theflyingluttenbachers
ugexplode
god


The Flying Luttenbachers
Terror Iridescence – LP
Ugexplode/God records 2022

Étant tombé tout petit dans la marmite Flying Luttenbachers, impossible de faire comme si ce groupe faisait partie des meubles, impossible de ne pas faire attention à leur seizième album, impossible de passer outre le groupe mené par Weasel Walter quand bien même leur nouvelle livraison ne se laisse pas apprivoiser facilement. C’est le cas de tous les disques de Flying Luttenbachers me rétorquerez-vous et c’est pas faux. Il paraît même que certaines personnes fuient la peur au ventre et les mains sur les oreilles dès que ce nom est susurré. Mais sur l’échelle de la radicalité de Flying Luttenbachers dont la graduation peut monter très haut, Terror Iridescence se situe dans les sommets. Après, c’est le trou noir, la désintégration irréversible.
Ce qui peut paraître surprenant de prime abord car Terror Iridescence n’est pas loin d’être l’album où Flying Luttenbachers en étale le moins au centimètre carré. Pas de déluge de notes dans tous les sens, de blasts de batteries diaboliques, de tornade de guitares surfant sur du fil barbelé radioactif et de saxophone couinant comme s’il avait vu la mort en face. The Flying Luttenbachers soupèse, prend son temps, l’étire, apparaît sur la retenue, semble plus préoccupé par créer un climat au lieu de faire tomber l’éclair, la foudre et le tonnerre dans la même seconde.
Sur le papier, Terror Iridescence a pourtant de quoi faire peur. Deux titres seulement. Un par face. 21 et 22 minutes et quelques poussières. Annoncés comme étant des impros en studio. Tremble petit scarabée, tremble. Une formation inchangée par rapport au précédent Negative Infinity mais un tout autre parfum, le maître de cérémonie Weasel Walter n’étant pas adepte pour faire deux fois le même album. Mais ce qui désarçonne d’abord, ce n’est pas ce calme apparent (ne vous inquiétez pas, la tempête n’est jamais très loin), c’est ce bruit continu et circulaire de (grosse) goutte d’eau qui tombe ou de balle de ping-pong qui rebondit rythmant Meredyth Herold, soit toute la face A, de façon flagrante ou en fond sonore mais on finit par n’entendre que ça. Capable de mettre les nerfs en pelote ou rendre dingue. C’est en fait le bruit d’un click track, comme un métronome numérique ou application de synchronisation qui permet aux batteurs de garder un tempo régulier durant tout un morceau. Le genre de truc qu’on efface au montage mais jugeant cet outil comme un élément à part entière de la compo, Weasel Walter a décidé de le garder. Un vrai sadique. Mais c’est aussi tout son génie. Toute la singularité d’un morceau fleuve dont ce ploc-ploc obsédant finit plus par hypnotiser que par agacer, par mettre une pression subtile et installer un décor angoissant.
Terror Iridescence ne fonce donc pas tête baissée dans la frénésie et la boulimie auditive. Weasel Walter a orchestré en temps réel, ce qui est le cas également du traitement des effets électroniques de la batterie de Sam Ospovat (Enablers) et du saxo de Matt Nelson qui ont tout fait en direct. Terror Iridescence est avant tout une histoire de textures sonores, de strates que Walter ajoute, empile, distord, fait apparaître dans l’histoire avant de couper, de remodeler, d’intensifier, de déchirer. Comme un scénario pas écrit d’avance et sans cesse en mouvement. Avec beaucoup plus d’espace, de temps, de respirations et de calme par rapport à l’œuvre habituelle de Flying Luttenbachers. Ce qui n’empêche pas l’adrénaline, les montées de sève, les guitares qui crient, les accès de fièvre, les dérapages qui vrillent. Un cheminement libre et aléatoire ou obéissant à des règles que seul le groupe connaît, toujours prêt à vous piéger, vous surprendre. C’est encore plus vrai avec la face B Tom Smith. Les accidents sont nombreux. C’est parsemé d’embûches. Les sonorités inquiètent, perturbent, se fracassent. L’atmosphère est futuriste et oppressant. Et quand la machinerie s’emballe dans un style free-noise-jazz-brutal-prog cher à The Flying Luttenbachers, ce n’est jamais pour longtemps, les convulsions guettent mais ce vent de frénésie fait du bien par où ça passe.
Terror Iridescence, une œuvre à part dans la discographie de The Flying Luttenbachers. Mais comme c’est un peu pas mal beaucoup le cas à chacune des publications depuis leur retour aux affaires en 2019, cet album qui ne s’aborde pas facilement est encore une belle preuve de la créativité débordante de Weasel Walter. Et plus j’écoute Terror Iridescence, plus je l’apprécie.

SKX (07/12/2022)