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Tombouctou
Tricky Floors – LP
Cheap Satanism/Permafrost/Hidden Bay/Araki/Pied De Biche/Poutrage/Day Off/Last Disorder records 2023

Six ans. C’est long six ans. Et c’est rien du tout quand il s’agit de Tombouctou. Parce que la joue se rappelle très bien de la claque reçue par Ceiling Coast. Et le pire, c’est qu’on retend l’autre sans hésiter. Deuxième album Tricky Floors car dans le monde de Tombouctou, bourgade bien connue au confluent du Rhône et de la Saône, les sols sont épineux de naissance, le terrain mouvant, glissant et l’exotisme trompeur. Bienvenue à Lyon, la perle du désert.
Le trio fait souffler un vent qui a la force de la tornade n’ayant rien perdu de sa folie contagieuse, valsent les têtes qui suivent à l’instinct une partition orientée vers les rafales et offrent des regards déboussolés devant tant de fracas enfantés dans une enfilade d’épingles à nourrice. De multiples pièces rattachées pour créer un front uni comme une intersyndicale, ils seront sourds et logiques et accrochés, éperonnés, stimulés vous serez. Tombouctou tisse des fragments d’un noise-rock libre d’exploser (ou pas) là où il veut se mettre à l’envers, se répand dans des recoins qui n’en finissent pas de se répercuter dans un intense engrenage ne connaissant pas la crise, tire des bords rudes et sauvages pour retomber sur ses pattes, dévie de l’orthodoxie pour écrire des notes qui ne sont pas dans les pages, des articulations qui défient la kinésithérapie. Tombouctou se permet même deux très courts titres qui cassent les reins, End Of Rescue en mode moustique et le trashisant Unusual Mabel.
Mais avant tout, Tombouctou possède cette rare faculté à se friser les moustaches tout en se montrant aérien, rieur, décontracté. Une paire guitare-batterie pleine de dextérité, de plans machiavéliques, d’inventivité qui sait parfaitement te capter, coule la candeur au milieu d’un nid de crotales. Et plus que jamais avec Tricky Floors, la frénésie est domptée sur le bout de la comète qui n’arrête pourtant pas de cracher et filer. Des appétences plus mélodiques et moins épileptiques. Un chaud déluge qui ne cesse de t’absorber dans son giron totalement irrésistible. Des structures démentes et tellement inspirées où ça regorge d’idées et d’aisance. Des riffs fumants, furieux, concassés, trafiqués. On ne voit pas le danger, c’est trop tard. Comme des phares qui éblouissent.
Et à ce petit jeu là, la chanteuse n’est pas l’ultime rempart. Elle ne protège de rien et surtout pas de l’envoûtement. Par contre, c’est la dernière brèche pour que la lumière t’arrive pleine poire. Sa facilité à passer d’une expression vocale à une autre, d’un feulement à un cri, était connue. Elle rajoute une faculté encore plus grande à se montrer mélodique, à s’envoler dans des intonations plus claires, posées créant de magnifiques contrastes qui illuminent les compos, les élèvent dans des sphères imprévues, les rendent encore plus belles et vibrantes, ce qui n’était pas gagné d’avance quand on se nomme Tombouctou et que l’hystérie colle à la peau. Cela donne des morceaux magnétiques, à la profondeur insoupçonnée comme Watermelon Snow, Claps On Waves ou Lucrece’s Summer qui bénéficient de cette aura inédite au chant plus travaillé que jamais. Tombouctou, c’est pas le bout du monde. C’est là, à ta porte et on ne mesure pas assez la chance d’avoir un groupe de cet acabit sortir un album de cette trempe là. Renversant et grandiose.

SKX (30/03/2023)