coilguns
humus


Coilguns
Odd Love – LP
Humus records 2024

Ce qui est bien avec Coilguns, c’est qu’on n’est jamais déçu. Qu’importe les moyens que le groupe suisse met, le temps qu’il lui faut entre deux albums, la façon d’enregistrer, où et avec qui, la qualité sera au rendez-vous à la fin. Pour ce quatrième album, Odd Love, Coilguns a donc pris son temps (cinq ans, covid oblige mais ce n’est pas la première fois, il avait fallu le même nombre d’années entre Commuters et Millennials), est parti en Norvège dans un studio luxueux (Ocean Sound), a fait venir Scott Evans (Kowloon Walled City) des USA pour la mise en boîte, a fait appel a des noms connus habitués à travailler avec des gros groupes pour le mixage et la mastérisation (Tom Dalgety et Robin Schmidt). Bref, Coilguns s’est donné les moyens de ses ambitions pour continuer de grandir et si possible toucher un public plus large, cette dernière remarque n’étant pas un gros mot. Mais pour un groupe bizarre et bruyant d’une ville horlogère bien rangée dixit le chanteur Louis Jucker, cette aspiration pourrait vite devenir louche au sein d’une scène pour qui le terme ambition faire naître des crispations immédiates. Mais Coilguns reste Coilguns. Une sensibilité unique dans le monde des musiques affiliées noise-hardcore.
Certes, Odd Love possède un sens accru de l’efficacité, terme bâtard au même titre que accessibilité, pour dire que les compos sont encore plus spontanément accrocheuses, tout simplement séduisantes et addictives sans que Coilguns n’ait à renier ses principes esthétiques et sans faire dans la facilité. Le groupe de La Chaux De Fonds demeure une entité à part, le cul entre plusieurs chaises (noise-rock, (post)hardcore, metal(core), punk et dérivés) et qui n’a pas décidé de s’asseoir définitivement sur l’une d’entre elles et c’est parfait ainsi. Inclassable pour toujours. Trop mélodique pour le noise-rock. Trop tordu pour le punk. Trop d’émotions pour le metal.
Et puis ce chant, si spécifique chez Coilguns. On les connaît tous ces groupes énervés qui mettent du chant clair entre deux vociférations. Pour le meilleur et souvent le pire. Avec Louis Jucker, c’est différent. Ça toujours été différent. Son chant n’est pas clair. Dans tous les sens du terme. Un grain singulier évoluant dans un registre aigu sans l’être vraiment, comme une voix de tête en version éraillée, audible mais agité, acéré, surchauffé, fébrile aussi, qui se pose parfois mais on sent bien que c’est toujours sur un fil. Si vous voulez encore un élément supplémentaire du caractère indéfinissable de Coilguns n’obéissant à aucune règle d’une scène quelconque, le chant est un argument de poids.
Odd Love est donc un nouvel enregistrement offrant un song-writing de haut-vol, puissant, varié, écorché, trépidant avec plein de subtilités à l’intérieur, d’idées comme les sifflotements de l’imparable Placeholders se transformant en chœurs, d’intelligence dans les constructions aussi finement complexes que frappantes, d’interventions aux synthés/machines du nouveau venu Kevin Galland (aussi à la basse) pour donner un vernis plus atmosphérique, travailler les ambiances dans le détail, mener Caravel dans des sphères surprenantes et inédites avec son piano qui s’emballe alors que le minimaliste et funeste The Wind To Wash The Pain ouvre la voix à Bunker Vaults, long final tumultueux possédant presque une touche Neurosis dans son coté et final épique. Et tous ces moments de bravoure qui claquent comme le splendide et lumineux Venetian Blinds, le frénétique et hargneux We Missed The Parade ou Featherweight qui porte mal son nom au bout de ses six minutes et quelques de relief aussi ténébreux que violent résumant idéalement toute l’étendue des sentiments que Odd Love vous fait traverser.
Odd Love
comme une suite logique dans une discographie impeccable, un palier supplémentaire que Coilguns franchit allègrement, la nouvelle preuve que ce groupe est essentiel et que le feu ne flambe pas que sur la pochette, il crépite partout en eux.

SKX (13/01/2025)