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The
Turin Horse
Unsavory Impurities – LP
Reptilian/Invisible Order records 2023
Cinq longues années que The Turin Horse n’avait pas pointé
le bout de son museau fumant. Sur la seule fois d’un trois titres,
le duo italien nous avait fait baver d’envie. En guise de conclusion,
il avait été écrit
vivement la suite. Qui s’est donc fait grandement attendre mais ça
valait sacrément le coup. The Turin Horse revient ruer dans les
brancards au-delà de toute espérance.
Si à l’époque Unsane avait été cité,
c’était par pure facilité, voir fainéantise
car le duo reprenait Blame Me des New-yorkais. Et parce que le
noise-rock de Turin Horse suintait une haine viscérale, une noirceur
indélébile et crachait des postillons corrosifs du même
acabit. Désormais, Unsavory Impurities éclate non
seulement Unsane, il éclate le noise-rock dans les grandes largeurs,
en profondeur et à peu près tout ce qui s’y rapporte
tout en allant voir plus loin. The Turin Horse est une énorme cavalcade
débordante de bruit, de fureur, de passion faisant croire qu’ils
sont une horde là-dedans alors que c’est toujours Enrico Tauraso
(ex-Dead Elephant) au chant, à la guitare, aux triturations de
sons sur un synthé, aux samples plus power electronics et Alain
Lapaglia (Morkobot) à la batterie. Et en trio le temps de deux
morceaux avec Alessandro Cartolari au saxo baryton.
Ainsi ne croyez le premier titre qu’à moitié, The
Maximum Effort For The Minimum Result. Cet enregistrement au long
cours datant d’août 2019 qui leur a demandé beaucoup
de labeur pour voir le jour débouche sur un aboutissement bluffant
et cause un maximum de dommages. Rien que ce titre qui n’est qu’un
bref interlude introductif promet sang et pleurs. Ça fritte les
oreilles et rien ne sera fait pour brosser l’auditeur dans le sens
du poil. Un vrai disque de noise-rock ultime, radical par bien des aspects,
exigeant parfois mais aussi furieusement abrasif et incisif. Un alliage
de rock brutal, puissant, avec plein de tensions, de saturations et d’un
esprit expérimental avec un son se nourrissant d’une multitude
de samples et de bruitages électroniques. Jusque dans les structures
des morceaux qui vont de l’incendiaire franc du collier qui saccage
tout sur son sauvage passage à des échappées bruitistes
s’évadant du cadre aux relents atmosphériques radioactifs
et des constructions plus alambiquées remplies de pièges
et de tourments.
Sixty Millions Blues, The Regret Song (déjà
présent sur le EP et dans une version encore plus volcanique ici),
Blissed Out et Necessary Pain sur la face A sont quatre
violentes charges écumantes de rage, qui rentrent dans les chairs,
explosent une fois à l’intérieur, hyper virulentes,
frénétiques, fragmentées et tellement accrocheuses
dans toute leur folie. Ça vous met les nerfs comme un Dazzling
Killmen, une insupportable intensité, hors de soi et seul au monde.
Et avec ce son de dingue, les couches de bruits qui se rajoutent, se percutent,
s’enflamment, l’impression constante qu’une guitare et
une basse évoluent en même temps, les samples qui déboulent,
le cerveau est submergé, ne comprend plus rien, la lune est rouge
et c’est méchamment grandiose et d’une redoutable efficacité.
Et ce n’est pas avec le court instrumental Birds Sing A Death
Song qui débute par quelques douces notes de piano que vous
allez trouver le repos. Ça vire vite au pugilat, au dérèglement
sonore et à la désintégration pure et simple. Oiseaux
de malheur.
C’est en passant à la face B que le duo de Turin va monter
d’un cran dans l’adversité, dévoiler ses penchants
plus aventureux, heurter les rivages d’un noise-rock plus free, dérangé,
atypique, moins frontal mais tout aussi magnétique. Ça commence
par The Light That Failed (présent lui aussi sur le EP dans
une version différente) et ses cris de bébé, qui
continue sur des fondements rock avant de peu à peu prendre le
contre-pied du titre et s’illuminer sur une fin spacieuse et onirique.
Un sample comme une nappe synthétique solennelle qui fait l’enchaînement
avec Where The Seeds Can’t Take Root et son crescendo bruitiste
et un chant parlé samplé tout en intensité qui prend
à la gorge avec une amplification proche de l’implosion. Tu
ne sais plus s’il faut rêver ou flipper, une pluie de météorites
s’abat et c’est un nouvel enchaînement avec l’étrange
Hybris. Pas loin de neuf minutes instrumentales donnant le sentiment
de couper l’élan du disque, casser la dynamique alors qu’il
ne fait qu’accentuer le malaise tout en rajoutant une corde (pour
se pendre) à leur arc créatif. Un long cheminement incertain
avec le saxo en fil rouge. Tu sens bien que l’ambiance peut cramer
à tout instant, que cette fausse accalmie, cette torpeur angoissante
cachent des desseins plus torturés et c’est ce qui finit par
arriver avec un dénouement débridé mais pas complètement
non plus. Et c’est avec le magistral Tear Off The Stitches
que The Turin Horse parachève son tour de force. Le saxo pousse
sa complainte et le groupe fond en une compo toutes ses différentes
approches, matraque et dévie de la trajectoire, serre les poings
et prend de la hauteur.
Unsavory Impurities, c’est un engagement total, un album riche
et absolu, une musique de malade dont vous ne ressortez pas indemne, un
des meilleurs disques de ces dernières années tout simplement
et pour longtemps. Magie noire.
SKX (23/03/2023)

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