sumac
thrilljockey


Sumac
The Healer – 2xLPs
Thrill Jockey records 2024

S’engager à écouter un disque de Sumac demande toujours une bonne dose de courage et d’abnégation. Vous connaissez les risques, vous savez que cela va être un long périple qui va enlever des points de vie mais vous y retournez quand même car vous aimez ça. Ça, c’est se confronter à une expérience singulière, une plongée cathartique dans un plasma sonique qui va faire perdre le sens de l’orientation pour en ressortir vidé, lavé, galvanisé et le vertige d’une plaie béante.
Vous savez où vous mettez les pieds, vous connaissez les éléments de l’équation et The Healer, cinquième album du trio, ne bouleverse pas l’ordre établi par Aaron Turner (guitare, chant), Nick Yacyshyn (batterie) et Brian Cook (basse). Ça sonne comme un reproche mais ce n’est pas un reproche. Et c’est tout le paradoxe de Sumac. L’impression que c’est toujours la même chose, que les termes et les images utilisés pour décrire les précédents albums pourraient être à nouveau d’actualité pour The Healer. Mais The Healer est unique. C’est du Sumac, ya pas à sourciller mais un Sumac qui continue à explorer, approfondir et soumettre des écoutes à chaque fois différente tant cette musique est riche, dense, complexe et génère des humeurs, un émoi et des tremblements variant sans cesse.
Quatre compositions s’étalant sur plus d’une heure et quart. Quatre pavés impressionnants, un monumental dédale volcanique, agité et ténébreux qui n’est pas qu’un monumental dédale volcanique, agité et ténébreux. A l’instar de la pièce maîtresse de vingt-cinq minutes World Of Light, Sumac montre sur The Healer toute l’étendue de son jeu tentaculaire. Le plomb le plus lourd côtoie des plages bruitistes décharnées et angoissantes. Des mélodies crépusculaires qui s’éteignaient dans un silence blafard se font transpercer par une rythmique assourdissante. L’évolution de la structure semble suivre un scénario confus et incertain, guidée par une impression de chaos et d’improvisation avant que tout s’éclaire, que la vastitude se referme et prenne sens quand la longue partition s’achève. Et la voix de Turner fait toujours trembler les montagnes.
Il est question de blues aussi, à la sauce Sumac bien sûr, d’un truc beau et triste qu’on croyait pas possible en de telles contrées comme le début de Yellow Dawn avec son orgue en sous-main, de poésie dans le royaume de la tornade, d’imbrications qui s’enchaînent naturellement dans leur esprit qui garde le contrôle et tire les ficelles dont le commun des mortels aurait fait un gros pâté. Bien sûr, quand Sumac déchaîne durablement la foudre comme sur l’incroyable New Rites, vous prenez votre pied parce Sumac excelle dans le domaine du terrassement métallurgique qui en fout plein la vue et les oreilles et que le couple basse-batterie n’est vraiment pas du genre manchot. Mais c’est par les architectures imposantes, les contrastes, la lumière qui arrive à filtrer dans la masse ténébreuse, les parties moins bruyantes qui s’étirent sans forcer et vibrent en évoquant encore un blues mutant ou un free rock ressemblant à une jam diabolique sur The Stone’s Turn, par toutes les surprises, les déviances et l’inventivité que le trio est capable d’insuffler alors qu’on croyait tout connaître de lui que The Healer guérit les têtes après les avoir bien explosées.
Vous pensiez que Sumac avait atteint son max mais il arrive encore à se surpasser.

SKX (10/10/2024)