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Enablers
Some Gift – LP
Wrong Speed records 2022

Wrong Speed, le label anglais qui accueille pour la première fois en son sein les Américains d’Enablers à l’occasion de leur septième album Some Gift, dit que si vous êtes un familier du groupe, vous allez l’adorez immédiatement. Ce qui est faux. Et c’est le cas pour chaque album d’Enablers. Le groupe de San Francisco à l’origine est suivi scrupuleusement depuis le début avec End Note en 2004. Chaque disque a été consciencieusement écouté, disséqué, digéré. J’ai beau savoir à quoi m’attendre – le groupe explorant continuellement le même univers musical avec de menues variations – il faut toujours un paquet d’écoutes avant que la magie opère à nouveau, pour que la poésie musicale (à défaut de celle de Pete Simonelli dont l’anglais est bien trop fort pour mes faibles capacités linguistiques et c’est bien dommage – d’ailleurs une traduction serait franchement bienvenue) prenne forme et touche une corde sensible, pour que les détails, les perceptions, les subtilités construisent une histoire générale consistante, pour que le feu à l’apparence anodine qui couve sous chaque morceau se transforme en une incontournable illumination.
Some Gift et son superbe artwork (signé David Hand) n’échappe donc pas à la règle. Pas un disque qui en jette plein la tronche dès que la musique s’enclenche. Pas le genre de la maison Enablers. Mais une somme de tensions et de dépressions formant un paysage accidenté ou apaisant, tourmenté ou planant et dont le cheminement est difficilement appréhendable et encore moins la destination. Car si le cadre général est connu tout comme l’atmosphère d’ensemble, Enablers réussi à l’intérieur de chaque compo à faire preuve d’inventivité, poser des pièges, s’aménager un espace ne ressemblant pas au précédent, mener sa barque comme bon lui semble et c’est rarement dans des eaux foncièrement prévisibles.
Le plus bel exemple de Some Gift se nomme Monkey To Man. Titre disloqué et sans doute le plus agressif de son répertoire très fourni. Une merveille. Et des morceaux/passages avec des éclats de colère plus ou moins rentrée ou frontale, Some Gift n’en manque pas (Phone Blows Up, Beam, Suburban Death March, The Year Of The Dog). Mais avec toujours autant de classe, de complémentarités et de richesses entre les deux guitares de Joe Goldring et Kevin Thomson, à l’aise également quand il s’agit de vous faire léviter, hypnotiser dans des halos d’arpèges crépusculaires, oniriques ou d’accords en suspension qui s’éternisent (The Stink Of Purity, And Other Oddities Of The Brain, The Scythe) et finement rythmés par Sam Ospovat. Finalement, seules les neuf minutes de Willard To Kurtz naviguent entre deux eaux et sonneraient presque de trop dans un déroulement au long cours qui a du mal à soutenir l’attention. Enablers a donc fini par encore frapper comme à l’accoutumée, arrive encore et toujours à nous émerveiller, à afficher une constance et une qualité que seul un grand groupe peut se permettre. Et Enablers en est assurément un de grand groupe. Et ça fait vingt ans qu’on vous le dit.

SKX (13/12/2022)