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overdrive


Buñuel
Mansuetude – LP
Skin Graft/Overdrive records 2024

Mansuétude. Buñuel a beaucoup d’humour parce ce groupe n’en possède pas le début d’un commencement. Pardonner n’existe pas dans leur lexique. Vous n’avez qu’à demander à Eugene Robinson (ou encore mieux, à Niko Wenner) suite à son départ brutal d’Oxbow en juillet dernier. Tout comme la bienveillance ou la délicatesse. Un vocabulaire sans compassion qui n’est pas une surprise si vous avez suivi les trois épisodes précédents formant une trilogie. Ne comptez pas sur ce quatrième album composé bien avant le clash pour que Eugene et ses trois italiens (Xabier Iriondo/guitare, Andrea Lombardini/basse et Franz Valente/batterie) arrondissent les angles.
Buñuel, l’ange exterminateur, débarque avec un disque paradoxal, encore plus violent et direct tout en étant plus éclaté et radical à l’instar du titre d’ouverture Who Missed Me donnant l’impression de trois morceaux différents fondus en un. Vous n’êtes qu’au premier titre et vous êtes déjà pas loin du KO. Buñuel a eu la main lourde. Cela a même eu un goût de too much au début, toute cette bastonnade incessante, l’agression caractérisée où souffle un vent mauvais en continu, la lourdeur et la méchanceté de la frappe, un mitraillage en règle qui arrive de tous les cotés, une putain de pression de tous les instants, une densité de bruits au mètre carré qui étouffe, écrase, broie au risque de ne plus rien ressentir devant telle abondance. Mansuétude ? Nan vraiment, c’est à se pisser dessus.
Heureusement, ça fait longtemps que notre innocence est perdue et nos reins sont solides. Et surtout, Buñuel possède la science du combat. Un combat que le groupe a voulu total. Et qui finit par dessiner des tranchées aussi accidentées, tourmentées que multiples et nuancées au milieu du carnage pour prendre des beignes sans perdre la tête et sa raison. Mais il s’en faut de peu. Noise-rock façon maximaliste avec trois musiciens qui ont décidé de laisser leurs tripes sur le bitume et une grande performance vocale d’un Robinson retrouvé après un ultime Oxbow où lui aussi s’était noyé dans le marasme. Buñuel a même partagé le micro par deux fois. Avec Megan Osztrosits (Couch Slut) sur Fixer et Jacob Bannon (Converge) sur Bleat. Sans oublier Duane Denison, guitariste émérite de Jesus Lizard, sur American Steel. Un apport minime, il faut le lire dans les notes pour vraiment entendre leurs participations, sans oublier celles d’artistes moins connus apportant saxophone, electronics, violoncelle et claviers mais qui soulignent la volonté d’un groupe pour s’ouvrir à toutes formes de constructions sonores, se nourrir d’une multitude de style pour imposer le sien, explorer une palette de bruits la plus large possible pour ne rien s’interdire.
Buñuel se la joue ainsi panzer-dynamite sur le court et bien nommé Trash que le souffle d’un cuivre vient perturber d’une touche free aussi surprenante que génialement bien trouvée. Les déflagrations succèdent aux détonations qui elles-mêmes faisaient suite à un puissant et sourd fracas. Il faut A Killing On The Beach en plein milieu de ce double vinyle où seulement trois faces sont exploitées pour calmer le jeu et montrer que Buñuel n’a pas oublier ce que mélodie veut dire (même si ça reste tendu). Et quand Buñuel ralentit la cadence, ce n’est pas bon signe. Il assène des compos encore plus tordues, ondoyantes, malaisantes, des abstractions sonores qui se nomment Movement N° 201, les sept minutes du flippant Leather Bar ou A Room In Berlin et c’est magnifique parce que ce groupe a un gros grain dans la cervelle, une folie rampante et c’est dans ces moments incertains d’un blanc fragile, comme un disque de glace prêt à se briser, d’un blues qui se dévoile sous des oripeaux de bêtes blessées, qu’il est le plus électrisant. Les idées fusent. Les guitares brûlent. La rythmique terrorise. Et Eugene Robinson trône au milieu du bûcher. Buñuel n’a aucune mansuétude mais il a toute notre gratitude.

SKX (31/12/2024)