youff
rockerill
lovemazout
bagdaddy


Youff
Heydays – LP
Rockerill/Love Mazout/Bagdaddy records 2023

Bienvenue chez les dingues. Quatre ans après 20/20 Hindsight, les Belges de Youff remettent leur couronne en jeu. Ils devraient la conserver sans problème. Heydays, disque le plus taré de l’année. Le plus dissonant aussi, le plus perçant, le plus noise, le plus malade, qui donne envie de gratter un trottoir avec les ongles et d’embrasser un abri bus. L’esprit no-wave, quand il vient frapper à la porte de Gand avec Arab On Radar qui n’est pas là pour faire du tourisme, ça donne un hachoir à saucisse qu’on alimente en y pressant ses névroses.
Deux guitares qui répandent le venin, sifflent la nuit venue et le jour aussi, sucent le sang et la cervelle avec. La rythmique pilonne et scande des mesures comme un motard aligne un fuyard, à balles réelles et sans aucune pitié. Et le chanteur est un poète. Le seul problème, c’est qu’il ne le sait pas encore et qu’ils sont plusieurs dans sa tête. Alors il hurle, frôle la mort à chaque seconde, se métamorphose, perd contact avec la réalité, voit des trucs que personne d’autres ne voit et surtout, il les chante. Le chef des dingues, c’est lui.
Pris comme ça, ce disque a l’air mal barré dans la vie. Ce troisième album (quatre si on compte le mini-album sans pochette If Wishes Were Horses, Homicidal Beggars Could Ride paru dans la foulée de 20/20 Hindsight, zappé allègrement mais deux magnifiques photos pour se rattraper à la fin de cette page) est pourtant une incroyable odyssée dans les entrailles palpitantes du noise-rock, un grand moment de chaos organisé alors que tout brûle autour de vous, de l’adrénaline pour tenir le coup et passer l’apocalypse au chaud. L’arrivée d’un second guitariste pour un groupe désormais à cinq alors qu’il démarra à deux dans la vie (c’est le sixième line-up que connaît Youff) renforce la force de pénétration. De nuisance aussi mais on aime ça. Quand ça fait mal aux tympans, que le chant est trop haut, que ça déraille dans les cordes, vocales, électriques, que ça nique les enceintes, les pensées bien ordonnées et les riffs qui n’en sont jamais.
D’ailleurs, pour bien marquer son territoire, ça commence direct les hostilités avec Third Body, une voix pour tester les nerfs et ta capacité de résistance à l’absurde avant de graduellement éclore sur un bouquet de ronces s’épanouissant dans une douleur à la tonalité grondante et flamboyante. Youff bloque sur une même note. Youff exploite une idée à fond, la triture, surtout si elle n’est pas agréable. Youff met la pression, appuie encore et encore, semble perdre les pédales, se jette contre les murs, densifie la confusion. Le batteur (qui est aussi celui de Crowd Of Chairs) s’impatiente, pulse, convulse et tape encore plus droit sans se poser de question. Vous êtes pris dans une essoreuse sans issue de secours avec une multitude de crochets qui tirent vers le haut et donnent du sens et de la consistance à tout ce bordel avec des morceaux tous effroyablement obsédants et criminellement précis et implacables.
La folie humaine guette sans cesse, elle est la guide, le fil conducteur, celle qui insuffle une dimension supérieure, transcende la radicalité d’un comportement punk et nihiliste. Heydays, jour de gloire pour Youff.
Et ne ratez pas l’occasion d’aller les voir en concert. Vu le 28 octobre dernier à Rennes, c’était un grand moment de défoulement jubilatoire. L’énorme ampli basse Ampeg a mis tout le monde en PLS. Mais Youff sait s’adapter à son environnement. Comme sur disque, on pense que ça va être la guerre et le grand n’importe quoi. On ressort un sourire jusque là avec un groupe qui met tout le monde d’accord et de grands morceaux où on a fini par tout comprendre.

SKX (22/11/2023)



If Wishes Were Horses, Homicidal Beggars Could Ride
(Stadskanker records 2019) ::