oiseauxtempete
subrosa


Oiseaux-Tempête
From Somewhere Invisible – LP
Sub Rosa records 2019

C’est l’histoire d’un flou qui devient réalité, d’une silhouette sortant du brouillard, d’un songe qui revient avec plus de force et d’épaisseur. Une histoire en pointillé d’un groupe toujours enclin à organiser l’évasion des sens, le voyage sonore, le brassage des courants musicaux et le choc des cultures. Faut être d’attaque. Depuis Ütopiya?, une poignée d’enregistrements (studio avec Al-’An!, deux lives dont une collaboration avec The Bunny Tylers, une compilation de raretés) n’avaient pas trouvé preneur dans les parages. From Somewhere Invisible recentre les débats. Donne l’impression d’une masse ombrageuse plus compacte et homogène. Une vague crépitante, grave, profonde, enveloppante. L’invisible prend forme. Et c’est rudement beau et prenant.
Le pouvoir évocateur de cette musique et sa dimension cinématographique sont toujours là mais ça ne s’envole pas, ne se dilue pas dans des vapeurs diaphanes, ne s’égare pas dans des souffles contraires. Ça tient au corps, ça malaxe de l’intérieur et ça tire dans une direction identique, celle qui laisse apercevoir des horizons lointains sans craindre la distance, vent dans le dos, pas envie de s’arrêter.
From Somewhere Invisible
emplit l’espace de sonorités puissamment mélancoliques, une insondable lame de fond vraiment triste et sombre qui soulève autant qu’elle incise les douleurs. Un rythme lourd, faussement traînant, véritablement porteur, une marche inexorable à l’intensité palpable, au drame imminent avec He Is Afraid And So Am I, somptueux titre d’ouverture qui met de suite sur de bons rails.
From Somewhere Invisible
, c’est aussi la présence renforcée de GW Sok, non pas sur un seul titre comme précédemment mais sur trois titres, les trois principaux, les trois plus longs et ça vaut toutes les attentions du monde, un surplus d’intensité et d’éclat quand il déclame de sa diction unique des poèmes de Mahmoud Darwish, Ghayath Almadhoun et Yu Jian. Mais c’est l’ensemble de l’album qui gagne en tension. Une énergie nouvelle et plus brute, creusant le bruit plutôt que les accalmies avec le violon électrique de Jessica Moss et, branché sur la même prise, le burzuk de Radwan Ghazi Moumneh, le gars de Godspeed You Black Emperor et Silver Mount Zion et qui a enregistré From Somewhere Invisible dans son fameux studio Hotel2Tango à Montréal. Un bouillonnement plus violent, une superposition des strates sonores, un flux qui ne cesse d’augmenter le pouls, un embrasement général. Zébrures synthétiques, vibrations modulaires, cuivres grondants, stridences angoissantes, tout se mélange, s’enrichit, se bouscule dans trois compositions haletantes dont les treize minutes du saisissant The Naming Of A Crow, morceau fleuve avec ses différentes effluves mélodiques poignantes.
Entre ces trois colosses, Oiseaux-Tempête a inséré quatre pièces plus courtes. Elles peuvent être perçues comme autant de passerelles ou respirations sauf que le groupe mené par Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul et leurs collègues attitrés (Mondkopf et Jean-Michel Pirès) continuent d’y mettre tout leur cœur et leur créativité pour tisser des liaisons fluides sans perdre le fil et l’intérêt. Dans les creux, l’oreille déniche des moiteurs à l’instar de Weird Dancing In All Night I et surtout II avec son caractère débridée et sa mélodie cuivrée envoûtante.
From Somewhere Invisible, un disque entier et cohérent, sombrement poétique, magnifiquement tourmenté et désenchanté.

SKX (04/01/2020)