moe
vinter


MoE
The Crone – LP
Vinter records 2022

Pour un groupe comme MoE qui est sans cesse sur les routes pour aller d’un concert à un autre à travers les cinq continents et qui a toujours un enregistrement sur le feu, le confinement à cause de ce que vous savez fut, à n’en pas douter, un grand moment de souffrance. Mais le groupe norvégien possède de la ressource. Pas le genre à regarder le bout de ses chaussures. Guro Skumsnes Moe (basse, chant) et Havard Skåset (guitare) ont créé la musique et tourné avec la compagnie de théâtre/marionnettes de taille humaine Plexus Polaire. Ils ont également sillonné les routes (et notamment françaises) avec leur van, juste guitare et basse, les amplis dans le coffre et jouant en extérieur dans tous les endroits qui voulaient bien les accueillir.
Pour autant, cette pandémie et ces expériences n’ont eu aucune incidence sur The Crone. Tous les morceaux ont été écrits et enregistrés en 2019. Il faudra donc chercher ailleurs les raisons qui font que The Crone marque une évolution très notable depuis La Bufa. Et pas besoin d’aller très loin. C’est l’essence même de MoE. On ne compte plus tous les disques où le trio norvégien s’est échappé du cadre dans lequel on les attendait (fébrilement), les collaborations avec des artistes d’horizons musicaux très divers, les expérimentations, toute la série des Oslo Janus (un cinquième volume est prévu pour la fin de l’année et ça sera un double album). Il fallait bien que cet esprit aventureux et libre s’applique un jour à leurs propres albums en mode trio. MoE ose tout et c’est même à ça qu’on les reconnaît.
The Crone est donc l’album le moins frontal, le moins noise-rock au sens strict, bien que du bruit, MoE en fait toujours. Un disque plus reptilien, des compos qui avancent, racontent une histoire comme dans un film, installant une ambiance que MoE ne dynamite pas comme d’habitude mais suit un cheminement tendu, anxiogène. De longues montées d’adrénaline qui vous mettent le stress, la pression (comme les neuf minutes du titre d’ouverture qui a donné son nom à l’album) avec l’ajout régulier d’une section de cordes (octobasse, contrebasse, violon alto et piccolo, violoncelle) de la part de Ole-Henrik Moe et Kari Rønnekleiv. Comme une bouffé d’angoisse digne d’un film d’épouvante avant la scène sanglante (White Rose (Monster)). Mais de sang, The Crone ne le laisse pas apparaître. Tout est sous contrôle, suggéré. Le chant, plus varié, plus chanté ou parlé que hurlé et enragé, prend une part croissante dans cet art d’insinuer des sentiments troublés. Contrairement au batteur (Joakim Heibø) qui se fait moins entendre. De nombreux passages sont sans batterie. Le rythme est même complètement absent de My Cold War. Ce qui n’empêche pas MoE de cogner, de marteler la tension, d’asséner de lentes et lourdes déflagrations, de rappeler à notre bon souvenir qu’il ne faut pas trop les chercher non plus. L’instrumental When The Levee Breaks ou The Obscure sont dans la confrontation. MoE n’a rien perdu de son tempérament volcanique. La lave prend juste des voies différentes, déviantes, expérimentales. Elles surprennent au début mais les brûlures finissent par causer d’irrémédiables dommages. MoE reste cette entité brute et plus que jamais unique, un feu qui les dévore de l’intérieur et ne fait jamais de surplace, offrant une lumière mystérieuse et aveuglante alors que tout est ténèbres autour de vous et qui n’a pas fini de vous éblouir.

SKX (09/03/2022)