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Artús
Cerc – CD
Hart Brut/Pagans records 2020

Trois ans après Ors, Artús revient avec son sixième album Cerc. Artús, une drôle de bestiole inclassable qui navigue dans le sud-ouest, s’exprime en occitan et établit des jonctions de l’impossible entre modernisme et tradition, mettant en valeur le patrimoine régional pour mieux briser les barrières.
Un orchestre de six musiciens à l’instrumentation aussi singulière que les structures et l’atmosphère avec du violon, de la vielle à roue, synthé, chant, guitare, basse et des percussions, beaucoup de percussions qui s’étendent sur six morceaux venant titiller l’heure de musique. Un disque qui abandonne quelque peu la couleur locale pour embraser des compos à l’aura plus universelle et ténébreuse. Ou devrait-on dire caverneuse puisque le Cercle (Cerc en occitan) se veut une allégorie de la caverne de Platon à travers un périple de 1400 m à travers la roche dans le massif calcaire de Pierre Saint Martin dans les Pyrénées jusqu’aux grottes de Kakuetta. S’élever grâce à Cerc, partir des abîmes et remonter à la surface un peu plus riche intérieurement, suivre un parcours semé d’embûches pour que la lumière n’en soit que plus belle. Vaste programme dont je me garderais bien de statuer sur l’efficacité mais ce qui est sûr, c’est que Cerc est une expérience qui vaut la peine d’être vécue.
Le groupe Gascon accentue la pression rythmique, épaissit le souffle chamanique, assombrit les ambiances, creuse la roche pour en extraire un matériau plus dur, granuleux. Le titre d’ouverture Nigredo aurait presque une résonance à la Neurosis dans son déploiement percussif et son climat très sombre avec des sifflements angoissants et une lourde basse. Et si ensuite l’emprise se desserre légèrement avec l’aide notamment du chant, le décor est planté. Ce titre magnétique donne un bizarre goût, un goût de souffre, une lutte qui va être ardue pour remonter à la surface et un chant qui se met lui aussi au diapason pour attiser la tension et le coté tragique d’une compo qui fait trembler les montagnes.
Comme chaque morceau possède sa propre teinte, Cerc se répand sur d’autres territoires, escalade des façades avec plus ou moins d’aspérités ou de facilités. Les prises sont multiples, parfois risquées, limpides ou raboteuses. Le souffle peut s’avérer plus entraînant, chantant, mélodique et retrouver les vertus d’un folklore déviant dans l'esprit de Motherhead Bug (Halha), l’exotisme d’un pays imaginaire, donner envie de se perdre avec un sourire béat dans une douce transe sur le magnifique Albedo et ses chœurs envoûtants mais il exsude de Cerc une trame invariablement plus noire et infiniment prenante. Et plus rock également, dans son acceptation la plus large. Des détails, des arrangements dessinant des ombres mystérieuses, un tapis de sonorités transportant des malaises, des mélodies tristement belles. Le son de la vielle à roue qui peut s’avérer typique se font dans le milieu. Les germes locales sont transcendées par une force venant de bien plus loin. Artús expérimente, dépasse les frontières, toutes sortes de frontières, envahissant des espaces où on ne l’attendait pas sur l’instrumental superbement onirique Las Mairs Apo à l’architecture bluffante comme des cailloux et des gouttes d’eau tombant selon une alchimie ancestrale pour créer un équilibre étonnant.
Alors je ne sais pas si on va en sortir plus sage et que l’idée du Bien va nous transpercer comme une évidence mais Cerc est un album à l’éclairage singulier laissant entrevoir de grands moments d’extase.

SKX (12/04/2020)