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KEN Mode
Null – LP
Artoffact records 2022

Huitième album. Ça vous pose son groupe. Depuis Mongrel, le premier album en 2003, la discographie de KEN Mode ne souffre d’aucune faute de goût et ce n’est pas avec Null que ça va changer. Combat permanent. Le groupe canadien a sans cesse navigué entre plusieurs mondes. Trop noise et tordu pour le hardcore. Trop brutal et animal pour le noise-rock. Pas assez metal, pas assez frontal, pas assez mélodique, ne se morfondant pas dans de longues plages atmosphériques et autres dérivatifs à la mode dans les sphères métalleuses (shoegaze, doom et autres musiques en post-machin truc, choisissez votre croix), KEN Mode garde une personnalité bien trempée sans jamais se compromettre dans un camp en particulier, construisant son histoire dans un terreau intermédiaire, un entre-deux plus exigeant et c’est tout à leur honneur.
Leur cas ne va pas s’arranger avec Null. C’est l’album de KEN Mode le plus ouvert et varié. Les frangins Matthewson et Scott Hamilton, le bassiste qui n’a plus changé depuis Success, ont d’abord enrôlé à temps plein Kathryn Kerr (entraperçue sur Loved) au saxophone mais aussi aux synthés/piano et backing vocals. Cette formation en réalité augmentée a apporté une touche expérimentale, bruitiste, quasi industrielle parfois à leur maelstrom auditif. KEN Mode était déjà violent et impitoyable. Il est devenu radical et monstrueux, une machine de guerre qui ose des tactiques nouvelles.
Mais qu’importe les armes. Ce que cherche toujours KEN Mode, c’est la libération des passions, la purge de la douleur et Null est une manière encore plus extrême et sombre pour y parvenir. Une crise de panique géante, suffocante, une victoire éreintante sur des temps incertains. Pour un disque composé pendant la pandémie essentiellement par son guitariste-chanteur Jesse Matthewson qui dit qu'il a besoin de créer de la musique pour se concentrer et neutraliser ses problèmes de santé mentale et sa dépression récurrente, Null est la réponse parfaite à une époque de merde.
Un album ne possédant pas l’immédiateté d’un Loved et les riffs plaisants dans toute leur férocité qui vont avec mais pris dans sa globalité, c’est implacable. Des dix minutes épiques, belles et noires à en crever de Lost Grip à la rafale Throw Your Phone In The River digne d’un Converge avant qu’il ne fasse de la bouse à la Bloodmoon, de l’agression désespérée de A Love Letter à la lourdeur flippante à la Swans des débuts de Unresponsive, KEN Mode insiste sur les répétitions, appuie sur l’accablement, décuple sa colère, devient encore plus nihiliste, obtus, noise, primaire, à fleur de peau tout en conservant des réflexes anciens avec des morceaux fulgurants et en totale maîtrise comme Not My Fault et But They Respect My Tactics. Avec des bruits de synthés supplémentaires, des ondes néfastes, de la dislocation partout et des débris de verre qui se plantent dans le cortex sensitif comme une évidence, Null n’est pas un disque qui se donne facilement mais il est le prolongement logique et réussi d’une carrière qui n’a jamais fait dans le compromis et dont la suite est prévue dès 2023 avec Void, la réponse à Null. Tout un programme. Préparez-vous à souffrir encore. Pour votre plus grand bonheur.

SKX (26/10/2022)