bigbrave
thebody
thrilljockey


The Body and Big|Brave
Leaving None But Small Birds – LP
Thrill Jockey records 2021

Quand un groupe que vous adorez (Big|Brave) s’associe avec un groupe qui vous file gravement de l’urticaire (The Body), un pessimisme inné fait craindre le pire. C’est le syndrome de la tartine qui tombe toujours du mauvais coté. Sauf que rien n’a été tranché. Une union contre-nature entre deux groupes qui musicalement n’ont à priori pas grand-chose en commun débouchant sur une nouvelle entité. Personne ne tire la couverture à lui. On s’en sort finalement bien.
Les cinq musiciens ont partagé leur passion pour The Band (le groupe de Robbie Roberston), ses racines folk et country, pour créer une musique ne ressemblant pas à ce qu’ils font chacun de leur coté. Un choix esthétique qui peut faire peur. Heureusement, tout ça n’est qu’une source d’inspiration. Les deux groupes ont eu la bonne idée de rejouer tout ça à travers leurs prismes personnels, une relecture qui n’annonçait rien de bon et pourtant, Leaving None But Small Birds s’en tire plutôt pas mal.
Violon, piano, instruments acoustiques et autres fantaisies comme un dulcimer sont de la partie. Il faut alors toute la science de Big|Brave et The Body pour intégrer toute cette instrumentation inhabituelle et qui reste discrète dans des textures cycliques, bourdonnantes, aérées, donner du souffle et de l’allant avec des nappes de guitares droniques, de fines saturations, de distorsions électriques et des percussions qui résonnent sans faire mal, créer des espaces volumineux sans une densité écrasante, révéler de la grandeur et de la fluidité sans jamais charger le décor.
Et puis vous avez le chant envoûtant de Robin Wattie qui fait toujours des miracles. Elle pourrait chanter sur n’importe quelle musique aussi bancale et anodine qui soit, elle arriverait à sauver les meubles (qui n’ont pas besoin d’être sauvés ici). Elle a réutilisé et arrangé à sa sauce des paroles et des lignes mélodiques provenant de compos folkloriques des Appalaches, du Canada ou de l’Angleterre, s’est positionné du coté de la victime et des laissés-pour-compte et magnifie le désespoir brutal des morceaux de sa voix magnifique que Chip King, l’hurleur-goret qu’on égorge de The Body ne vient heureusement jamais perturbé sauf pour des chœurs (avec la batteuse Tasy Hudson) tout ce qu’il y a de plus harmonieux. Ça donne des titres foisonnant d’émotions, poignants, crépusculaires (Oh Sinner, Polly Gosford, Hard Times pas loin d'évoquer Carla Bozulich), instables et dérangés, plus ouvertement folk et étrangement entraînant (Blackest Crow), des titres qui parlent de gosses exploités dans les usines ou kidnappés et qui meurent dans les bois (Babes In The Woods) et d’une femme qui sait que son mari sera hanté à vie après qu’il ait tué elle et son bébé et qu’elle aura ainsi sa vengeance au-delà de la mort.
Oui, tout ça n’a rien de très marrant mais Leaving None But Small Birds est un disque beau et lumineux derrière toute cette crasse et cette noirceur. Une collaboration surprenante pour un disque tout aussi original et décalé.

SKX (02/10/2021)