mal en visitant leur bandcamp. Tous leurs enregistrements sont disponibles et ils ne vous coûteront même pas one pound. Tout est gratuit.

SKX (22/12/2025)